L’ensilage des fourrages est une technique déjà ancienne et,
après la guerre 1914-1918, elle a connu une vogue parfaitement justifiée, qui
s’est traduite par la construction de silos-tours métalliques qui dominent
encore les bâtiments de ferme de maintes exploitations. Une certaine
désaffection envers ce procédé n’a cependant pas tardé à se manifester, et
d’aucuns ont préféré revenir aux méthodes classiques de fanage ou recourir à
l’addition de sel dénaturé pour les conserver.
Il faut en chercher, semble-t-il, les raisons dans les frais
importants de construction des silos et aussi dans les échecs assez nombreux
dus à l’inobservation des précautions nécessaires pour éviter les altérations
dues à des fermentations malencontreuses. Les procédés alors employés portaient
le nom d’ensilage doux et d’ensilage acide, mais on tend à leur substituer
l’ensilage avec addition d’acide d’une réussite mieux assurée, à condition
évidemment de prendre quelques précautions indispensables pour assurer la
conservation de la masse ensilée en milieu acide et à l’abri de l’air.
On utilisera, au lieu des silos aériens, des silos-cuves de
forme cylindrique de 2 mètres de profondeur, enterrés de 1m,50
environ, d’un diamètre de 1m,50 à 4 mètres suivant la capacité
désirée. Il est préférable, du point de vue technique, de construire plusieurs
petits silos plutôt qu’un grand, car le remplissage doit s’effectuer en une
seule journée et la vidange ne doit pas durer plus de six semaines. Le prix de
revient à l’unité de volume s’en trouve accru, considération évidemment
importante que doit cependant primer la nécessité de réussir l’opération. Ces
silos sont habituellement en ciment et badigeonnés avec un vernis résistant aux
acides.
On peut ensiler n’importe quel fourrage, à condition de le
fractionner : trèfle incarnat, seigle, maïs, ray-grass, etc., mais la
qualité du fourrage mis en œuvre conditionnera la valeur alimentaire du produit
obtenu. On recherchera des plantes jeunes, qu’on fauchera au moment de leur
valeur maximum, c’est-à-dire au début de la floraison. Aussitôt coupé, sans
aucun fanage, le fourrage vert sera apporté au site, alors qu’il est encore
vivant. Si le charroi ou l’ensilage sont en retard sur la fauchaison, celle-ci
sera interrompue plutôt que de laisser le fourrage coupé connaître un
commencement de dessiccation.
Dans le silo, on tassera énergiquement, principalement sur
les bords, où le fourrage a tendance à rester soulevé. On disposera, au
contraire, le fourrage en forme de dôme de façon qu’après l’affaissement qui se
produira pendant la conservation, la surface conserve une forme légèrement
bombée nécessaire pour éviter les rentrées d’air.
Lit par lit, on arrose le fourrage d’acide étendu d’eau, ce
qui a pour effet d’asphyxier la plante et de détruire les ferments nuisibles.
Comme acide, on peut utiliser l’acide formique dilué à raison de 1 litre
d’acide pour 20 litres d’eau, ou bien encore un mélange comprenant 99
p. 100 d’acide chlorhydrique et 1 p. 100 d’acide phosphorique dilué à
raison de 1 litre de ce mélange d’acides pour 4 litres d’eau. Ces
acides sont caustiques, particulièrement l’acide formique, et leur manipulation
demande des précautions. Ils ne doivent être confiés qu’à des ouvriers
expérimentés et sérieux qui les mettront hors de portée des enfants et des animaux
pour éviter tout accident. Les récipients destinés à les recevoir seront en
bois, ou, s’ils sont en métal, seront protégés contre la corrosion par une
couche de goudron. Le personnel portera des vêtements qui n’auront plus rien à
craindre des brûlures de l’acide et sera chaussé de bottes de caoutchouc. Bien
entendu, le magasin qui conservera les touries d’acide sera fermé à clef.
La quantité de liquide à employer est de 5 à 6 litres
de solution pour 100 kilos de fourrage vert, si on utilise le mélange
acide chlorhydrique-acide phosphorique. Elle n’est que de 3 à 4 litres
avec l’acide formique. La couche de fourrage superficielle est arrosée avec une
double dose de solution acidulée.
En principe, le silo est rempli en une seule journée. Il
arrive parfois qu’on soit obligé de terminer le lendemain. C’est acceptable, mais
cependant à éviter dans la mesure du possible. Le silo est ensuite fermé par un
couvercle de terre glaise d’une épaisseur de 40 centimètres, en forme de
dôme, afin de faciliter l’écoulement des eaux de pluie. Ce bouchon est glacé
par addition de sel dénaturé, ce qui a pour effet d’augmenter l’étanchéité et
de favoriser le ruissellement de l’eau. Il est prudent de vérifier
soigneusement l’état de ce couvercle et de boucher immédiatement les fissures
qui apparaîtraient.
Le désilage se fait de même, couche par couche et non par
tranches. Comme il n’est pas question de remettre le couvercle de terre glaise,
on le remplace par un couvercle mobile formé de tôles légères. Sous cet abri,
et directement sur la masse de fourrage, on étend des sacs et des paillassons
pour éviter dans une certaine mesure le contact de l’air. On prélève chaque
jour la quantité de fourrage nécessaire à l’alimentation quotidienne des
animaux, mais on ne prend jamais la ration de deux ou plusieurs jours.
De même qu’avec tout aliment auquel l’appareil digestif des
animaux n’est pas habitué, on débutera par des rations réduites de silage,
qu’on augmentera progressivement. On pourra atteindre 25 kilos par jour
pour les vaches laitières, 50 kilos pour les bœufs. Avec les jeunes, on
tiendra compte de l’âge et du poids et même on restera assez circonspect. Les
moutons en consommeront 2 kilos par jour environ.
Il ne semble pas que l’acide qui a été ajouté au fourrage
soit de nature à causer des accidents. Cependant, si on a une crainte à cet
égard, on pourra ajouter à la ration de farineux des animaux 50 grammes,
par 10 kilos de silage, d’un mélange composé de 2/3 de craie et de 1/3 de
carbonate de soude.
L’ensilage apporte aux bovidés, en toutes saisons, et plus
particulièrement pendant l’hiver, un fourrage vert et vitaminé dont ils tirent
un excellent parti. Ce procédé permet, en outre, de conserver des fourrages qui
risqueraient d’être perdus lorsque les conditions météorologiques, ou
simplement la saison, rendent inutilisables les autres modes de conservation.
Il mérite donc d’être largement utilisé. Parmi les méthodes d’ensilage, la
méthode « avec addition d’acide » semble particulièrement
intéressante.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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