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La fouette

La « pêche à la fouette » est un mode de pêche à la mouche particulier. On pourrait, dans ce genre, remplacer la mouche par un insecte : mouche de cuisine, sauterelle, grillon, hanneton et d’autres — c’est peut-être même le procédé primitif de cette méthode, — mais les lancers sont si nombreux, si fréquents que tout le charme de cette pêche serait rompu par la nécessité de réamorcer presque à chaque coup. Ce serait une perte de temps pendant laquelle le bateau, nécessaire à cette pêche, se déplacerait inutilement, laissant des places inexplorées. De plus, se procurer les insectes n’est pas toujours facile, ni un plaisir ; enfin et surtout ce serait moins sportif.

D’où vient le mot de fouette ? Je suppose qu’il vient de fouet, de fouetter. En effet, pour cette pêche, on utilise chez les rustiques — les heureux habitants des bords de la rivière — une canne courte de 3 mètres environ, généralement en bambou noir ou blanc très droit, nerveux, non renforcé, ce qui la rendrait trop raide. On n’emploie pas de moulinet. La ligne de 5 à 6 mètres de longueur invariable est fixée à l’extrémité du scion. Si possible, elle est en queue de rat, tout au moins pour le bas de ligne, auquel sont montées deux mouches de 60 à 70 centimètres l’une de l’autre. Cette arme rappelle le fouet du cocher de nos antiques diligences. L’action de pêche ressemble à celle du cocher fouettant ses chevaux, d’où, sans doute, le nom de fouette.

Cet équipement est semblable à celui des Romani qui, eux, l’utilisent du bord dans les rivières accessibles. Comme eux, quand on a piqué un poisson, il faut saisir la ligne en faisant passer la canne en arrière ou de côté et ramener la victime par brassées.

Dans les rivières rapides et accessibles, on « fouette » aussi en remontant en faisant du wading, c’est-à-dire en marchant dans l’eau. Mais la véritable pêche à la fouette se pratique en bateau dans les rivières profondes, au courant faible, dont les berges sont boisées. Le bateau est très souvent fabriqué par le pêcheur lui-même sans aucune recherche de luxe : une « caisse à savon », pouvant juste contenir le pêcheur, que l’on guide d’une seule main à l’aide d’un petit pagayon très court. Quelquefois aussi, seul en barque, on godille d’une main et on pêche de l’autre.

Ainsi armé, le pêcheur se déplace lentement, sans bruit, presque sans mouvement ; tous les petits coins ombreux au ras de la berge et sous les arbres sont visités. Les prises sont nombreuses. C’est un plaisir captivant qui se double parfois du plaisir de naviguer paresseusement au milieu de la rivière, où le paysage toujours changeant et nouveau satisfait les yeux et les sens. Il est reposant, en vacances, de délaisser, de temps en temps, la canne, et de s’en aller ainsi seul à la dérive, rêvant, fumant dans un doux farniente ...

Mais avec une légère barque, proprement aménagée, ou un canoë léger, le plaisir est encore plus grand. Dans la barque ou le canoë on peut — et c’est préférable — être deux : deux pêcheurs sachant ramer et qui se remplacent. Le rameur doit être aussi pêcheur pour bien conduire l’embarcation, voir, de loin, le petit coin restreint où la mouche sera lancée et posée infailliblement : derrière un herbier, un petit espace libre au milieu des nénuphars, etc., etc., sans bruit, sans un mot, on visite lentement chaque place comme à la chasse, et le poisson s’accumule au fond de la barque. Il n’est presque pas besoin d’épuisette, le poisson venant dans la main ; en tout cas elle doit être à manche court.

Dans le canoë, quoique très sensible aux mouvements — le lancer seul le déplace en eau calme, — on peut aussi opérer seul. Mais le fait de poser la pagaie pour prendre la canne fait souvent rater des places où la mouche aurait eu du succès ; mais il y en a tant que ça n’a pas d’importance. Le canoë est agréable pour le sportif qui aime la solitude ; on fait pas mal de kilomètres sans s’en apercevoir, on se retarde : le canoë permet un retour rapide, en vitesse, dans un sport plus actif.

Je ne conçois pas l’emploi de la barque ou du canoë avec la canne rustique. Pour que tout se tienne, il est nécessaire d’avoir une bonne canne en bambou refendu, une ligne fuseau et un moulinet à récupération. Ce dernier est peut-être le plus indispensable. Grâce à lui, la mouche sèche est mieux utilisable. Il permet en effet de raccourcir immédiatement la ligne et de ne pas laisser traîner et mouiller les mouches dans l’eau pendant les parcours vides.

À la fouette, comme toujours à la mouche, deux techniques se présentent : mouche sèche, mouche noyée. Généralement on peut pêcher indifféremment en remontant et en descendant, le courant étant presque nul. Cependant, si le courant est sensible, pêcher up stream en sèche, down stream en noyée. En mouche noyée, lancer, faire un petit relâcher, ferrer automatiquement sans attendre ou voir la touche ; ou bien lancer, laisser la mouche se noyer, faire un petit parcours de mouche glissée.

En mouche sèche, il est bon soit de laisser les mouches sur place pendant quelques secondes et de recommencer trois ou quatre lancers sur la même place — en eau profonde surtout, — soit d’imprimer aux mouches quelques petits mouvements sur place et même de faire un peu glisser en surface. Ces méthodes s’adressent à tous les poissons de surface, surtout au chevesne et à la vandoise.

Les mouches sont toujours les mêmes. Dans les mouches d’ensemble ou de fantaisie, ce seront surtout les palmers gris, noir, roux de toutes grosseurs ; les moyennes (ham. 12) conviennent à presque toutes les tailles de poissons. Nous en reparlerons, mais, en attendant, je recommande aux novices ou aux indécis les chenilles noires et rousses montées à 70 centimètres l’une de l’autre (tant pis si, quand on noie un poisson, l’autre mouche s’accroche) en toutes saisons, sauf décembre et janvier. À partir d’octobre, pêcher de 10 à 16 heures.

Pour les mouches exactes : reconnaître où savoir quel est l’insecte de saison parmi les éphémères, les phryganes, les nemoures, sialis, etc., et en utiliser une imitation, surtout s’il y a éclosion (printemps-automne).

Amis pêcheurs au tempérament contemplatif, qui aimez la solitude et le plaisir des yeux, faites de la fouette en canoë ; mais n’allez pas vous échouer sur un pêcheur du bord ...

Paul CARRÈRE.

Le Chasseur Français N°628 Juin 1949 Page 498