Le hasard, que nous déplorons d’ailleurs, a voulu que notre
récente critique sur la boxe de combat soit illustrée par une nouvelle victime,
le jeune Africain du Nord Mekaoui, qui s’ajoute aux sept cas de k.-o. mortels
que nous avions signalés. On nous signale de nouveaux cas de décollement de la
rétine. Enfin, il est peu flatteur pour notre époque d’être obligé de constater
que, pour plaire aux J-3 actuels, les hebdomadaires sportifs illustrés se
concurrencent pour satisfaire, en première page, à leur soif de sang, à qui
présentera le visage, presque en grandeur naturelle, le plus mutilé et le plus
sanglant à la sortie du ring.
Mais cet article sans prétention nous a valu quelques
réponses intéressantes, parmi lesquelles nous retiendrons plus spécialement l’avis
autorisé de M. Dessandier, qui est à la fois ancien boxeur et, en tant que
professeur à l’École normale d’Éducation physique, un technicien averti.
Après avoir déploré comme nous les abus auxquels donne lieu
la boxe de combat telle qu’on la pratique aujourd’hui, il accuse formellement
les gants actuellement employés d’être responsables des accidents signalés.
Et, cette fois, je partage franchement son opinion. Car, au
lieu de proposer une modification du poids ou de la confection des gants afin
de les rendre plus vulnérables, comme le faisait M. Langlois, il pousse
beaucoup plus loin et désire le retour à la boxe à main nue, ou, en tout cas,
protégée d’un simple gant mince, léger et sans bandage, avec lequel les
accidents mortels ne seraient pas à redouter.
« Il est remarquable, dit M. Dessandier, que la
boxe à poings nus ne peut provoquer de tels accidents.
» D’abord parce que celui qui frappe se fait mal,
ensuite parce que celui qui encaisse ressent vivement le coup.
» Un coup avec un gant de 10 à 12 onces ébranle
très désagréablement, sourdement, la tête. J’ai l’impression qu’on récupère mal
après ce genre de coup. Au contraire, un coup de poing nu — j’en ai fait
l’expérience — marque très vite la peau, mais laisse la tête moins
« sonnée », et de loin.
» Le knock-out est aussi plus difficile à réaliser avec
le poing nu. Il faut pour l’obtenir frapper avec précision, sans qu’il y ait
besoin d’y mettre une grande puissance !
* * *
Je me range franchement à cette opinion qui, finalement,
revient à souhaiter, comme je le souhaitais dans ces colonnes, que la boxe soit
pratiquée, telle l’escrime, comme un « assaut », et non comme un
combat. Or en quoi consiste avant tout l’art de la boxe, le « noble
art » ? À ne pas recevoir de coups et à en donner si l’on peut.
Certes, tous les coups de poing sont redoutables, mais d’autant plus qu’ils
sont « sourds », et qu’ils ne provoquent pas le réflexe de défense
mis en branle par la douleur des téguments.
De plus, que recherchons-nous : la belle boxe, la
démonstration d’une technique faite de vitesse, d’adresse, de souplesse, de
précision, de détente, le tout au service d’un jeu de jambes qui constitue
l’une des bases du succès — et non pas la seule suprématie de la force
brutale. La boxe diffère déjà assez des autres sports en ce fait que, pour
éviter des morts en série, on est obligé de diviser les boxeurs en catégories
selon leur poids, pour que dans chaque catégorie on n’assure pas, comme c’est
le cas avec les gants actuels et les méthodes actuelles, la certitude de la victoire
au plus fort « cogneur » contre le meilleur « boxeur ». À
mains nues, l’art et l’intelligence lutteront à armes égales contre la
puissance et la force pures.
Et cela nous éviterait peut-être cette
« habitude » scandaleuse et antisportive qui permet à un champion de
boxe, sous prétexte qu’il est professionnel et multimillionnaire, de narguer
les lois les plus élémentaires de la logique et de l’honnêteté sportives,
puisqu’il est autorisé à ne mettre son titre en jeu que quand il lui plaît et
contre qui il daigne. C’est tout juste s’il ne choisit pas lui-même son
adversaire. Ce qui est plus invraisemblable encore, mais vrai, hélas ! c’est
que le bon public, qui se prétend « sportif » parce qu’il ne rate pas
un grand match au Vel’ d’Hiv’, se laisse faire avec complaisance et paie
d’autant plus cher sa place qu’on se moque de lui avec plus de cynisme. Comment
peut-il exister de nos jours une compétition que l’on puisse gagner autrement
que par la voie normale des éliminatoires, des demi-finales et de la finale ?
Comme on le fait pour ces galeux, ces pelés ... que sont les
amateurs !
* * *
Enfin, la « main nue » nous ramènerait à la
logique. Il y a en effet deux sortes de sports. Les sports dits athlétiques
(courir, nager, sauter, etc.), dans lesquels l’homme doit lutter seul contre
les éléments de la nature, ou contre un rival de son espèce. Et les sports
« avec accessoires », où, pour augmenter vitesse ou puissance,
l’homme s’aide d’un engin (roue, ski, aviron, voile, épée), ou d’un moteur ou
d’une machine (sports mécaniques).
Incontestablement, la boxe rentre dans la catégorie des
sports naturels, celle où l’homme doit se battre avec ses seuls moyens.
Alors, pourquoi lui donner des gants, qui ne sont pas d’ailleurs des gants
protecteurs, mais des armes redoutables ? Pourquoi pas un coup de poing
américain, ou une matraque, ou un pistolet ?
De deux choses l’une : ou bien on veut nous présenter,
pour des raisons commerciales, la boxe comme un spectacle de Grand-Guignol ou
comme un combat de coqs. Alors, qu’on donne aux boxeurs des gants d’acier,
comme on donne aux coqs des ergots d’acier, et que, pour que le public 1949
soit content, on les fasse boxer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais, dans ce
cas, n’oublions pas que la décadence et l’effondrement du grand empire romain a
suivi de près le remplacement des Jeux olympiques classiques par les combats de
gladiateurs et de pancrace à main armée, dans lesquels le public décidait
lui-même si le combat devait se poursuivre jusqu’à la mort !
Ou bien nous voulons que le « noble art » (quelle
ironie !) reste un sport digne de ce nom et digne d’attirer à lui la
jeunesse d’un pays civilisé : alors, boxons à main nue, comme nous nageons
sans hélices, comme nous sautons sans tremplin et courons sans moteur. Soyons
— c’est la moindre des choses — logiques avec nous-mêmes et avec la
définition du sport.
Dr Robert JEUDON.
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