Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°629 Juillet 1949  > Page 572 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Un robot à « cerveau ondulé »

EPUIS que le monde est monde, les hommes ont rêvé de poupées animées, imitant les gestes humains. Homère raconte dans l’Iliade qu’Héphaïstos fabriqua des « jeunes filles automates » dont la vertu laissait du reste à désirer (!), Callistrate cite dix « statues animées » ; Diodore de Sicile et Callixène décrivent une statue de Nysa qui se levait, versait du lait d’une amphore et se rasseyait.

Le célèbre Héron d’Alexandrie construisit bon nombre d’automates mus par l’eau, par des poids et même par la vapeur ! Au moyen âge, les automates ne furent guère représentés que par les personnages d’horloges. Ils connurent un magnifique essor au XVIIIe siècle avec les Écrivains, Joueurs d’instruments et Dessinateurs, dus au génie des Jaquet-Droz, de von Knauss, Vaucanson, Kintzing. La célèbre Joueuse de Tympanon, qui existe encore au Conservatoire des Arts et Métiers, est l’œuvre de Kintzing ; elle a appartenu à Louis XVI et serait un portrait animé de Marie-Antoinette.

La vérité sur les robots.

— À notre époque ... utilitaire, les automates véritables, à forme humaine, sont presque uniquement représentés par les « automates de vitrine », destinés à la publicité. Les mouvements peuvent continuer indéfiniment grâce à l’emploi de moteurs électriques. Un des plus fameux « automatistes » actuels, notre compatriote Decamps, a réussi à donner aux poupées animées un air de réalité frappante en les dotant d’une « chair artificielle » mobile, constituée par du caoutchouc ; tout le monde connaît son « petit nègre donneur de prospectus », grandeur nature, dont le sourire, avec lèvres et pommettes mobiles, est un chef-d’œuvre de vérité anatomique. Détail curieux, Decamps avait naguère une grosse clientèle ... de maharadjahs hindous, désireux de posséder des esclaves artificiels infatigables !

Les Américains ont lancé pour les automates modernes un mot nouveau, qui, du reste, est russe : celui de robot. En russe, « robot » signifie « travailleur ». Dans la technique industrielle, ce nom est réservé aux engins de force, asservis à un « cerveau » qui constitue l’automate proprement dit. Ainsi, dans un avion à pilotage automatique, le « cerveau » est formé d’instruments à gyroscopes, qui donnent leurs « ordres » à des cylindres à huile ; ceux-ci constituent le « robot » de l’avion ; ils tirent les câbles des gouvernes, que les délicats organes du « cerveau » seraient incapables de manœuvrer.

Sous ce nom de robots, les ingénieurs d’outre-Atlantique se sont amusés à créer des personnages métalliques, « bottés et bardés de fer, coiffés de heaumes rivetés pareils à des marmites, équipés d’« yeux électriques », de microphones et de films sonores, qui n’ajoutent rien à la gloire séculaire de l’automatisme.

Ce n’est pas chez ces hideux personnages que réside la grandeur des mécanismes automatiques de notre époque, mais dans les machines innombrables : tours automatiques, linotypes d’imprimeries, machines à tailler les engrenages, machines à calculer, à peser et empaqueter les marchandises, à mouler et empaqueter les matières pâteuses, à mettre le sucre en boîtes, à perforer les boutons de nacre, à rincer, aseptiser, remplir et boucher les bouteilles d’eaux minérales, en un mot dans l’immense armée des machines « intelligentes », qui diminuent largement la « peine des hommes » ... Et n’oublions pas celle-ci, dont on appréciera la puissante ironie philosophique : « Machine à démolir les cartouches de guerre, avec séparation de l’étui, de la balle et de la poudre ! »

Un nouvel automate à « mémoire ».

— Une idée tout à fait nouvelle préside à ce curieux automate Garcin à fil ondulé, auquel une grande firme nationalisée vient de consacrer la bagatelle de 1 million ... pour commencer.

Le nouveau robot n’a aucune prétention à la ressemblance humaine. Il a la forme d’une boîte à camembert, en acier, perchée sur un arbre vertical à vis, et possède un bras télescopique, terminé par une main à pince.

Ouvrons la boîte. Nous y trouvons, un moteur électrique entraînant deux plateaux circulaires entre lesquels pivote un petit pignon denté. Sur ce pignon, s’enroule un fil ondulé, en acier, qui est l’âme, ou plutôt la mémoire, du robot.

Examinons ce fil de plus près. Les ondulations sont irrégulières, mais elles ne sont pas quelconques ; on les a faites à la pince, ou à l’aide d’une machine spéciale, suivant un « code » bien déterminé. Chaque fois qu’une « bosse » du fil passe sur le pignon, elle vient soulever au passage un léger levier, formant « aiguillage », qui commande à son tour un minuscule « changement de vitesses ». Ainsi, le mouvement de rotation du moteur va se transmettre soit à un engrenage, soit à un autre, pour provoquer les « gestes » du bras et de la main du robot.

Les résultats obtenus — et surtout ceux qui sont escomptés par l’inventeur ! — sont absolument prodigieux. Le robot peut exécuter les travaux les plus divers, comme un travailleur en chair et en os ; il sugffit pour cela de changer le fil ondulé, enroulé en bobines comme un film de cinéma. Grâce à un renvoi spécial, le fil bossué peut agir sur le pignon qui l’entraîne, pour se commander à lui-même de passer en arrière, puis de repartir en avant. Vous apercevez la conséquence : c’est que le robot peut exécuter des travaux « cycliques », comme de scier des bûches ; quand la bûche est coupée, il la jette sur le tas et en place une autre sur le chevalet !

Le robot peut conduire un tour, taper à la machine, faire de la pâtisserie, balayer, raser son maître en allongeant le bras juste assez pour raser effectivement sans entailler la joue ! M. Garcin affirme même qu’il pourra construire d’autres robots semblables à lui, ce qui assurerait la reproduction spontanée des robots ! ... L’expérience nous fixera sur tant de merveilles.

PIERRE DEVAUX.

Le Chasseur Français N°629 Juillet 1949 Page 572