Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°629 Juillet 1949  > Page 550 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

La boxe qui tue

Arrêtez le massacre !

Le hasard, que nous déplorons d’ailleurs, a voulu que notre récente critique sur la boxe de combat soit illustrée par une nouvelle victime, le jeune Africain du Nord Mekaoui, qui s’ajoute aux sept cas de k.-o. mortels que nous avions signalés. On nous signale de nouveaux cas de décollement de la rétine. Enfin, il est peu flatteur pour notre époque d’être obligé de constater que, pour plaire aux J-3 actuels, les hebdomadaires sportifs illustrés se concurrencent pour satisfaire, en première page, à leur soif de sang, à qui présentera le visage, presque en grandeur naturelle, le plus mutilé et le plus sanglant à la sortie du ring.

Mais cet article sans prétention nous a valu quelques réponses intéressantes, parmi lesquelles nous retiendrons plus spécialement l’avis autorisé de M. Dessandier, qui est à la fois ancien boxeur et, en tant que professeur à l’École normale d’Éducation physique, un technicien averti.

Après avoir déploré comme nous les abus auxquels donne lieu la boxe de combat telle qu’on la pratique aujourd’hui, il accuse formellement les gants actuellement employés d’être responsables des accidents signalés.

Et, cette fois, je partage franchement son opinion. Car, au lieu de proposer une modification du poids ou de la confection des gants afin de les rendre plus vulnérables, comme le faisait M. Langlois, il pousse beaucoup plus loin et désire le retour à la boxe à main nue, ou, en tout cas, protégée d’un simple gant mince, léger et sans bandage, avec lequel les accidents mortels ne seraient pas à redouter.

« Il est remarquable, dit M. Dessandier, que la boxe à poings nus ne peut provoquer de tels accidents.

» D’abord parce que celui qui frappe se fait mal, ensuite parce que celui qui encaisse ressent vivement le coup.

» Un coup avec un gant de 10 à 12 onces ébranle très désagréablement, sourdement, la tête. J’ai l’impression qu’on récupère mal après ce genre de coup. Au contraire, un coup de poing nu — j’en ai fait l’expérience — marque très vite la peau, mais laisse la tête moins « sonnée », et de loin.

» Le knock-out est aussi plus difficile à réaliser avec le poing nu. Il faut pour l’obtenir frapper avec précision, sans qu’il y ait besoin d’y mettre une grande puissance !

*
* *

Je me range franchement à cette opinion qui, finalement, revient à souhaiter, comme je le souhaitais dans ces colonnes, que la boxe soit pratiquée, telle l’escrime, comme un « assaut », et non comme un combat. Or en quoi consiste avant tout l’art de la boxe, le « noble art » ? À ne pas recevoir de coups et à en donner si l’on peut. Certes, tous les coups de poing sont redoutables, mais d’autant plus qu’ils sont « sourds », et qu’ils ne provoquent pas le réflexe de défense mis en branle par la douleur des téguments.

De plus, que recherchons-nous : la belle boxe, la démonstration d’une technique faite de vitesse, d’adresse, de souplesse, de précision, de détente, le tout au service d’un jeu de jambes qui constitue l’une des bases du succès — et non pas la seule suprématie de la force brutale. La boxe diffère déjà assez des autres sports en ce fait que, pour éviter des morts en série, on est obligé de diviser les boxeurs en catégories selon leur poids, pour que dans chaque catégorie on n’assure pas, comme c’est le cas avec les gants actuels et les méthodes actuelles, la certitude de la victoire au plus fort « cogneur » contre le meilleur « boxeur ». À mains nues, l’art et l’intelligence lutteront à armes égales contre la puissance et la force pures.

Et cela nous éviterait peut-être cette « habitude » scandaleuse et antisportive qui permet à un champion de boxe, sous prétexte qu’il est professionnel et multimillionnaire, de narguer les lois les plus élémentaires de la logique et de l’honnêteté sportives, puisqu’il est autorisé à ne mettre son titre en jeu que quand il lui plaît et contre qui il daigne. C’est tout juste s’il ne choisit pas lui-même son adversaire. Ce qui est plus invraisemblable encore, mais vrai, hélas ! c’est que le bon public, qui se prétend « sportif » parce qu’il ne rate pas un grand match au Vel’ d’Hiv’, se laisse faire avec complaisance et paie d’autant plus cher sa place qu’on se moque de lui avec plus de cynisme. Comment peut-il exister de nos jours une compétition que l’on puisse gagner autrement que par la voie normale des éliminatoires, des demi-finales et de la finale ? Comme on le fait pour ces galeux, ces pelés ... que sont les amateurs !

*
* *

Enfin, la « main nue » nous ramènerait à la logique. Il y a en effet deux sortes de sports. Les sports dits athlétiques (courir, nager, sauter, etc.), dans lesquels l’homme doit lutter seul contre les éléments de la nature, ou contre un rival de son espèce. Et les sports « avec accessoires », où, pour augmenter vitesse ou puissance, l’homme s’aide d’un engin (roue, ski, aviron, voile, épée), ou d’un moteur ou d’une machine (sports mécaniques).

Incontestablement, la boxe rentre dans la catégorie des sports naturels, celle où l’homme doit se battre avec ses seuls moyens. Alors, pourquoi lui donner des gants, qui ne sont pas d’ailleurs des gants protecteurs, mais des armes redoutables ? Pourquoi pas un coup de poing américain, ou une matraque, ou un pistolet ?

De deux choses l’une : ou bien on veut nous présenter, pour des raisons commerciales, la boxe comme un spectacle de Grand-Guignol ou comme un combat de coqs. Alors, qu’on donne aux boxeurs des gants d’acier, comme on donne aux coqs des ergots d’acier, et que, pour que le public 1949 soit content, on les fasse boxer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais, dans ce cas, n’oublions pas que la décadence et l’effondrement du grand empire romain a suivi de près le remplacement des Jeux olympiques classiques par les combats de gladiateurs et de pancrace à main armée, dans lesquels le public décidait lui-même si le combat devait se poursuivre jusqu’à la mort !

Ou bien nous voulons que le « noble art » (quelle ironie !) reste un sport digne de ce nom et digne d’attirer à lui la jeunesse d’un pays civilisé : alors, boxons à main nue, comme nous nageons sans hélices, comme nous sautons sans tremplin et courons sans moteur. Soyons — c’est la moindre des choses — logiques avec nous-mêmes et avec la définition du sport.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 550