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La disgrâce du cygne

Le cygne est un fort bel oiseau : nul ne saurait le nier ; mais on le rencontre peu souvent dans les propriétés privées, et c’est surtout dans les jardins publics, en compagnie des canards mandarins et des flamants roses, qu’on peut désormais l’admirer. Sa place est pourtant bien indiquée chez tous ceux qui possèdent un étang ou une pièce d’eau de quelque étendue, où il saura joindre l’utile à l’agréable ; l’agréable, par la beauté de son plumage, l’harmonieuse courbe de son cou, l’élégance de ses ailes entr’ouvertes ; l’utile, par l’importante consommation qu’il fait d’herbes aquatiques et de larves de moustiques. Il est à remarquer, de plus, que les cygnes, étant surtout herbivores, ne s’attaquent pas aux poissons comme le font les canards. Et l’on estime qu’un hectare d’étang est nettoyé de ses herbes par un couple de ces oiseaux.

Le cygne domestique blanc est le plus beau de tous ; il laisse loin derrière lui le cygne noir, le cygne du Léman à gorge rouge, le cygne du Chili blanc à cou noir. Mais, unissant sans conteste l’élégance à la beauté, on s’étonne quelque peu de sa disgrâce actuelle ; la méchanceté qui lui est souvent attribuée, sa réputation d’animal de luxe coûteux à entretenir ont fait qu’il est maintenant assez difficile de trouver des œufs à couver ou de futurs reproducteurs. On arrive cependant, avec un peu de patience et de recherche, à vaincre cette difficulté.

Le cygne, avons-nous dit, est surtout herbivore, et, la plupart du temps, il peut se contenter des herbes aquatiques de la pièce d’eau où il évolue, si la superficie en est assez importante. Toutefois, en vue de le rendre plus familier et de parer à une éventuelle disette, il est bon de lui distribuer chaque jour, soit des verdures (choux, salades), soit de l’avoine ou des déchets de pain ; on donne de préférence cette ration sous une cabane ou un petit hangar réservé à cet effet : lorsque le besoin s’en fera sentir, il sera alors plus aisé d’attraper les jeunes ou les adultes. Mais on ne devra guère s’attendre à ce qu’un couple de cygnes choisisse cet endroit pour y installer son nid, comme beaucoup pourraient se l’imaginer ou l’espérer ; ce sont des oiseaux fort indépendants, et le mieux est de les laisser faire sur ce point. Ils s’installeront généralement sur un petit tertre, une butte de terre, d’où ils pourront mieux prévoir l’attaque de leurs ennemis. Et, pendant l’incubation, qui dure de quarante à quarante-cinq jours, il n’est pas conseillé à qui que ce soit, bêtes et gens, de s’approcher du nid que le mâle défend sans hésitation et avec ardeur, passant même à l’offensive s’il se croit attaqué ou menacé.

Dès que les jeunes cygnes sont éclos (il faut compter une moyenne de six petits par couvée), les parents leur apprennent aussitôt à rechercher leur nourriture, surtout composée d’herbes et d’insectes aquatiques. Très vigoureux, quoique craignant un froid précoce trop rude, il suffira de leur distribuer un supplément d’avoine et de verdure : ils s’habituent ainsi à l’homme et deviennent rapidement familiers. Ils sont, à la naissance, recouverts d’un duvet gris brun, qui devient franchement brunâtre à la fin de l’été, en même temps que commencent à pousser les grandes plumes des ailes : pour éviter toute évasion à cette époque, on aura pris le soin de les éjointer lorsqu’ils étaient âgés d’une huitaine de jours. Et leur vie s’écoulera sans histoire auprès de leurs parents, dont ils prendront peu à peu la livrée immaculée.

Le cygne est-il méchant ? Il est certain que c’est un oiseau de caractère indépendant ; lorsqu’il se sent menacé, sa riposte peut être vive et douloureuse pour celui qu’il considère en ennemi. Il est donc nécessaire d’agir avec douceur pour ne pas s’exposer inutilement à des coups de bec ou d’ailes ; ces coups peuvent même être dangereux pour des enfants : évitez donc que ces derniers ne l’approchent, afin d’empêcher qu’ils ne le mettent involontairement en colère par leurs gestes, leurs cris et leurs jeux. Et vos cygnes ne diront rien aux personnes qu’ils connaissent, surtout si elles ne les agacent ni ne les effraient.

N’hésitez donc pas, chaque fois que vous en avez la possibilité, à entretenir quelques cygnes, en tenant compte de l’étendue de la pièce d’eau où vous les installerez (il n’est pas question, en effet, d’imiter le comte d’Ilchester, lequel, dans sa propriété d’Albotsbury, en possédait plus d’un millier).

Et avouez que votre satisfaction ne sera pas feinte, le jour où vous ferez servir à vos invités un cygne rôti ! Pendant longtemps vos amis se souviendront de votre invitation : surtout qu’il est peu commun d’offrir à ses amis un tel plat, lorsque le maître de maison et l’éleveur ne font qu’un !

E. de JEANAY-CHALENS.

Le Chasseur Français N°628 Juin 1949 Page 514