Après avoir expliqué ce qu’est un pedigree et son utilité (1),
il convient de compléter cette étude sommaire en indiquant la valeur relative
de ce document.
Si tous les éleveurs connaissaient leur métier et
l’exerçaient avec discernement, l’amateur désirant acheter un jeune chien de
chasse devrait pouvoir le faire sans consulter avant son pedigree ; mais,
malheureusement, beaucoup, qui s’intitulent éleveurs, ignorent non seulement
les lois les plus élémentaires de la zootechnie, mais, en outre, la valeur des
géniteurs qu’ils emploient. Ont-ils sous la main, par hasard, des géniteurs
possédant de bonnes qualités professionnelles ? Ils brandissent ces
qualités comme un fanion, les donnant comme garantie d’une production idéale.
Ont-ils des géniteurs quelconques, ou même déficients, ils se contentent de les
allier à un sujet renommé, sans se préoccuper de l’opportunité d’une telle
alliance, ou bien se bornent à rappeler telle performance d’un aïeul figurant
sur le pedigree. Rien d’étonnant si l’amateur est quelquefois déçu au delà des
déceptions normales que nous ménage, hélas ! un élevage raisonné, puisque,
dans tous ces cas, l’éleveur s’en remet au hasard. L’amateur ne pouvant, la
plupart du temps, s’informer de la valeur du producteur, il est utile pour lui
d’être en mesure de pouvoir apprécier lui-même les chances de qualités du
produit qu’on lui propose.
Quand il s’agit de produire des sujets dont seuls les
caractères physiques sont à considérer, l’élevage en est plus facile, bien que
fort décevant aussi ; mais quand il s’agit, en outre, d’assurer des
caractères moraux, la chose se complique à souhait.
Il est tout d’abord évident, quand il s’agit de chiens de
chasse, que la sélection doit porter non seulement sur le type, qui assure la
pérennité des caractères de la race, mais aussi sur les qualités pratiques. Or
ces caractères se transmettent de façon fort irrégulière ; les produits de
deux chiens excellents hériteront, sans doute, de ces caractères, mais rarement
de tous à la fois. Le plus souvent, d’ailleurs, ces caractères, qui sont
eux-mêmes la somme de plusieurs facteurs composants, se dissocient et il se
peut que leurs éléments se trouvent répartis sur l’ensemble des produits qui,
chacun, n’en possèdent que quelques-uns. Il se peut ainsi que l’un de ces produits,
possédant les trois quarts, par exemple, des facteurs composants d’un certain
caractère, paraisse en être dépourvu, parce qu’ils ne se voient pas et que,
accouplé avec un autre chien, qui justement possède le quart manquant de ce dit
caractère, donne naissance à un produit qui, héritant des quatre quarts,
possédera ce caractère entier dont on croyait ses parents dépourvus. C’est ce
qui paraît seul expliquer le fait que des géniteurs excellents donnent parfois
des sujets inférieurs et que, inversement, des sujets très quelconques donnent
naissance à d’excellents sujets. En conclure que c’est là le résultat du hasard
serait aller bien vite, et s’en remettre à l’empirisme pour escompter ce
résultat serait aller au-devant des pires déboires. Mais ce qu’il faut en
retenir, c’est que les qualités personnelles apparentes de deux géniteurs ne
sont nullement la garantie de retrouver ces mêmes qualités à la première
génération suivante. Au contraire, lorsqu’un caractère recherché ou un ensemble
de qualités coexistantes apparaissent régulièrement — ce qui est rare
— ou avec une fréquence suffisante, c’est que ces qualités résultent non
du hasard d’une alliance, mais de leur fixité atavique dans la famille. Car
c’est la continuité des performances, ou des qualités, qui fait la qualité
d’une famille, et non les performances exceptionnelles d’un sujet.
On comprend dès lors que la présence dans un pedigree d’un
sujet par lui-même obscur, mais appartenant à une famille fertile en sujets de
qualité, est plus précieuse que celle d’un chien de hautes qualités
personnelles, produit exceptionnel d’une obscure famille.
