Nous parlerons tout d’abord du lièvre et d’une méthode
appliquée récemment, en Suisse, pour sa multiplication. Son auteur est le Dr Hediger,
directeur du Jardin zoologique de Bâle, qui, dès 1944, mit au point un procédé
nouveau sur lequel nous avons les renseignements suivants.
Alors que, jusqu’à présent, on n’avait tenté de multiplier
les lièvres que par les procédés ordinaires, c’est-à-dire la mise en commun
dans un parc de bouquins et de hases sauvages dans la proportion d’un bouquin
pour trois hases, le procédé nouveau consiste à mettre des lièvres domestiques
par couples dans des cabanes d’un genre spécial.
Chaque cabane, de 2m,28 sur 1m,07, est
divisée, dans le sens de la profondeur, en deux compartiments qui ont donc
chacun 1m,14 par 1m,07 ? et 2m,12 de
hauteur. La toiture, très débordante et fortement inclinée pour l’écoulement
des eaux, est formée d’un seul panneau.
L’un des compartiments est en panneaux pleins, tandis que
l’autre a l’un de ses côtés constitué par un grillage.
La cloison de séparation est munie dans le bas d’une petite
porte et, lorsqu’elle est ouverte, les lièvres peuvent à leur choix aller dans
le compartiment le plus éclairé ou, au contraire, se tenir dans le compartiment
le plus chaud.
Le couple étant ainsi enfermé, la hase reproduit après une
gestation de quarante jours.
Les jeunes, qui sont généralement au nombre d’un à trois par
portée, sont allaités par la mère pendant vingt jours. Cependant,
l’alimentation mixte commence peu après la naissance et au vingt et unième jour
on sépare les jeunes de leurs parents.
Ils sont alors placés dans de plus grands parquets, où on
les nourrit pendant deux mois.
À ce moment, on les met en liberté absolue dans le Jardin
zoologique, car leur élevage est terminé et ils n’ont plus qu’à chercher la nourriture
qui est mise à leur portée jusqu’à ce qu’ils soient repris et envoyés dans les
chasses.
Beaucoup de questions peuvent être posées au sujet de cette
nouvelle méthode, car il ne suffit pas d’énoncer seulement certaines parties
des expériences faites, mais bien de mettre en lumière les écueils possibles à
côté des résultats obtenus.
Nous parlerons d’abord de ces derniers.
Il est incontestable que la base de la méthode est nouvelle.
Elle s’appuie sur des animaux domestiques pour arriver à produire des animaux
sauvages.
La chose s’est-elle déjà faite avec d’autres animaux de
chasse ? Évidemment, et le meilleur exemple est bien celui du faisan.
Vous produisez des faisandeaux avec des œufs de faisanes mis
à couver sous une poule de ferme ; vous les faites élever par cette mère
adoptive jusqu’à leur émancipation et, peu de temps après qu’ils sont en
liberté, ils ont la même sauvagerie que les faisans nés aux bois.
L’on peut donc espérer que les levrauts feront comme les
faisandeaux et nous le souhaitons bien vivement, mais nous avons vu aussi des
expériences malheureuses faites avec d’autres animaux sur lesquels cependant on
avait fondé grand espoir : nous voulons parler des colins et des tinamoux.
Dans l’un comme dans l’autre cas, l’élevage de ces animaux avait
été bien réussi, mais, une fois remis en liberté, les oiseaux ne reprirent pas
la sauvagerie nécessaire au gibier et, étant restés très familiers, ils furent
rapidement la proie des animaux nuisibles, des chiens errants et des chats
maraudeurs.
L’on a essayé aussi de faire de la pintade un oiseau de
chasse, mais on n’y a pas réussi davantage. Cependant, la présence de quelques
pintades dans un élevage de faisans présente de grands avantages.
L’on sait que, par temps de brouillard, il arrive fréquemment
que des faisans quittent les bois où ils vivaient et où on les agrainait pour
s’en aller se perdre à de grandes distances en des lieux d’où ils ne reviennent
pas.
