Voilà un oiseau dont on ne parle guère. Pourtant c’est bien
là un véritable gibier, aussi bien par l’agrément de sa chasse que par la
finesse de sa chair, qui en fait un mets de choix. Et il me plaît, aujourd’hui,
de lui consacrer quelques lignes qui seront, comme toujours, l’occasion de
faire revivre quelques bons souvenirs des jours enfuis.
Dès le mois de juin, après que le coucou a, déjà, fait
entendre sa double note dans le grand silence des bois, c’est elle qui, à
longueur de journée, lance son roucoulement doux et un peu monotone à travers
les solitudes sylvestres, dans les bosquets déjà touffus de leurs nouvelles
frondaisons et les arbres bordant rivières et ruisseaux.
Que de fois, courant, gaule en main, après la truite,
des eaux claires et fraîches, ou à travers bois, à la recherche des premiers
champignons : mousserons, bolets, chanterelles que l’on trouve, si le
printemps a été pluvieux, dès les premiers beaux jours de l’été, j’ai entendu
retentir dans le grand air pur des claires journées ensoleillées, sa douce voix
roucoulante qui met comme un peu de vie dans l’immensité silencieuse des champs
et des bois ! On la rencontre un peu partout et elle n’est certes, je
crois, pour aucun chasseur, avec son clair plumage gris rosé et sa petite tête fine
où brillent, comme deux perles de jais, deux jolis yeux noirs, un oiseau
inconnu. Mais, dès la mi-septembre, rares sont celles qui n’ont pas déjà
entrepris le long voyage vers des cieux plus cléments. Cependant, en certaines
régions, leur abondance met une grande diversité dans les chaudes journées du
début de la chasse. Je me souviens de certain coin de Charente où, dans les
grands noyers touffus qui mettent leurs bouquets ombreux dans les chaumes
moissonnés, elles allaient se poser, nombreuses, après avoir glané les grains
oubliés ou bu l’eau fraîche de la petite rivière coulant au pied du coteau. Il
fallait avoir bon œil pour les apercevoir, immobiles dans la partie la plus
haute des arbres ; la plupart du temps elles filaient, n’attendant pas le
chasseur. Alors, c’était l’attente au pied de l’arbre ou, mieux, derrière une
haie proche, le long d’un chemin creux où je les tirais au passage, pendant
leurs allées et venues vers le ruisseau. Joli coup de fusil, je vous assure,
car l’oiseau vole vite et, si vous vous montrez, sait, d’un bref coup d’aile,
changer de direction.
Leur chute brusque, de vingt ou vingt-cinq mètres de haut,
dans le chaume dénudé qui se blanchissait aussitôt d’une poignée de plumes, car
la tourterelle, comme tous les colombins, perd ses plumes facilement, me
comblait d’aise, et j’étais fier quand j’en avais ainsi dégringolé trois ou
quatre.
Ailleurs, on les trouve aussi dans les champs de pommes de
terre touffues, surtout quand y poussent certaines herbes à graines dont elles
raffolent. Là non plus leur tir n’est pas aussi facile qu’on pourrait le
croire ; car certaines font de véritables crochets de bécassines et
l’oiseau est rapide. Les chiens les arrêtent très bien et de loin, car elles
ont un bon fumet. Je me suis amusé, parfois, à cette chasse en Velay, dans les
champs d’un plateau surplombant la Loire et qu’elles affectionnent
particulièrement.
Enfin, dernier mode de chasse, moins difficile :
l’affût. L’affût surtout à l’abreuvoir, quand elles vont se désaltérer au cours
des chaudes journées de septembre. Il suffit d’être bien caché, de ne pas
bouger, surtout lorsque l’oiseau arrive ; et le reste ne présente aucune
difficulté, comme toute chasse au poste d’ailleurs. Si cette chasse pouvait
être pratiquée en juillet et août, au moment des grandes chaleurs et quand les
tourterelles sont encore toutes là, on ferait certes de belles chasses ;
mais septembre est moins chaud et les trois quarts d’entre elles ont déjà
émigré. Alors les tableaux sont modestes.
Je ne parlerai que pour mémoire, car je ne les connais que
par ouï-dire ou pour en avoir lu quelques comptes rendus, des chasses qui se
pratiquent dans certaines régions méridionales lors des grands passages et qui
sont, paraît-il, parfois, de véritables hécatombes. Il est des chasseurs qui
tuent ainsi plusieurs douzaines de tourterelles dans une journée. Il faut
réellement que le nombre des oiseaux qui passent soit élevé pour arriver à de
tels tableaux, et ce doit être là, bien sûr, une belle école de tir. Car je
pense que c’est au vol qu’ils sont abattus. On reste, tout de même, un peu
confondu et mélancolique devant de tels massacres, car je crois que l’on ne
doit pas chasser uniquement pour tuer. Mais qu’y peut-on lorsque la chasse est
régulière, c’est-à-dire faite uniquement au fusil et sur un gibier qui, ici
aujourd’hui, sera demain à cinq cents kilomètres et peut-être hors des
frontières de notre pays ? La tourterelle est un oiseau de passage et vous
connaissez l’esprit du chasseur : si je ne tue pas l’oiseau qui passe,
c’est par un autre qu’il sera abattu. Alors n’en veuillons pas trop aux heureux
mortels qui se trouvent en ces lieux bénis et choisis pour leurs migrations par
les voyageurs ailés. Car que ferions-nous si nous étions à leur place ?
Il y a, dans la cour de l’immeuble où j’ai mon bureau, une
cage où languit, triste et solitaire, une pauvre tourterelle, qui n’a pour seul
espace que les quelques décimètres carrés encadrés par ses barreaux. Je ne
puis, quant à moi, voir un oiseau en cage : les oiseaux sont faits pour le
ciel, pour les arbres feuillus, pour les buissons en fleurs, pour les champs
pleins d’épis, pour le grand tapis vert des prés. Les cages sont des prisons.
Et l’on ne met en prison que ceux qui le méritent. Les oiseaux méritent-ils une
telle servitude ? Aussi n’est-ce pas sans mélancolie que j’entends, près
de ma fenêtre, les roucoulements de la pauvre tourterelle prisonnière. Plutôt
qu’un chant, ils me paraissent être une plainte continuelle, et versent dans
mon cœur la grande nostalgie des vastes horizons perdus.
FRIMAIRE.
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