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Castel en banlieue

Ce petit castel, à usage d’habitation familiale, a été édifié avant guerre, dans une charmante localité de la banlieue proche, où le peintre de l’Embarquement pour Cythère, Antoine Watteau, avait jadis sa résidence, où les Parisiens d’aujourd’hui viennent l’été se reposer, canoter sur la Marne ..., ou danser chez Convert. Parmi les grands arbres centenaires où chantent des milliers d’oiseaux, le terrain, situé à l’angle de deux rues qu’il domine comme un tertre, présente la forme d’un rectangle allongé assez étroit en façade sud, plus large côté est, d’où l’on peut dominer le panorama vers la vallée de la Marne. La rue côté sud allant en montant vers l’ouest, c’est naturellement vers l’angle sud-ouest que devait se placer l’entrée de la maison.

J’ai composé la maison sur le terrain, en fonction de l’emplacement, et selon la formule que je ne cesse de répéter : pour le site et pour l’habitant.

En vertu de ce principe, j’ai placé le salon et la salle à manger côté est, ainsi que les chambres 1 et 2 qui les surplombent, et j’ai fait déborder en encorbellement la chambre 3 pour avoir une porte-fenêtre à l’est avec petit balcon. La famille étant assez nombreuse, j’ai réduit l’entrée au minimum pour donner plus d’importance à la réception, et j’ai trouvé cinq chambres, deux greniers, un grand sous-sol.

Distribution.

— Après avoir ouvert la porte en ferronnerie avec motifs « soleils tournants » percée dans le mur de clôture en pierres apparentes, on arrive par quelques marches à la porte d’entrée de la maison, ornée de l’initiale en fer forgé du propriétaire constructeur, et protégée par un petit auvent. On entre dans le vestibule assez réduit où se trouvent :

    1° la porte du lavabo-vestiaire commandant le w.-c. ;
    2° le départ d’escalier ;
    3° la porte de descente de cave ;
    4° la porte de la salle à manger ;
    5° la porte à deux vantaux du salon.

On pénètre dans le salon (4m,20 x 3m,50) par une porte vitrée à deux vantaux de 1m,50 de large. Cette pièce s’éclaire par quatre fenêtres dans la partie formant tourelle : l’une à l’est, vers la vallée de la Marne, l’une au sud-est, qui prend d’enfilade la rue venant de la mairie, l’une au sud, vers la masse des grands arbres, la quatrième au sud-ouest, vers la rue montante. Ainsi, non seulement les vues sont très variées, mais l’ensoleillement s’effectue du matin au soir. Le salon communique avec la salle à manger par une porte pliante à quatre vantaux qui permet de les réunir. Malgré toutes ces ouvertures, il reste deux grands panneaux pour les meubles : un de 1m,70 pour le piano, un de 1m,80 pour la bibliothèque. Une table ronde se place vers les fenêtres sous lesquelles se développe en faible épaisseur un radiateur mural.

La salle à manger (4m,80 x 4m,30) ouvre par une très large baie avec porte-fenêtre centrale du côté est, vers la vallée de la Marne. Une cheminée, composée spécialement pour la pièce, se place dans un angle. La garniture du foyer est en carreaux de grès flammé mordorés, surmontée d’une tablette en chêne clair ; des poteaux en chêne de section trilobée montent jusqu’au plafond, où ils se retournent au-dessus d’un placard ouvrant, avec porte en chêne encadrant une glace : agencement intime et familial, plutôt que décor solennel. Sur deux grands panneaux de 3m,40 et de 3m,20, s’étalent le grand buffet et la grande desserte. Au centre, la grande table peut s’allonger pour recevoir de nombreux convives.

La cuisine (3 mètres x 2m,50) présente côté ouest, sous une fenêtre à l’appui élevé, les appareils en ligne : cuisinière à charbon, cuisinière à gaz, évier avec égouttoir. Le buffet et le frigidaire se placent sur deux autres panneaux. Du côté nord, entre deux petites fenêtres, la porte-fenêtre centrale donne accès au jardin.

L’escalier nous conduit au premier étage sur un palier central, où se trouvent les portes de trois chambres et de la salle de bains.

