Il semble inutile de donner une explication de ce mot qui se
définit tout simplement : « la science qui étudie les facultés de
l’ouvrier au travail », qui est elle-même le chapitre essentiel de
l’ergologie (science générale du travail).
Ces définitions données, voyons de quoi il s’agit :
L’homme assimilé à une machine, il s’agit de déterminer le
rendement humain, non seulement en fonction des qualités individuelles des
travailleurs, mais aussi des conditions techniques et matérielles du travail,
de sorte que l’ergologie tend simplement vers la sélection et l’orientation
professionnelles optima, la machine humaine.se trouvant, s’il y a lieu, ménagée
et perfectionnée pour elle-même. On conçoit tout l’intérêt technologique et
social de ces procédés, à une époque comme la nôtre, où la rivalité et la lutte
sont les mots d’ordre de la réussite matérielle.
Il va de soi que, l’homme en tant que matériel humain étant
un tout complexe, l’ergologie tire ses sources aux différentes formes de
l’intelligence que le travailleur met en œuvre : c’est ainsi qu’adresse et
habileté de la majorité des ouvriers réellement « manuels » les
valorisent beaucoup plus que leur force physique ; cependant leurs
facultés psychologiques se trouvent subordonnées aux caractères
biologiques : sans être malades, deux hommes normaux peuvent être
extrêmement différents, et c’est le cas de dire avec le Dr Knock
(sans ironie !) que « les bien-portants sont des malades qui
s’ignorent » et pour nous, ergologistes, les conséquences de travaux
incompatibles avec certains candidats peuvent être désastreuses : ceci
évoque, par exemple, un cardiaque comme wattman ou mécanicien des chemins de
fer — ce qui se passe de commentaires.
Ainsi donc l’examen de tous les facteurs purement
physiologiques s’avère nécessaire (force, endurance, capacité pulmonaire,
métabolisme), celui des organes moteurs et sensoriels ... jusqu’à celui de
la résistivité de l’épiderme. Mais la psychotechnie proprement dite s’adresse
plus spécialement à « l’intelligence technique », qui se traduit par
des problèmes concrets : le jeu de patience, ou « puzzle » des
Anglais, donne une idée assez juste de ce qui est demandé au candidat. Traités
par le jugement et le coup d’œil, c’est-à-dire par l’intuition géométrique ou
mécanique, ces problèmes sont moins abstraits, et en ce sens leur solution
annonce l’« intelligence technique », que confirme la manipulation
réelle d’objets ou de groupes d’objets : ici l’habileté manuelle vient
doubler l’intelligence technique abstraite, et tour à tour la mémoire des
nombres, l’intuition des formes, la coordination des mouvements constituent le
cycle des épreuves qui étalonnent ce test d’intelligence technique.
Ce n’est pas tout : en dehors de la physiologie et de
l’intelligence, se place une dernière série d’expériences dites tests d’analyse
ou tests de synthèse. Les uns et les autres, spécifiques à chaque métier, ont
par là une très grosse importance, en particulier les premiers, qui permettent
de déceler chez un sujet les fonctions et qualités entrant en jeu dans un
travail donné.
Nous voilà donc en possession de « mesures » :
comment les utiliser ? Avant tout, il importe de déterminer l’« étalon
type », c’est-à-dire ce qu’est un sujet moyen, et c’est en comparaison de
celui-ci que les tests fournis par un candidat seront enregistrés sur un
graphique en donnant un « profil » propre à chacun : bien
entendu, il va de soi que le graphique étalon variera à l’infini et comprendra
la totalité ou un certain nombre des différents tests suivant le métier, et
pour chaque métier suivant telle « spécialité » : on en arrive
ainsi à une sélection professionnelle très sévère qui, de ce fait, oriente de
plus en plus vers la spécialisation individuelle : de sorte que
l’ergologie a le double intérêt d’éclairer d’abord l’orientation
professionnelle, c’est-à-dire les aptitudes de chacun pour tel métier, et
d’autre part d’éclairer la sélection professionnelle, c’est-à-dire pour
un métier donné les capacités les mieux adaptées à tel travail. Dans le premier
cas, on aborde essentiellement la « psychotechnie » vraie :
goûts, penchants de chacun ; dans le second cas, les capacités résultant
de celle-ci, en quelque sorte concrétisées.
Et voici quelques résultats de l’ergologie appliquée
— en ce qui concerne les transports en général.
Tandis que, à Paris, en dix ans, autobus et tramways
augmentaient de 34 p. 100, le nombre des accidents dus aux conducteurs
diminuait d’un chiffre égal ; de même la distance parcourue par un
conducteur quelconque, avant qu’il ne provoque un accident, est devenue de
trois fois supérieure à ce qu’elle était avant.
À la S. N. C. F., pour un même atelier, l’évolution
des accidents a pareillement été contrôlée et a abouti à des constatations très
intéressantes, que voici :
1° D’abord, ce sont toujours les mêmes ouvriers qui se
blessent ou blessent autrui.
2° Entre deux spécialistes de même nature (deux aiguilleurs
par exemple) reconnus l’un bon, l’autre inférieur, tous les tests du
premier sont supérieurs à ceux de l’autre, sans que les « profils »
n’arrivent même à se chevaucher.
Enfin, troisième remarque : avec le temps, ou plutôt
avec l’âge, les qualités du premier s’accentuent, de même les défauts du
deuxième, et ainsi on conçoit l’importance — au départ — d’une
minutieuse sélection professionnelle.
Ainsi, dans tous les ordres de professions manuelles, la psychotechnie,
et d’une façon générale l’ergologie, a porté déjà ses fruits, et le dernier mot
n’est pas dit encore.
Mais, diront les adversaires, cette « science du
travail » (étymologiquement et pratiquement l’ergologie n’est pas autre
chose), cette science du travail tend à « exclure » l’individu et à
en faire un rouage automatique. Non, pourtant. Pourquoi l’automatisme serait-il
ravalé presque au rang des défauts ? C’est une qualité à acquérir, tout
comme l’habileté manuelle par exemple. Il y a plus : l’esprit de l’homme
se trouve ainsi moins « asservi », plus libre : l’automatisme
manuel n’est pas plus inférieur que l’automatisme des doigts du virtuose sur le
clavier ou l’archet.
Enfin, pour conclure, nous dirons — c’est une simple
constatation, — nous dirons que l’ergologie généralisée englobe toute
l’activité économique d’une nation ; producteur et consommateur sont liés,
doivent confondre leur « vitesse de production et de consommation »
sous peine d’un monstrueux désaccord — déjà grand — et qui peut
l’être encore plus.
LAGUZET.
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