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Les forêts

et les problèmes de sylviculture

Nous avons abordé dans ces colonnes, au cours des précédentes causeries, des problèmes de nature, de quantité et de qualité des produits de la forêt. Nous avons mis l’accent sur la nécessité d’une économie stricte dans l’utilisation du matériau bois, que nos forêts françaises ne nous donnent pas en quantité et qualité partout suffisantes pour satisfaire à nos besoins.

Ceci n’est pas un problème né entièrement de la dernière guerre, laquelle n’a fait, avec toutes ses destructions, qu’aggraver la situation. Cet état de fait entraîne malheureusement un déséquilibre dans notre balance commerciale, car il nous fallait déjà avant 1939, importer, principalement sous forme de papier, pâte à papier, ou bois pour pâte à papier, l’équivalent d’environ 2.400.000 mètres cubes de bois.

En face de ce chiffre, qui représente la production annuelle en bois de cette catégorie d’une forêt de près de un million d’hectares, nous notons que 7 millions d’hectares de friches ou terrains improductifs existent en France, sur lesquels la moitié, formés de glaciers, rochers, etc., ne saurait nourrir des forêts.

Les Pouvoirs publics se sont depuis longtemps préoccupés de ce problème, puisque des facilités nombreuses ont été accordées aux propriétaires de bois ou forêt, tant en subventions pour boisements ou reboisements, ou équipements des massifs forestiers, qu’en aide pour la gestion, ou en réduction sur les droits de mutation, ou même en exemption d’impôt sur les reboisements, toutes mesures qui ont fait l’objet de lois ou réglementations diverses fort intéressantes pour les propriétaires.

Telle qu’elle est, notre forêt française, trop restreinte en surface, produit trop peu par ailleurs, ou, par places donne des produits sans grand intérêt. Ceci tient aux diverses formes de traitement et à l’évolution normale intervenue dans l’utilisation des ressources du sol. À partir du XIXe siècle, le développement massif dans l’exploitation de la houille a, en effet, rendu sans intérêt une partie de l’énorme production de chauffage de nos forêts de l’époque. En même temps, les besoins en bois d’œuvre, en bois de mines, en bois à papier augmentaient considérablement. À la production de rondin, de charbonnette, il fallait substituer la production de bois de grosses dimensions, remplacer autant que possible le taillis par quelque chose de mieux à ce point de vue : le taillis sous futaie ; et, si les conditions le permettaient, remplacer le taillis sous futaie par la futaie. Les forestiers français se sont attelés à cette tâche et ont, depuis un siècle, magnifiquement réussi dans les forêts domaniales et communales. Beaucoup trop de forêts particulières, malheureusement, ne donnent encore qu’une production insuffisante en quantité et qualité, pour le plus grand dommage de leurs propriétaires et de la France elle-même.

1° Le taillis : il couvre encore en France 3.200.000 hectares et revêt des formes nombreuses et variées selon les climats et les essences. C’est un mode d’exploitation simple, car il n’est fait appel pour le renouveler qu’aux rejets qui naissent sur les souches après l’exploitation. Ils y apparaissent en une touffe, la trochée ou la cépée, qui grandit rapidement et donne :

— au bout d’une quinzaine d’années, avec le chêne, des produits intéressants sous forme d’écorce à tan ;

— au bout de vingt-cinq ans environ, de bons piquets dans le chêne, le châtaignier et le robinier, vulgairement nommé acacia ;

— au bout de trente, trente-cinq ans, les taillis de toutes ces essences donnent du chauffage en beau rondin ; mais c’est, pour cet usage, le charme qui est le plus apprécié. Le bois de châtaignier surtout et le chêne lui-même sont, en outre, la matière premiers de l’industrie des extraits tannants, qui utilise du bois à dimension de rondin.

Le taillis a été longtemps aussi le producteur de bois à charbon, et c’est encore à cet usage que les maigres taillis de chênes verts des pentes sud des collines méridionales de notre pays sont utilisés.

— au delà de trente-cinq ou quarante ans, les produits sont bien sûr plus gros et plus recherchés comme chauffage, mais la pousse difficile des rejets sur les vieilles souches rend délicate la régénération de la forêt. En pratique, il ne convient pas de conduire la forêt au delà de trente-cinq ans. Son traitement est des plus simples, puisqu’il suffit de couper chaque année un trente-cinquième de la surface, quelle qu’en soit l’importance.

