Si un homme peut faire face à une chasse rude et sale,
s’il peut risquer sa vie avec plaisir et tirer à la fois sûrement et vite, il
est du type nécessaire à l’extermination des crocodiles rusés du Nord tropical
australien.
Un crocodile australien blessé est une charge
dangereuse de dynamite folle en lutte ; sa queue s’agitera avec une telle
rapidité et une telle puissance qu’il cassera un bras ou une jambe aussi
simplement que vous pourriez rompre un bois d’allumette. En une occasion, j’en
ai atteint un d’une espèce que l’on trouve aux embouchures, et qui mesurait 5m,12
de long. Sa queue abattit un arbre de 18 centimètres de diamètre ! Une
autre fois, je blessai un spécimen d’eau douce, long de 1m,85, dont
la queue creusa un sillon de plus de 60 centimètres de profondeur, en
terre ferme !
Cette queue est leur arme mortelle, leur moyen naturel
d’assommer une proie. De gros crocodiles abattront très aisément un buffle
d’eau ; kangourous et autres gibiers de taille seront des prises faciles
pour des animaux capables de parcourir un long chemin à travers les terres,
quand ils ont faim et cherchent fortune.
Les régions dans lesquelles on trouve des crocodiles
australiens s’étendent des chauds districts de terres grasses de Queensland du
Nord aux extrémités nord du continent, puis du pourtour des zones côtières
jusqu’à la côte ouest d’Australie occidentale, à 2.400 kilomètres plus loin.
Le golfe de Carpentaria est spécialement réputé pour
l’espèce qui vit aux embouchures (crocodilus porosus) qui atteint une longueur
de 5m,50. Les crocodiles d’eau douce (crocodilus Johnstoni)
se trouvent généralement au-dessus du niveau de marée et fréquentent les
flaques de boue et les rives des fleuves. Ils atteignent jusqu’à 2 mètres,
et leurs nids, faits de vase, ont 2m,50 de diamètre et souvent 60 centimètres
de haut !
En tant que sport, la chasse au crocodile est la plus
passionnante de toutes celles au gros gibier. C’est la seule en Australie où il
soit parfois malaisé de déterminer qui est le poursuivant et qui est le poursuivi.
De plus, les difficultés qui entourent ce sport palpitant prouvent jusqu’à
l’extrême la résistance d’un sportsman aux rigueurs des tropiques.
Au premier contact avec les terrains à crocodiles, une
pestilence semble imprégner l’atmosphère, qu’il s’agisse d’un sol propre ou de
l’habituelle vase fétide des tropiques. Ceci crée dans l’esprit du chasseur une
impression de saleté et, pour ajouter à son inconfort, tous les types de
reptiles allant des petits serpents d’arbres aux pythons de 4m,60
paraissent s’être donné rendez-vous dans la même région, obligeant le novice à
être constamment, et de tous côtés, sur ses gardes.
Pour se transporter sur les terrains à crocodile de
l’intérieur de l’Australie du Nord, on a recours aux bateaux ou aux chevaux,
suivant la situation des terrains par rapport aux ports de mer ou aux bourgades
d’où on part. On a besoin de guides indigènes. Ayant peu d’initiative
personnelle, ces indigènes nous obéiront quoi qu’il arrive.
Les armes nécessaires sont deux carabines pour chaque
chasseur et une pour chaque indigène. Mon choix se porte sur le 303 et le N. M.
Mauser 7,92, avec balles à pointe douce enrobées de nickel, d’une vitesse de
projection de 734m,40. Avec ces engins, on peut viser à 140 mètres
et avoir une force de pénétration suffisante en fin de trajectoire. Une
carabine est également nécessaire pour assurer le ravitaillement du groupe en
route. On doit prendre un soin tout particulier des armes sous les tropiques et
user d’huile abondamment. Les cartouches doivent être protégées de l’humidité
et, surtout, du soleil torride.
Le crocodile est un répugnant animal, et la chasse pour le
sport est loin d’être agréable, parce que les berges des fleuves se prêtent mal
à la marche ; les sous-bois vont généralement jusqu’au bord de l’eau,
exposant le chasseur à des attaques sournoises de la part de son gibier. Quand
les crocodiles frappent, ils frappent rapidement ; au reste, tout animal
féroce attaquant l’homme dans ces conditions le surpassera en habileté et en
force dans un combat imprévu.
Il existe un système de chasse qui consiste à établir une
ligne d’indigènes rabatteurs à environ 300 mètres dans les terres. Ceux-ci
dérangent les crocodiles tapis dans l’herbe ou endormis après un bon repas.
Quand l’action débute ainsi, elle est rapide et, malgré leurs courtes pattes,
les crocodiles se déplacent avec une grande vélocité.
On ne doit pas perdre de temps à choisir sa victime et, bien
qu’une cartouche moderne puisse pénétrer en n’importe quelle partie du corps,
on doit viser à l’épaule. C’est la région du cœur et, si le coup n’est pas
mortel, il déterminera néanmoins une chute. Le crâne, l’épine dorsale ou le
sternum peuvent faire dévier la balle si l’on à tiré au jugé ; de plus, la
balle ressortirait probablement du crâne.
Le fleuve est le refuge des crocodiles, où ils restent
immobiles, flottant à la surface, attendant leur proie. Le chasseur a ainsi de
bonnes occasions s’il sait les saisir. En bateau, on doit prendre grand soin de
se maintenir hors de portée de la queue fouettante qui ne perd rien de sa
puissance mortelle quand elle est portée par l’eau. Plus d’une embarcation a
été engloutie, en dépit de l’extrême attention des occupants. Bien des records
de natation sur courte distance furent officieusement battus par des chasseurs
en perdition.
La chasse en bateau est simple, tout ce dont on a besoin
étant un solide fond d’eau pour maintenir l’embarcation en mouvement. Il faut
ignorer les crocodiles en remontant le courant, mais se familiariser avec leurs
emplacements de façon à ne pas tirer en vain en resdescendant. Un coup entraîne
généralement les crocodiles à émigrer des rives du fleuve. C’est alors le
meilleur tireur qui gagne et, si le bateau n’est pas trop éloigné de la berge,
on peut en tuer au moins un ou deux sur le chemin.
Le crocodile est un rôdeur de nuit et de jour. On doit
poster des gardes au camp, le soir, sans quoi chevaux ou rations disparaîtront.
Il ne faut jamais emmener de chiens dans ces expéditions : on risquerait
de trouver le lendemain, au réveil, la chaîne dépourvue de l’animal ;
d’autre part, les chiens veulent toujours nager et, si vous êtes souvent en
mesure de les surveiller, ils ne sont cependant pas toujours sous vos yeux pour
que vous puissiez les protéger.
Le dépeçage s’opère comme pour les autres gibiers, employant
les coupes latérales et longitudinales. Le cuir est épais d’environ deux
centimètres et demi. Quand on atteint l’épine dorsale, les écailles sont
traîtresses si l’on n’y prend garde. On voit rarement dans un foyer une peau ou
un trophée entier ; le cuir est employé par les tanneurs et transformé en
chaussures, sacs à main, blagues à tabac, etc. ; un bon spécimen a une
valeur considérable.
James MORRIS.
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