On a constaté que quelques pintades mises au milieu d’un
troupeau de faisans les empêchaient de s’égarer par temps de brouillard. On en
attribue la cause à ce que les pintades rappellent constamment et donnent ainsi
aux faisans, lors de ces brouillards, la direction à suivre pour revenir vers
l’agrainage. Nous connaissons plusieurs gardes qui emploient ce procédé avec
succès.
Cependant, dans ce nouvel élevage du lièvre, si la question
du retour à la sauvagerie est importante, il est un point plus important
encore : c’est celui d’avoir suffisamment de bouquins domestiqués pour en
faire des reproducteurs de cage.
Nous ne voyons pas bien un bouquin sauvage repris aux champs
et mis dans une de ces cages, car infailliblement il s’y tuerait. Il faut que
ces animaux, destinés à la reproduction en captivité, soient nés en cage ou
aient été capturés peu après leur naissance et élevés sur de petits espaces, où
leur grande sauvagerie naturelle fasse place à une domestication absolue.
Là pourrait bien être l’écueil et c’est ce que nous dira
l’avenir.
Plusieurs personnes ont demandé au Dr Hediger
si cet élevage tel qu’il le concevait était rentable. À quoi le savant répondit
qu’il n’en savait rien, car son but n’avait pas été de produire du gibier à bon
compte, mais uniquement de faire une expérience biologique. À tel point qu’il
n’envisage pas d’augmenter le nombre de ses cages d’élevage du lièvre, mais de
chercher uniquement à les faire produire chaque année leur maximum.
Une autre question présente aussi un certain intérêt.
On sait qu’avec des lièvres sauvages lâchés dans un parc on
ne peut mettre les sexes à égalité et tous les essais prouvent que la meilleure
proportion adoptée pour obtenir un bon rendement est d’un bouquin pour trois
hases.
Or, avec les lièvres domestiqués, on donne un mâle à chaque
femelle, ce qui tendrait à prouver que le manque de liberté a déjà atrophié la
vigueur si connue du bouquin sauvage.
Disons, en terminant sur ce sujet, que des essais du même
genre vont être tentés en France dans le parc de l’École des gardes-chasse de
Cadarache, et nous entretiendrons ultérieurement nos lecteurs des résultats qui
y seront obtenus.
Abordant maintenant la multiplication des lapins de garenne,
nous allons dire quelques mots des observations faites ces dernières années par
plusieurs experts en dommages causés aux champs par le gibier et qui concernent
les croisements de lapins de garenne avec des lapins domestiques.
On a tout d’abord remarqué trois choses :
1° Qu’en certaines chasses des lapins arrivent à peser bien
plus que les sauvages ordinaires puisqu’ils dépassent le poids de 1kg,500.
2° Les dégâts n’étaient pas commis de la même façon par les
croisés, car, au lieu de les commencer en bordure de champ et de les étendre un
peu à la fois comme le font les garennes sauvages purs, les dégâts faits par
les croisés ressemblent à ceux des lièvres.
En effet, leurs coulées pénètrent dans le champ et les
lapins les suivent, s’arrêtent pour y dévorer une certaine surface ; puis
la coulée les conduit vers un autre point du champ où ils recommencent.
3° Les rabouillères sont bien plus abondantes qu’autrefois,
puisqu’on en a détruit qui comptaient jusqu’à dix jeunes.
Il résulte de ces observations que les croisements sont un
danger dans les années favorables à la multiplication des lapins, car ils
augmentent dans une trop grande proportion le nombre de ces rongeurs.
On reconnaît facilement, dans une chasse, le genre de dégâts
auxquels on a affaire par ces différences de comportement des lapins, qui ne
laissent aucun doute sur leur origine, soit de garennes purs, soit de
croisés-garennes.
René DANNIN,
Expert en agriculture (chasse et gibier) près les Tribunaux.
|