La chambre 1 (5m,10 x 3m,70), située dans la tourelle, s’éclaire par quatre portes-fenêtres situées au-dessus des quatre fenêtres du salon et protégées dans leur partie basse par quatre garde-corps en fer forgé formant soleils. Cette chambre comporte une cheminée en marbre, un grand lit avec table de chevet, une grande armoire sur le panneau de 3m,70, une table.

La chambre 2 (4 mètres x 3m,70) s’éclaire à l’est par trois fenêtres juxtaposées donnant sur la vallée. Nous y trouvons un grand lit et ses deux tables de chevet, une armoire, une commode, une table.

La chambre 3 (4m,20 x 3 mètres) avance en encorbellement au-dessus de la cuisine, dont elle abrite la porte de sortie sur jardin. Cet encorbellement forme bow-window rectangulaire avec une fenêtre à l’ouest, deux fenêtres au nord, une porte-fenêtre à l’est donnant sur un petit balcon pour l’ensoleillement matinal et la vue vers la Marne. C’est là que, durant les premières années qui suivirent la construction, le plus jeune fils de la maison faisait ses devoirs d’étudiant, son bureau de travail étant éclairé de trois côtés. La chambre comportait, outre ce bureau, un divan, une armoire, une commode.

La salle de bains (3 mètres x lm,50), située au-dessus de l’entrée, du lavabo-vestiaire et du w.-c., s’éclaire par quatre petites fenêtres carrées à l’appui élevé. Elle comporte baignoire, lavabo, bidet, w.-c.

L’escalier nous conduit encore au deuxième étage sur un palier central où nous trouvons les portes de deux grandes chambres légèrement mansardées et de deux greniers. L’une des chambres, située au-dessus de la tourelle, s’éclaire côté est par les deux fenêtres jumelées d’une grande lucarne, l’autre prend jour côté nord dans un pignon aigu.

Nous redescendons au sous-sol, où nous trouvons cave, caveau, chaufferie, grande buanderie pouvant être facilement transformée en garage avec entrée de niveau sur la rue en contre-bas, côté est.

Construction.

— La construction a été très soigneusement exécutée par les entrepreneurs locaux d’après les détails techniques et décoratifs établis avant le commencement des travaux pour permettre une réalisation méthodique. Ainsi la construction a pu être ce qu’elle devait toujours être : une histoire sans paroles — et surtout une histoire sans démolitions, réfections, improvisations malencontreuses sur le chantier. Certains détails sont ici plus compliqués que dans certains modèles précédents. La charpente de la tourelle comporte quatre fermes d’arêtiers. Il y a par ailleurs deux grandes noues dans la toiture. Ce surcroît de complication est la rançon de cette forme heureuse qui permet la variété des vues et de l’ensoleillement.

Aspect extérieur.

— Ce castel se présente fièrement sur son tertre avec sa tourelle qui lui donne un petit air seigneurial. Mais on se rend bien compte que cette tourelle est avant tout un observatoire et un solarium. Au point de vue esthétique, elle présente un important défaut : la grande lucarne côté est émerge désagréablement près du premier arêtier de la toiture, rompant la tranquillité des formes normales. Les nécessités de l’éclairage ont dû primer ici sur le souci de la forme pure.

Quelque temps avant la guerre, j’entendis deux personnes discutant dans la rue des mérites de cette maison. L’une la trouvait à son goût. L’autre déclarait : « Je n’aime pas ces maisons originales, elles sont mal commodes, il y a de la place perdue, c’est tout en recoins. » Je laisserai le soin de répondre à un nouvel occupant de la maison, professeur au collège local, qui me disait il y a deux ans :

« Au cours de mes nominations et mutations, nous avons habité et visité bien des maisons. Nous n’en avons trouvé aucune, jusqu’à présent, susceptible de nous donner autant que celle-ci la commodité, le confort, l’agrément de la vie familiale. »

Compliment excessif : comme le coureur cycliste, nous tâcherons de faire mieux la prochaine fois.

Gérard TISSOIRE.

Le Chasseur Français N°628 Juin 1949 Page 516