À diverses reprises, des correspondants m’ont demandé des
renseignements sur les possibilités de l’élevage au Tchad. Je les ai toujours
mis en garde contre le très grand obstacle que représente le transport vers un débouché.
Il résulte des enquêtes et documents réunis par la grande
Commission du Plan colonial pour l’A. E. F. que le cheptel bovin,
estimé officiellement à 1.200.000 têtes doit en compter entre 3.000.000 et 4.000.000.
La dernière année enregistrée par la douane indique les
sorties de 13.772 bovins dirigés sur la Nigeria britannique et le Soudan
anglo-égyptien ; 2.261 ovins et caprins, ainsi que 1.514 autres
animaux ; 1.297 tonnes de beurre fondu et 297 tonnes de peaux suivent les mêmes directions,
Il faut estimer que le Tchad possède les 9/10 du cheptel de
l’A. E. F. et que l’Oubangui abrite les 9/10 du reste. En 1945, ce
troupeau était évalué à 2 milliards et demi rapportant 500 millions par an.
Les 3/4 des bovins sont des zébus aux qualités laitières
certaines, trapus aux cornes courtes, à bosse peu marquée, à robe variable.
Le bœuf du Tchad, pratiquement cantonné au Lac, est un vrai
bovin ; son cornage énorme, d’où le nom de bœuf à grosses cornes ; sa
robe est blanche. Certains taureaux peuvent atteindre 800 kilos. Sur les
rives, en croisement avec le zébu arabe, il donne le bœuf du Kanem, dont les
vaches sont les plus laitières du Tchad, pouvant arriver à 8 et 10 litres
de lait. Puis le bœuf du Mayo-Kebbi, métis entre le zébu arabe et un petit bœuf
autochtone ; enfin son parent, le bœuf du Logone, qui vit bien dans les
zones à coton et résiste où le zébu arabe vit mal. Pour terminer, 200.000 ou
300.000 bœufs bororo faits pour parcourir la brousse.
La population, de 3 millions d’habitants, diminue
sensiblement du Nord au Sud. Elle se divise en deux grands groupes. À l’ouest
du Chari, dans la zone soudanienne, les non islamisés, environ 500.000, sont
surtout cultivateurs. À l’est du Chari, environ 1 million d’hommes
occupent la zone sahélienne. Ils se trouvent dans une steppe sahélienne aux
herbes courtes parsemées d’acacias, sans cours d’eau permanents, aux
précipitations atmosphériques comprises entre 280 et 550 millimètres, réparties
de juin à septembre, avec maximum du 15 juillet au 31 août ; le
reste de l’année se passant pratiquement sans chute d’une seule goutte d’eau et
constituant la saison sèche, fraîche en décembre-janvier, brûlante en avril-mai.
La seule richesse est l’élevage ou, mieux, les sous-produits
de l’élevage. Car l’exportation des animaux vivants ne peut se faire que vers
le Soudan anglo-égyptien et le Nigeria, donc en très petite quantité tant que
les troupeaux devront suivre de pauvres pistes aux abreuvoirs rares et à débits
limités. Pour l’instant, ce sont le beurre et les peaux qui fournissent les
produits les plus importants.
Il y a bien quelques Grecs et Syriens, venus par Karthoum,
qui écument un peu le pays. Mais un rapport de 1948 note que « l’on
pourrait compter sur les doigts d’une main le nombre d’Européens s’intéressant
à l’élevage ». Cependant, l’achat du beurre et, mieux, du lait est
lucratif. L’expérience a été faite. À Massakory, dans le Bas-Chari, un Français
ramassait le lait dans les environs avec une automobile ; il traitait
environ 800 à 1.000 litres par jour. Il achetait aussi le beurre aux
indigènes. Le beurre fondu épuré, mis en fûts ou en touques à essence de 18 litres,
est expédié en Europe, en Angleterre, où la biscuiterie l’utilise.
En 1946, rendu au port, à Pointe-Noire, le beurre non épuré
se vendait 30 C. F. A. le kilo F. O. B. et le beurre épuré
36 C. F. A. (le C. F. A. vaut 2 francs dans la
Métropole). Au Tchad, le beurre non épuré se paie 25 C. F. A. le
kilo. Il en est dirigé beaucoup sur Kano en Nigeria, où existe une usine
d’épuration. Une autre existe à Bangui.
Les propriétaires de plusieurs centaines de vaches sont
fréquents ; il est préférable de ramasser le lait. Les bêtes donnent
environ 6 litres de lait, mais il faut en laisser 3 ou 4 pour le veau. La
lactation dure six mois ; le lait est très gras, comme tous les laits tropicaux.
Un Centre de recherches vétérinaires et de production des
vaccins existe à Fort-Lamy, ainsi qu’une bergerie d’astrakan modèle à Abougoudam.
Les établissements, appréciés des indigènes, ont, en 1948, procédé à 5 millions
de vaccinations et à 500.000 traitements. Il faudrait amener des bergers peuhs
pour servir de moniteurs à des populations qui en sont encore aux procédés bibliques.
Pour l’Européen, on ne peut compter faire de l’élevage
direct vu son caractère extensif, mais l’industrialisation des produits doit
pouvoir donner de bonnes marchandises de valeur, exportables sous un faible
poids, comme le beurre fondu épuré, les peaux, cornes, onglons et, par la
suite, dans les endroits où le combustible est trouvable, l’extrait de viande
genre Liebig, les os moulus pour le phosphate, à vendre aux planteurs du
Cameroun et de l’Oubangui.
Victor TILLINAC.
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