EPUIS que le monde est monde, les hommes ont rêvé de
poupées animées, imitant les gestes humains. Homère raconte dans l’Iliade
qu’Héphaïstos fabriqua des « jeunes filles automates » dont la vertu
laissait du reste à désirer (!), Callistrate cite dix « statues
animées » ; Diodore de Sicile et Callixène décrivent une statue de
Nysa qui se levait, versait du lait d’une amphore et se rasseyait.
Le célèbre Héron d’Alexandrie construisit bon nombre
d’automates mus par l’eau, par des poids et même par la vapeur ! Au moyen
âge, les automates ne furent guère représentés que par les personnages
d’horloges. Ils connurent un magnifique essor au XVIIIe siècle
avec les Écrivains, Joueurs d’instruments et Dessinateurs,
dus au génie des Jaquet-Droz, de von Knauss, Vaucanson, Kintzing. La célèbre Joueuse
de Tympanon, qui existe encore au Conservatoire des Arts et Métiers, est
l’œuvre de Kintzing ; elle a appartenu à Louis XVI et serait un
portrait animé de Marie-Antoinette.
La vérité sur les robots.
— À notre époque ... utilitaire, les automates
véritables, à forme humaine, sont presque uniquement représentés par les
« automates de vitrine », destinés à la publicité. Les mouvements
peuvent continuer indéfiniment grâce à l’emploi de moteurs électriques. Un des
plus fameux « automatistes » actuels, notre compatriote Decamps, a
réussi à donner aux poupées animées un air de réalité frappante en les dotant
d’une « chair artificielle » mobile, constituée par du
caoutchouc ; tout le monde connaît son « petit nègre donneur de
prospectus », grandeur nature, dont le sourire, avec lèvres et pommettes
mobiles, est un chef-d’œuvre de vérité anatomique. Détail curieux, Decamps
avait naguère une grosse clientèle ... de maharadjahs hindous, désireux de
posséder des esclaves artificiels infatigables !
Les Américains ont lancé pour les automates modernes un mot
nouveau, qui, du reste, est russe : celui de robot. En russe,
« robot » signifie « travailleur ». Dans la technique
industrielle, ce nom est réservé aux engins de force, asservis à un
« cerveau » qui constitue l’automate proprement dit. Ainsi,
dans un avion à pilotage automatique, le « cerveau » est formé
d’instruments à gyroscopes, qui donnent leurs « ordres » à des
cylindres à huile ; ceux-ci constituent le « robot » de
l’avion ; ils tirent les câbles des gouvernes, que les délicats organes du
« cerveau » seraient incapables de manœuvrer.
Sous ce nom de robots, les ingénieurs d’outre-Atlantique se
sont amusés à créer des personnages métalliques, « bottés et bardés de
fer, coiffés de heaumes rivetés pareils à des marmites, équipés d’« yeux
électriques », de microphones et de films sonores, qui n’ajoutent rien à
la gloire séculaire de l’automatisme.
Ce n’est pas chez ces hideux personnages que réside la
grandeur des mécanismes automatiques de notre époque, mais dans les machines
innombrables : tours automatiques, linotypes d’imprimeries, machines à
tailler les engrenages, machines à calculer, à peser et empaqueter les
marchandises, à mouler et empaqueter les matières pâteuses, à mettre le sucre
en boîtes, à perforer les boutons de nacre, à rincer, aseptiser, remplir et
boucher les bouteilles d’eaux minérales, en un mot dans l’immense armée des
machines « intelligentes », qui diminuent largement la « peine
des hommes » ... Et n’oublions pas celle-ci, dont on appréciera la
puissante ironie philosophique : « Machine à démolir les cartouches
de guerre, avec séparation de l’étui, de la balle et de la poudre ! »
Un nouvel automate à « mémoire ».
— Une idée tout à fait nouvelle préside à ce curieux
automate Garcin à fil ondulé, auquel une grande firme nationalisée vient de
consacrer la bagatelle de 1 million ... pour commencer.
Le nouveau robot n’a aucune prétention à la ressemblance
humaine. Il a la forme d’une boîte à camembert, en acier, perchée sur un arbre
vertical à vis, et possède un bras télescopique, terminé par une main à pince.
Ouvrons la boîte. Nous y trouvons, un moteur électrique
entraînant deux plateaux circulaires entre lesquels pivote un petit pignon
denté. Sur ce pignon, s’enroule un fil ondulé, en acier, qui est l’âme,
ou plutôt la mémoire, du robot.
Examinons ce fil de plus près. Les ondulations sont
irrégulières, mais elles ne sont pas quelconques ; on les a faites à la
pince, ou à l’aide d’une machine spéciale, suivant un « code » bien
déterminé. Chaque fois qu’une « bosse » du fil passe sur le pignon,
elle vient soulever au passage un léger levier, formant
« aiguillage », qui commande à son tour un minuscule
« changement de vitesses ». Ainsi, le mouvement de rotation du moteur
va se transmettre soit à un engrenage, soit à un autre, pour provoquer les
« gestes » du bras et de la main du robot.
Les résultats obtenus — et surtout ceux qui sont
escomptés par l’inventeur ! — sont absolument prodigieux. Le robot
peut exécuter les travaux les plus divers, comme un travailleur en chair et en
os ; il sugffit pour cela de changer le fil ondulé, enroulé en bobines
comme un film de cinéma. Grâce à un renvoi spécial, le fil bossué peut agir sur
le pignon qui l’entraîne, pour se commander à lui-même de passer en arrière,
puis de repartir en avant. Vous apercevez la conséquence : c’est que le
robot peut exécuter des travaux « cycliques », comme de scier des
bûches ; quand la bûche est coupée, il la jette sur le tas et en place une
autre sur le chevalet !
Le robot peut conduire un tour, taper à la machine, faire de
la pâtisserie, balayer, raser son maître en allongeant le bras juste assez pour
raser effectivement sans entailler la joue ! M. Garcin affirme même
qu’il pourra construire d’autres robots semblables à lui, ce qui assurerait la
reproduction spontanée des robots ! ... L’expérience nous fixera sur
tant de merveilles.
PIERRE DEVAUX.
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