C’est, d’après Brillat-Savarin, le sentiment intérieur du
besoin de boire, dont il place le siège dans le système digesteur, et il en
distingue plusieurs variétés, dont une « soif adurante » quasi
inextinguible, comme celle qui survint chez lui et quelques amis au cours d’une
chasse au Plan d’Hotonne.
Il y a, en effet, deux formes de soif, l’une quasi
physiologique, facile à calmer par l’ingestion de liquide (qui n’est pas
nécessairement de l’eau pure), et l’autre qu’on peut qualifier de pathologique,
réellement inextinguible, car elle persiste malgré l’ingestion d’une grande
quantité d’eau.
La soif, comme la faim, comme la douleur, n’est autre chose
qu’un signal d’alarme indiquant qu’il se passe quelque chose d’anormal dans
notre organisme ; la cause ne se trouve pas dans le « système
digesteur », comme le croyait l’auteur de La Physiologie du Goût,
mais bien dans le milieu intérieur, dans le sang. Parmi les constantes
biologiques auxquelles ce liquide est strictement soumis, une des plus
importantes est sa teneur en chlorure de sodium, en sel marin ; aussi le
corps s’efforce-t-il de la maintenir par absorption ou élimination d’eau.
D’autre part, les processus vitaux se passent dans une très étroite limite de
température, entre 36° et 37°,5.
Lorsque la chaleur extérieure, l’exercice musculaire,
tendent à augmenter cette température, l’organisme réagit aussitôt par une
élimination de sueur qui le rafraîchit par évaporation.
Une transpiration modérée peut être considérée comme une
simple élimination d’eau qui a pour effet de concentrer le sang ; il
suffira alors de boire pour rétablir l’équilibre, et la soif sera calmée.
Il n’en est plus de même lorsque le corps est soumis à une
chaleur excessive, ou à un travail exagéré, ou à tous les deux à la fois ;
c’est ce qui se produit sous les tropiques, dans les chaufferies de paquebots,
dans les chars blindés et aussi dans certaines parties de chasse en
montagne ; la sueur abondante n’élimine pas seulement de l’eau, mais aussi
de l’urée et des sels minéraux, en particulier du chlorure de sodium ; dès
que la concentration du sang tombe au-dessous de 7 p. 1.000, celui-ci ne
peut plus accepter de dilution et élimine immédiatement l’eau ingérée, par la
sueur et par le rein, si bien que la sensation de soif persiste.
Que faire alors ?
Une seule chose : restituer à l’organisme le sel perdu.
Et l’on assiste à ce fait paradoxal en apparence de voir le sel calmer la soif,
alors que chez l’homme normal il a la réputation justifiée de l’exciter.
Les chauffeurs, les mécaniciens de paquebots, les ouvriers
qui travaillent dans une atmosphère surchauffée savent que seule une infusion
salée peut étancher leur soif. Les alpinistes avertis, les guides de montagne
ont fait la même expérience ; tandis que le néophyte, assoiffé, se précipite
à la moindre source et n’arrive pas à calmer sa soif malgré les torrents d’eau
qu’il ingurgite, ils ne boiront jamais sans prendre en même temps quelque
aliment salé.
Des accidents plus graves, connus sous le nom de coups de
chaleur, n’ont souvent d’autre origine qu’une forte déperdition de sel ;
il faut alors agir vite, rechlorurer l’organisme par des injections
sous-cutanées ou intraveineuses de solution saline qui amènent souvent de
véritables résurrections.
À l’heure où j’écris, j’ignore naturellement si la canicule
nous réserve de fortes chaleurs, mais je crois que touristes, alpinistes et
chasseurs auront intérêt à s’inspirer de cette causerie, à emporter dans leur
sac un peu de viande salée ou autre aliment analogue.
Dr A. GOTTSCHALK.
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