La fusillade s’est éteinte. Laissons en paix les survivants
de ces quatre mois d’hostilités et faisons le point. Les échos de cette saison
sont bien divers suivant les espèces de gibier, mais, d’une façon générale,
surtout dans les régions réputées giboyeuses, on est loin d’avoir la densité de
1938. On aurait pensé que ces années où les armes de chasse avaient disparu de
la circulation permettraient au poil et à la plume de repeupler largement et de
pulluler comme après 1918. Hélas ! ...
Essayons donc de voir s’il est possible, sur les chasses
banales, d’obtenir dans un délai relativement court une densité de gibier
permettant de satisfaire le nombre toujours croissant de porteurs de permis.
Réorganiser les sociétés locales comme je l’indiquais précédemment amènera un
mieux sensible, mais insuffisant.
« Lâchez lapins, lièvres, perdreaux et faisans »,
vous diront certains mathématiciens, qui, crayon en main, vous démontreront,
chiffres à l’appui :
40 couples de perdreaux à 15 par couvée = 600.
L’année suivante, il en restera au moins 100 couples, cela
fera 1.500 oiseaux, etc. Pour le lapin, la progression devient
effrayante ... Si on ne les arrêtait, nous ne pourrions bientôt plus
circuler sur les chemins de nos modestes réserves tant le gibier serait dense.
Malheureusement, en bien des domaines, théorie et réalité sont loin de se
donner la main. Parfois, à l’ouverture, on ne retrouvera même plus les 40
couples achetés. Puis, pour des centaines de groupements, où trouver tant
d’exemplaires à quatre et deux pattes ? Comment les payer, quand, par
ailleurs, on n’arrive pas même à rétribuer un garde ?
À mon avis, il serait plus sage — sans dédaigner le
repeuplement — de songer d’abord à conserver le plus de reproducteurs.
Avantages très appréciables, car ce gibier, adapté au climat et au terrain, se
défend mieux contre nuisibles et chasseurs. Il est aussi moins sensible aux
épidémies.
Comment économiser le gibier sur nos chasses
banales ?
Faire appel au bon sens des porteurs de permis ? Autant
battre l’eau avec une badine ! ... Certains comprendraient et
sacrifieraient le plaisir immédiat aux joies des années futures. Pendant ce
temps une majorité — et une majorité écrasante, — riant de ces naïfs,
chercherait à obtenir la queue des derniers perdreaux et la peau des ultimes
rongeurs. Neuf chasseurs sur dix, en nos régions méridionales, sont incapables
d’être raisonnables. Pour eux, chasser c’est tuer, et tuer le plus possible. On
tue pour remplir le sac. On tue pour vendre. On tue pour pouvoir, le soir au
café, battre le record. On tue gros et petits, sans souci du lendemain.
Où trouver le salut ? Il est, je pense, dans les mains
du Conseil supérieur de la Chasse. Fort de ses 1.800.000 porteurs de permis,
cet organisme peut et doit faire entendre sa voix pour mettre sur pied un
système restrictif des jours de chasse. Je sais que la proposition d’une telle
mesure va soulever un magnifique concert de véhémentes protestations. Les élus
seront alertés, ordres du jour des groupements et tout, et tout ! Que
faites-vous de la liberté ? s’écrieront certains.
Allons, calmez-vous. C’est au nom de la liberté — la
liberté, chère à tout chasseur — de tuer quelques pièces, que je plaide
pour une tranche de paix cynégétique hebdomadaire : trois ou quatre jours.
Nos chasses banales, battues de l’aube au crépuscule, ne connaissent aucune
pause. Le gibier levé, bousculé, tiré ne connaît point de vrai calme dans le
Midi où les trois quarts de la population masculine portent le fusil. Si ce
n’était quelques couverts impénétrables, vrais maquis, perdreaux et lapins
auraient disparu depuis longtemps de nos grises collines. En aucune autre
région de France l’écourtement des jours ouvrables ne devient aussi
indispensable. Malgré ses récriminations inévitables, la majorité, comprenant
le bien-fondé de cette mesure, préférera s’imposer un léger sacrifice qui se
traduira, par la suite, en sorties plus fructueuses, même aux approches de la
fermeture.
Comment appliquer ce système ? Quels jours
choisir ? Les groupements feront connaître leur opinion aux Fédérations
départementales et celles-ci indiqueront les désirs précis de leurs membres au
Conseil supérieur de la Chasse. On pourrait même régler la question sur le plan
régional ou départemental par l’intermédiaire des préfets. Il faut une réglementation
très souple.
Rarement on trouve, du premier coup, une formule capable de
rallier tous les suffrages. Là comme ailleurs, tenons compte des
majorités ... mais n’oublions pas de considérer les nombreux travailleurs
n’ayant que leur congé annuel pour s’élancer vers la campagne le fusil en main,
Rip ou Mirza sur les talons. Dans un esprit de large compréhension et de
justice, on pourrait admettre que les deux premières semaines sont ouvrables en
entier. Rassurez-vous, ils ne tueront pas tout, car, dans le Midi, la chaleur
est encore excessive ; chasseurs et chiens seront vite fatigués.
Ils ne tueront pas tout, mais les braconniers s’en
chargeront, vont dire certains pessimistes. Quatre jours où ils seront ensuite
les seuls à opérer, quelle aubaine ...
Certainement, il serait stupide de priver les honnêtes gens
du plaisir de la chasse si ce gibier, que nous voulons protéger, devenait la
proie des ravageurs habituels. Dans une précédente causerie, je me suis assez
étendu sur le rôle des gardes — fédéraux et particuliers — pour ne
pas y revenir. Toute chasse, banale ou privée, doit être surveillée avec
vigilance ; les razzia du poil ou de la plume deviennent alors très rares.
Moins tracassées, moins poursuivies, de nombreuses unités
des espèces sédentaires franchiront victorieusement le cap de la fermeture, une
fermeture à double tour sans tolérances locales. Finies les
« destructions » de grèves dans les oliveraies « pour préserver
les fruits », alors qu’il n’y a plus que les feuilles ! ...
Finies aussi les « repasses » à ceci ou à cela, seuls motifs à faire
trépasser oreillard, lapin ou bec rouge. Abolies les battues aux sangliers sans
contrôle sérieux. Faisons la part des orages, des épidémies, des nuisibles
— il en reste toujours — et nous verrons par la multiplication des
espèces un accroissement sensible du poil et de la plume. À ce mode naturel aux
résultats presque certains, nous pourrons ajouter le repeuplement habituel si
le besoin s’en fait sentir.
Allons, amis chasseurs, un bon mouvement : demandez
tous à vos sociétés de se prononcer pour la « Trêve Saint-Hubert »,
afin que nous ayons bientôt de belles ouvertures. Ce geste vous vaudra une
place d’honneur au paradis des chasseurs, où je vous donne rendez-vous le plus
tard possible.
A. ROCHE.
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