2° Le taillis sous futaie a sur le mode de traitement précédent un gros avantage. Il donne à la fois, par le taillis qui forme la masse principale, une masse importante qui peut être fagots, piquets, perches, chauffage, spécialement intéressants dans une exploitation agricole. Mais, par ses arbres — ce que les forestiers appellent, les réserves qui vivront, si le taillis est coupé tous les trente ans par exemple, soixante, quatre-vingt-dix, etc. ou cent cinquante ans, etc.,— il donnera en outre toute une gamme de produits allant du piquet refendu, au poteau, à la charpente et jusqu’au sciage, dont l’excédent, non utilisé pour l’entretien du domaine, pourra être avantageusement lancé dans le commerce. Dans les réserves se trouveront des bois de valeur : chêne surtout, châtaignier, fruitiers, orme, érable, quelquefois hêtre, et le taillis comprendra, outre ces essences, du charme souvent en abondance. C’est dire la variété, en dimensions et qualité, des produits que l’on pourra retirer de l’exploitation d’une telle forêt. Ce type se recommande comme annexe d’une exploitation agricole ; il est aussi très apprécié des collectivités qui distribuent des affouages. À cela, et au nombre des petits propriétaires forestiers, nous devons rattacher l’importance de ce type de forêt en France, où il couvre encore 3.300.000 hectares.

Mais alors qu’une statistique de l’Administration des Eaux et Forêts de 1945 chiffre par hectare et par an :

    — 0m3,05 de bois d’œuvre et 3st,8 de chauffage, production du taillis ;
    — 0m3,35 de bois d’œuvre et 3st,8 de chauffage, production du taillis sous futaie ;

elle donne, dans les mêmes conditions, pour les futaies :

    — 1m3,8 de bois d’œuvre et 1st,8 de chauffage pour la futaie feuillue ;
    — 2m3,1 de bois d’œuvre et 1 stère de chauffage pour la futaie résineuse.

Malheureusement, ce type de forêt formée uniquement de grands arbres nés de graines, soit naturellement en forêt, soit après semis ou plantation de main d’homme, et qui vivront selon leur essence jusqu’à cent ou deux cent cinquante ans, ne couvre en France que 1.200.000 hectares en feuillus et 3 millions d’hectares en résineux. C’est trop peu pour nos besoins.

La futaie est d’ailleurs une forêt plus difficile à bien conduire ; elle immobilise longtemps, sur pied, un gros capital et elle est l’apanage de l’État, de grandes collectivités ou de grands domaines privés. Beaucoup de communes, cependant, qui possèdent de grands domaines forestiers, auraient avantage à en prévoir la transformation progressive en futaie régulière. Pour les plus petits domaines, la futaie dite jardinée permet d’obtenir sur de faibles surfaces les avantages de ce traitement. Elle est facilement praticable avec certains résineux, comme le sapin et l’épicéa ; elle l’est aussi avec le hêtre. Mais pins, avec lesquels elle n’est pas praticable, et épicéas, qui trouvent sur le marché des bois des débouchés intéressants, même aux petites dimensions, ne justifient pas ce traitement. La futaie jardinée est, de même, impraticable avec le chêne.

Dans l’état actuel, la forêt française produit annuellement pour 10.760.000 hectares, environ 10.300.000 mètres cubes de bois d’œuvre et 30 millions de stères de bois de feu. C’est trop peu pour les premiers, et trop pour les seconds. Nous verrons dans un certain nombre de cas quels sont les moyens propres à augmenter la surface, ou la production, ou la qualité des produits.

Produire beaucoup, vite et bien, telle est la préoccupation des propriétaires forestiers, et ils sont nombreux, puisque, en gros :

    — 1.450.000 d’entre eux possèdent moins de 10 hectares chacun ;
    — 64.000 entre 10 et 50 hectares ;
    — et 19.000 plus de 50 hectares, pour un total de 6.700.000 hectares, alors que l’État et les collectivités publiques ne possèdent à eux tous que 4 millions d’hectares.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 558