Depuis cinq ou six ans que les savants ont réussi à
désintégrer massivement l’uranium et le plutonium, grâce au phénomène de la
« fission en chaîne », une arme terrifiante a été mise à la
disposition des hommes. Mais de grands espoirs pacifiques se sont donné en même
temps libre carrière. Songeons qu’un seul gramme de matière
« fissible » fournit la même quantité d’énergie que 2.700 kilogrammes
de charbon ou que 2 tonnes de pétrole ! ... De tels chiffres ne
font-ils pas rêver à une libération de l’humanité, enfin affranchie de
l’antique esclavage du travail corporel ?
La pile atomique, chaudière gratuite.
— Mais attention ! L’atome est explosif, personne
ne l’ignore : le problème consiste à obtenir le dégagement d’énergie, non
plus en un millième de seconde, comme à Bikini, ou Hiroshima, mais progressivement,
comme dans un moteur d’automobile ou, plus exactement, dans une lampe à souder.
La solution a été apportée par la pile atomique, ce
puissant instrument scientifique industriel que les Anglo-Saxons appellent
« réacteur nucléaire ». Un échantillon sympathique, mais de très
faible puissance, la fameuse « ZOE » vient d’être installé en France
au Fort de Châtillon.
Constituée par des masses d’uranium ou de plutonium,
séparées par du graphite ou de l’eau lourde et qui se bombardent mutuellement à
coups de neutrons, la pile est essentiellement une source de chaleur ...
N’allons pas trop vite : il n’est pas encore question d’éteindre nos
fourneaux et de remplacer nos radiateurs par des piles assagies ! Mais les
grandes piles que l’on sait actuellement construire conviennent parfaitement
pour des réalisations industrielles, notamment la propulsion des
navires ...
Et c’est ainsi que le gouvernement fédéral américain vient
de confier à la Westinghouse Cy la construction de la première machinerie
atomique, destinée à un navire de guerre.
Une dangereuse machine.
— Dans cette installation d’un type nouveau, la
chaudière sera remplacée par une pile atomique. De l’eau pure, refoulée par
des pompes, viendra passer dans des serpentins logés à l’intérieur de la pile,
où elle se vaporisera. Cette vapeur fera tourner des turbines entraînant les
hélices du bateau.
Pour éviter toute catastrophe, des freins à neutrons
automatiques interviendront, sous la forme de lames de cadmium ou d’acier au
bore, introduites, par des ouvertures, à l’intérieur de la pile, grâce à des
thermomètres-robots.
On a songé, également, à utiliser, au lieu d’eau, du mercure,
dont la vapeur à 900° ferait tourner les turbines, avec un excellent rendement.
En se liquéfiant dans un condenseur intermédiaire à 400 ou 500°, le mercure
provoquerait la vaporisation d’eau, permettant de faire tourner une seconde
série de turbines.
Alerte ... panne atomique !
— Tout n’est malheureusement pas que roses dans ces
innovations audacieuses. Il ne faut pas oublier que l’énergie atomique est
extrêmement dangereuse pour les êtres vivants ; la pile projette des
radiations corpusculaires dangereuses, principalement formées de neutrons, qui
traversent les parois d’acier des appareils et viennent tuer les êtres vivants
situés dans le voisinage par destruction des globules rouges du sang.
Une « protection » imposante est donc nécessaire.
Au Fort de Châtillon, un énorme cube de ciment a dû être construit autour de la
chétive ZOE. Pour une machinerie de 150.000 CV, normale à bord d’un
cuirassé, il faut compter sur 800 tonnes d’acier et de béton rien
qu’autour de la pile. Des écrans supplémentaires seront également nécessaires
autour des échangeurs de température et des turbines.
La situation deviendra catastrophique en cas de panne, aucun
travail d’entretien, aucune réparation n’étant possibles à la mer. Toutes les
parties de la machinerie atomique, longuement soumises au bombardement par
neutrons, seront radio-actives. Personne ne pourra pénétrer dans ces
locaux, plus périlleux qu’un four à haute température ; il faudra ramener
le navire au port et attendre plusieurs mois, avant que les ouvriers
puissent pénétrer dans les compartiments.
Si la technique réussit à surmonter ces difficultés
— et la technique va vite aujourd’hui ! — la propulsion
atomique apportera à la navigation, commerciale et militaire, de
gigantesques avantages. Les navires deviendront absolument indépendants,
circulant pendant deux ans et davantage sans se ravitailler. L’emplacement des
soutes à combustible deviendra disponible pour l’armement ou le fret ;
d’incroyables vitesses seront réalisées et des sous-marins géants pourront
circuler indéfiniment dans les abîmes, réalisant le grand rêve du capitaine Nemo !
Pierre DEVAUX.
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