Le mois dernier, nous avons suivi l’alpiniste dans
son entraînement à la montagne, en particulier en école d’escalade. Mais
naturellement un grimpeur, même excellent, ne pourra s’attaquer à des courses
longues et difficiles sans une connaissance parfaite de la montagne,
connaissance qu’il mettra plusieurs années à acquérir.
Il y a cinquante ans, on ne concevait une ascension qu’avec
l’aide de professionnels ; les sans-guide étaient une exception. Le guide
ayant l’initiative et la responsabilité totales de la conduite de la course,
l’alpiniste n’avait pas à se préoccuper des conditions de la montagne ou du
temps, et ce n’est que peu à peu qu’il acquérait l’expérience de la montagne.
Aujourd’hui c’est la course avec guides qui est devenue la
moins courante. Les raisons en sont multiples et nous ne retiendrons que les
deux plus évidentes : d’une part les tarifs des courses sont élevés, à
juste titre d’ailleurs, car le guide a une saison très courte et court de
grands risques ; d’autre part l’attrait de la montagne est
considérablement accru par l’absence de professionnels et sa valeur éducative
pour les jeunes est bien plus grande en ce qui concerne la volonté, le courage,
l’esprit de décision, l’endurance.
Toutefois, en l’absence de guides, il faut éviter de laisser
partir vers la haute montagne des garçons sans expérience, et c’est le but des
grandes associations alpines que de leur enseigner progressivement, par des
stages en école d’escalade et dans les camps de haute montagne, les dangers et
les responsabilités auxquels ils auront plus tard à faire face lorsqu’ils
conduiront à leur tour des cordées.
Il est trois catégories de risques en montagne : ceux
qui proviennent de l’alpiniste lui-même ou subjectifs, ceux qui proviennent de
la montagne ou objectifs, enfin les changements de temps.
Des premiers, nous ne dirons que peu de chose, la plupart
étant évitables par une bonne connaissance de la technique alpine : la
prise de rocher qui casse, la marche qui cède sous le pied, le pont de neige
qui s’effondre peuvent causer des accidents mortels, mais rarement à des
alpinistes expérimentés. Si la corde est manœuvrée convenablement par les
autres membres de la cordée, il n’en résulte qu’une glissade ou une courte
chute bien vite oubliées.
Les seconds sont beaucoup plus graves, et nul n’est à l’abri
des chutes de pierres ou de séracs, ou des avalanches. Certaines années, la
montagne, trop dégarnie de neige par une longue période de sécheresse, laisse à
nu des rocs branlants fissurés par de multiples successions de gel et de dégel.
La pierre mortelle peut être délogée par une autre cordée,
mais aussi sûrement par le vent ou le soleil.
Les murailles surplombantes des glaciers suspendus, les
énormes blocs de glace des cascades de séracs, du fait de l’avance continue du
glacier, peuvent s’écrouler de nuit comme de jour ; c’est un risque assez
exceptionnel, mais dont on doit tenir compte en forçant l’allure dans les
passages exposés.
Quant aux avalanches, elles sont généralement limitées et
l’on apprend assez facilement à les éviter. On attendra prudemment quelques
jours après une grosse chute de neige, laissant à celle-ci le temps soit de
partir en avalanche, soit de se tasser sous l’action du soleil.
Les couloirs de neige raide sont fortement ramollis dans la
journée par le soleil ; on devra les gravir le matin lorsqu’ils sont
encore durcis par le gel, et attendre parfois, pour les redescendre, que le
froid du soir les ait suffisamment redurcis.
Le mauvais temps, qui en montagne vient toujours vite, peut
transformer en entreprise très difficile la course la plus anodine. Savoir
déceler son approche, savoir reculer à temps permettent d’éviter les plus
graves dangers.
Une grosse pluie n’est rien, mais on doit compter avec la
foudre et s’écarter des crêtes rocheuses ou neigeuses aussi vite que possible
en cas d’orage.
Le vent, le froid, à eux seuls, peuvent augmenter les
difficultés d’une course rocheuse ; une grosse chute de neige rendra les
rochers impraticables et retardera la cordée, nécessitant le bivouac dans de
dures conditions.
Le brouillard et la tourmente, sur un glacier même facile,
causeront des erreurs de route, et l’on connaît bien des exemples d’alpinistes
tournant en rond au Mont-Blanc ou sur le haut glacier du Géant, obligés de
passer la nuit sur place faute de pouvoir retrouver leur direction.
En prévision du mauvais temps, on devra toujours avoir dans
son sac des sous-vêtements chauds et des survêtements imperméables qui, pour un
faible poids supplémentaire, augmenteront considérablement la sécurité.
Mais, en montagne comme en toutes choses, l’expérience
personnelle seule compte, et les conseils de prudence répétés n’ont jamais
empêché les accidents. Chaque année, la liste des victimes de la montagne
s’allonge un peu plus, mais le pourcentage des accidents diminue et se trouve
bien plus faible que celui des accidents de la route.
P. CHEVALIER.
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