Et c’est pourquoi l’annonce d’un produit avec, pour
référence : « Fils du fameux champion X ... », ne lui
confère, a priori, aucune qualité. Bien plus que les qualités des
parents, il convient d’examiner celles des ascendants plus éloignés, et la
présence, dans un pedigree, de nombreux chiens honnêtes a plus de prix
que celle de rares, mais grandes vedettes.
Une autre chose à examiner dans un pedigree est l’abus de la
consanguinité. On a écrit des volumes sur les effets bienfaisants et
malfaisants de la consanguinité ; il serait vain de vouloir les esquisser
ici. D’une façon générale, il convient de se méfier de la consanguinité
collatérale, et d’autant plus qu’il s’agit d’une race dont le cheptel est assez
nombreux pour dispenser de ce procédé. Y avoir recours, pour recomposer plus
sûrement et plus rapidement des caractères dont les facteurs se sont dissociés,
doit conduire à de graves déboires ; car cette consanguinité collatérale
semble accentuer cette dissociation et provoquer ou aggraver des signes de
dégénérescence.
Un jeune chasseur me dit, quelques jours avant l’ouverture
de la chasse :
— Je suis fort bien monté ; mon père m’a acheté un
chien superbe, il a un pedigree long comme ça ...
— L’avez-vous essayé ? lui dis-je.
— Ce n’était pas la peine, étant donné son
pedigree ; mon père s’y connaît et l’a payé fort cher.
Émerveillé de cette foi, je me gardai de poser d’autres
questions. Après l’ouverture, je lui demandai comment s’était comporté son
chien. Il me dit qu’il s’était sauvé au premier coup de fusil, mais que cela ne
prouvait rien, le chien n’ayant pas été complètement dressé. Il ajouta :
— Avec un tel pedigree, il ne peut pas ne pas chasser.
Je lui demandai s’il connaissait les qualités des ascendants ; il me dit
qu’il s’y trouvait de nombreux trialers. C’était exact ; mais, quand je
vis le pedigree, j’émis des doutes que son chien guérisse jamais de sa peur du
coup de fusil : ses grands-parents maternels étaient frère et sœur, ainsi
qu’un autre couple d’ascendants plus éloignés, et, en outre, il y avait, chez
le père, une consanguinité verticale. Aussi, malgré la présence de nombreux
chiens excellents, cette généalogie ne garantissait rien que la probabilité
d’une tare. D’ailleurs, les trialers qui figuraient sur le pedigree étaient,
pour la plupart, ceux qui n’étaient pas consanguins.
Nous conclurons ainsi : ceux qui méprisent l’utilité
d’un pedigree sont ignorants ou de mauvaise foi ; ceux qui basent la
valeur d’un chien sur l’existence de son pedigree sont dans l’erreur, ce
pedigree fût-il fleuri de chiens illustres ; sont dans le vrai ceux qui
calculent les chances d’avoir un chien de qualité d’après les connaissances
qu’ils ont des qualités de l’ascendance et de l’union raisonnée des géniteurs.
L’élevage des chiens de chasse est assez éloigné de celui des lapins et des
bovins. La qualité de l’éleveur est primordiale et, tout d’abord, un éleveur de
chiens de chasse doit être chasseur, afin d’éprouver lui-même ses produits et
d’en maintenir l’atavisme des fonctions. L’augmentation croissante des
pseudo-éleveurs, qui fabriquent des chiens en série, sans méthode et, souvent,
sans aucune connaissance des ascendances des géniteurs qu’ils emploient, est un
danger pour l’avenir de certaines races de chasse, comme est un danger certain,
pour l’avenir des races humaines, l’union basée sur le seul sentiment, dans
l’ignorance à peu près absolue des tares familiales au delà d’une ou deux
générations. Les chiens, à ce sujet, sont plus favorisés que les hommes.
Jean CASTAING.
(1) Le Chasseur Français d’avril et mai 1949.
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