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Le tir de chasse devant les chiens

Méthode pour débutants

Sur cent chasseurs qui débutent, il n’y en a pas quatre-vingt-dix, en France, qui apprennent à tirer. Dans notre cher vieux pays, on n’aime pas beaucoup ignorer quelque chose, et la jeunesse, comme celle d’ailleurs, croit tout savoir avant d’avoir appris.

Les moins de vingt ans qui ont de la chasse plein les veines ; ceux qui comptent impatiemment les jours en attendant leur premier permis, prennent leur fougue pour professeur.

Ceux qui viennent à la chasse sur le tard, soit par esprit d’imitation, soit comme ils viendraient à n’importe quelle autre distraction, s’imaginent qu’il suffit d’acheter un fusil, des cartouches et un chien pour entrer en campagne ! À leurs yeux, le fusil doit tuer, le chien chasser et le chasseur s’amuser. Ils prétextent bien de leur inexpérience ; mais, en réalité, ils pensent qu’il n’existe, pour eux, aucune raison valable de ne pas tuer de gibier puisque les autres en tuent. S’il n’en était pas ainsi, il ne leur viendrait pas à l’idée de persévérer, car le prix du permis ne permet plus qu’ils se contentent, seulement, de cribler de plombs les jambes de leurs voisins.

Nous savons bien que c’est une manière de leur avouer qu’ils tirent trop bas ; mais enfin il y a des limites à ne point dépasser dans le domaine des confidences.

Très jeunes ou non, lorsqu’on les laisse en tête à tête avec leurs initiatives, les débutants, peu favorisés par la nature sous le rapport du tir, remplacent leur habileté absente par des dons d’improvisation, qui sont, eux, forts comme des certitudes. Improvisation jamais lasse, toujours prête à s’allier avec l’éternité.

Ils se forgent ainsi une méthode bien à eux ; et cette méthode, qui n’en est pas une, prend très souvent la forme d’un ramassis d’habitudes. De ces mauvaises habitudes dont nous avons dit un mot précédemment, et sur lesquelles il nous faut revenir.

On les mentionne parfois ; on les réprouve ; et c’est tout. Jamais on ne leur accorde l’importance qu’elles méritent, et c’est pourquoi nous voudrions les regarder d’un peu plus près.

Allez donc dire à ceux qui en sont affligés de s’y prendre de telle ou telle façon et d’oublier à jamais tout ce qu’ils ont appris sans le savoir !

Essayez donc de les débarrasser de toutes les scories que contient leur manière d’opérer, afin qu’elles n’encrassent point, à mesure, le beau métier tout neuf par lequel on voudrait les remplacer !

La plupart du temps, les leçons orientées dans un sens doctrinal fixé à l’avance se heurteront à des difficultés invincibles. Ces scories sont, en effet, imposées aux champions des mauvaises habitudes par leur complexion. Elles sont, en quelque sorte, un mal nécessaire, parce que de cette complexion dépend une façon d’être et de se tenir particulière à chacun et beaucoup plus à sa commodité que celle empruntée à autrui, ou à la généralisation d’un standard méthodique.

On n’a pas en face de soi des mannequins dont on peut disposer les gestes, ou des automates qu’on dirige ; mais des mortels à sang bouillant, chaud, tiède ou froid, des êtres, en un mot, qui possèdent un tempérament particulier avec lequel il faut compter à tous points de vue, et surtout, dans le cas qui nous occupe, au point de vue de l’influence que ce tempérament exerce sur leurs réflexes.

Peut-on raisonnablement dire à un médiocre tireur : « Vous vous y prenez mal. Moi, je fais comme ceci ! Moi, je fais comme cela ! »

Un mouvement qui, en l’exécutant d’une certaine manière avantage le conseilleur, ne possède pas le pouvoir de rendre automatiquement le même service au « conseillé », surtout si le physique et le moral du premier sont en opposition avec ceux du second.

C’est un remède qu’il faut offrir à ce tireur malheureux ; n’importe lequel, pourvu qu’il soit opportun. Un remède de bonne femme au besoin, et non pas une homélie théorique sur ce qu’il aurait dû faire. Le caporalisme n’a rien à voir dans cette histoire.

Examinons, par exemple, la montée du fusil à l’épaule qui est capitale pour le calage utile de la crosse au creux de l’épaule et contre la joue, sans lequel le pointage demeure toujours incertain.

En principe la plus simple et la plus judicieuse façon de la mener à bien est de tenir le fusil complètement horizontal, le coude droit rabaissé à hauteur de la hanche et la tombée — autrement dit : la plaque de couche — éloignée de quelques centimètres du corps afin qu’elle n’accroche pas la veste pendant son ascension. Cela fait, il ne reste plus qu’à élever l’arme des deux bras en même temps et à la tirer très légèrement à soi dès qu’on la sent arrivée au point voulu.

En agissant ainsi, l’arme se trouve en état latent de pointage, sans besoin de rectifications à la position de la crosse.

Malgré ces mérites certains, cette méthode est de beaucoup la moins suivie. Un grand nombre de chasseurs pratiquent la montée à l’épaule en imprimant à leur fusil un mouvement de bascule montant ou descendant se terminant par le placage de la tombée. D’autres projettent leur arme en avant, presque à bout de bras, et ramènent brusquement la crosse contre l’épaule. S’ils sont venus d’eux-mêmes à ces moyens d’une précision beaucoup plus relative, c’est que leurs tempéraments respectifs les y ont conduits.

Si, au lieu de chercher à corriger ce qui peut clocher dans leurs « défauts », on les met sans ménagements au régime de la montée horizontale, ou d’une autre qui leur est également inhabituelle, ils risquent, en admettant qu’ils la digèrent bien, de l’accomplir, dans la pratique, à une cadence trop vive ou trop lente issue de leur tempérament, qui finalement les dessert. Bienheureux encore quand ils n’y mêlent pas de réminiscences inopportunes de leur première manière !

Autre chose encore. Dans la montée strictement horizontale, la prise de la main gauche doit avoir lieu à l’endroit des canons qui assure de son mieux l’équilibre entre les deux mains, afin que le fusil ne pique pas du nez, ce qui gênerait l’opération. Par conséquent, si, dans un zèle pédagogique, on croît indispensable de faire déplacer cette main gauche pour faciliter ladite opération, il faut s’attendre à ce qu’il en résulte une diminution d’aisance, une perte de contenance dépaysante, difficilement surmontables et nullement momentanées, produisant l’effet inverse.

La sagesse voudrait donc qu’on n’insistât pas trop. Si nous insistons, nous, sur cette question des mauvaises habitudes, c’est qu’il est indispensable que chacun n’aggrave pas son cas en voulant trop l’améliorer et reste à peu près maître de ce qui lui sert de technique de tir, afin de n’avoir plus à s’en inquiéter sur le terrain de chasse, où elle a déjà trop d’occasions d’être bousculée.

Nous ne pénétrerons donc pas sur ce terrain en compagnie des chiens avant de l’avoir creusée encore un peu.

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°628 Juin 1949 Page 484