Le Maroc est un pays neuf. En 1934, ses terres les plus
riches étaient encore en zone interdite. Les plantations fruitières étaient de
ce fait très en retard sur l’Algérie. Si l’on considère l’effort qui a été fait
dans ce sens depuis dix ans, on conviendra que les plantations se sont
développées à un rythme accéléré. Chaque année, des centaines d’hectares
nouveaux sont plantés en agrumes (oranges, mandarines, clémentines, citrons et
pomelos). Mais c’est surtout sur les orangers que l’effort s’est porté. Pour la
saison 1947-1948, la production pour le Maroc a été de 55.000 tonnes :
c’est peu de chose en réalité, si l’on considère que l’Algérie en a produit
85.000 tonnes, sur les 7 millions produites annuellement dans le
monde entier.
La consommation est en effet de plus en plus importante. Les
oranges ont la faveur du public et, d’autre part, la fabrication des jus
s’intensifie chaque année. À noter en passant que la production des citrons est
beaucoup moins importante (700.000 tonnes annuellement dans le monde entier,
dont 1.800 pour le Maroc). Pour la campagne 1948-1949, la production prévue a
été approximativement la suivante pour le Maroc :
Clémentines |
|
7.000 |
tonnes. |
Mandarines |
|
2.000 |
— |
Pomelos |
|
3.000 |
— |
Citrons |
|
2.500 |
— |
Oranges |
précoces |
50.000 |
— |
— |
de saison |
30.000 |
— |
— |
tardives |
20.000 |
— |
soit pour les oranges un total de 100.000 tonnes, au
lieu de 55.000. Pour écouler toute cette production en dehors des exportations
sur la Métropole, on continuera à livrer à l’étranger.
La consommation mondiale s’intensifiant, les plantations
suivent la même cadence. Des terres de toute première qualité, sous un climat
propice, permettent à l’agrumiculteur d’entreprendre de grandes plantations. On
doit néanmoins reconnaître que beaucoup de celles-ci, faites jusqu’à ces dernières
années, n’ont pas donné les résultats escomptés. On a voulu planter vite pour
récupérer vite. Les planteurs en général n’avaient pas de connaissances
suffisantes. Les terrains et les régions étaient mal choisis, les variétés
soi-disant bien définies ne l’étaient pas. Les arbres pieds-mère servant à
prendre les greffons n’étaient pas étalonnés par les services de l’Agriculture,
et des pépiniéristes peu consciencieux livraient n’importe quoi à n’importe
quel prix. Entre voisins, l’on se passait des greffons de variétés soi-disant
merveilleuses qui réjouissaient les propriétaires, mais laissaient les
exportateurs et les importateurs complètement indifférents.
De plus, les plantations faites à des intervalles trop
rapprochés étaient mal entretenues, irriguées d’une manière inconsidérée. Les
tailles étaient mal faites ou ignorées. Les propriétaires n’étaient pas
suffisamment au courant et les professionnels faisaient défaut.
Aujourd’hui, il faut bien le reconnaître, les choses ont
changé. On s’est attaqué à la tâche, et on a réussi. Il faut louer les services
d’Agriculture, qui véritablement se sont intéressés à la question d’une manière
toute particulière. Des conférences sont faites régulièrement aux colons sur
des sujets bien déterminés. Le service de la défense des végétaux, toujours en
état d’alerte, vous conseille et vous guide. Toutes les questions ont été
sériées, et en grande partie résolues. Il y a encore beaucoup à faire, certes,
mais le plus grand pas est fait.
D’autre part, pour réussir complètement et lutter contre la
concurrence mondiale, qui s’intensifie de jour en jour, il faudra produire avec
le minimum de frais. Il faudra également que les prix des emballages, qui
reviennent approximativement à 16 francs par kilo (transport et frais
divers, 24 francs), soient revus et étudiés. Les oranges marocaines
arrivent sur le marché français à un prix beaucoup trop élevé. Au 14 avril
dernier, d’après les statistiques officielles, les oranges d’Espagne arrivaient
aux halles de Paris à la cadence de 150 wagons par jour. Leur prix basé à
la vente au détail était de 80 francs le kilo, alors que les oranges
marocaines étaient vendues 100 et 120 francs le kilo. Dans certains
départements, leur prix atteignait 140 francs. Soulignons, en passant, que
ces oranges sont payées au producteur 15, 25 ou 35 francs le kilo suivant
les cours. À ce prix, le producteur considère que sa vente est rémunératrice,
étant donné qu’un oranger adulte de huit à dix ans peut rapporter bien conduit
150 kilos de fruits par arbre, en moyenne.
Si certaines barrières douanières protègent encore notre
exportation marocaine, un jour viendra — sous peu probablement — où
toutes ces barrières disparaîtront où les échanges commerciaux ne seront plus
soumis à des arrêtés rigides. Dès maintenant, il faut envisager la possibilité
de lutter contre nos concurrents étrangers les plus sérieux, l’Espagne et
l’Italie notamment. Il faut penser aussi à la Palestine, qui a planté ces
dernières années 40.000 hectares d’orangers, qui seront sous peu en pleine
production, et surtout ne pas oublier les États-Unis, qui vraisemblablement
seront pour nous, Marocains, les concurrents les plus redoutables. Leurs
possibilités de production sont énormes et leur travail en série est un modèle
du genre.
Il faudra également ne planter que des variétés standard
ayant fait leurs preuves, plaisant à la clientèle, reconnues exportables,
capables de supporter les plus longs voyages, telles que : Washington
Navel, Double Fine, Washington Sanguine, Valencia Late. D’autres variétés sont
encore à l’étude, mais ne seront multipliées qu’après essais approfondis, afin
d’éviter les erreurs du passé.
Pour conclure, disons que les plantations d’agrumes au Maroc
sont certainement appelées à un grand avenir. Les fautes du début ont été
réparées. Le stade des expérimentations est terminé. Nous commençons maintenant
à y voir clair, très clair. Sous peu, nous arriverons à produire d’une manière
industrielle et rationnelle des fruits de toute première qualité, dont le
commerce intensif en fera une des plus belles richesses de ce pays qui, chaque
jour, voit arriver de jeunes énergies, pour créer, entreprendre, et maintenant
réussir.
André GAUJARD.
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