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Causerie juridique

Colportage d’œufs de faisans

Sous l’empire de la loi du 3 mai 1844, et avant qu’intervinssent les importantes modifications résultant des lois des 3 avril 1911 et 1er mai 1934, l’article 4, dans son 4e paragraphe, prohibait la capture et la destruction, sur le terrain d’autrui, des œufs ou couvées de faisans, de perdrix et de cailles. Cette prohibition tirait sa raison d’être de l’utilité qu’il y avait à assurer, d’une part, la protection et la reproduction de certains gibiers particulièrement intéressants et, d’autre part, le respect du droit de propriété.

Sans chercher à mettre ici en lumière les insuffisances de ce texte, il nous suffira de faire remarquer que la prohibition ne concernait pas le propriétaire du terrain sur lequel pouvaient être trouvés les œufs et couvées, et que seules étaient répréhensibles la capture et la destruction, mais que le transport et la vente ne l’étaient pas. Sans doute avait-on pensé que, le transport et la vente supposant nécessairement un fait antérieur de capture, lequel était punissable s’il était commis par toute autre personne que le propriétaire, la répression pourrait être néanmoins assurée.

Les lois des 3 avril 1911 et 1er mai 1934 ont donné à la disposition ci-dessus envisagée une portée plus étendue à certains points de vue : elles ne punissent pas seulement la capture et la destruction des œufs et couvées, mais aussi l’enlèvement des nids, le transport, la vente et l’exportation des œufs et couvées ; d’autre part, la protection ne s’applique pas seulement aux faisans, aux perdrix et aux cailles, mais encore à tous autres oiseaux, ainsi qu’aux portées et petits de tous animaux vivipares qui n’ont pas été déclarés animaux nuisibles. Enfin, et c’est là le plus important, la prohibition s’applique même au propriétaire du terrain sur lequel sont trouvés les œufs, couvées ou portées. Par contre, alors que l’ancien texte s’appliquait en tout temps, le nouveau ne concerne que la période durant laquelle la chasse est fermée.

L’article 11-4° de la loi de 1844, modifié par la loi du 1er mai 1934, qui contient la sanction des infractions prévues à l’article 4, reproduit exactement les diverses prohibitions formulées à ce dernier texte. Il punit, en effet, « ceux qui, en temps de fermeture, auront sans droit enlevé des nids, pris ou détruit, colporté ou mis en vente, ou acheté, transporté ou exporté les œufs ou couvées de faisans, de perdrix et de cailles et de tous oiseaux, ainsi que les portées ou petits de tous animaux qui n’auront pas été déclarés nuisibles ». La sanction, on le voit, est applicable même quand le coupable est le propriétaire : cela résulte de la disparition des mots « sur le terrain d’autrui », mais elle ne s’applique que si les faits se sont passés en période de clôture de la chasse.

La confrontation que nous venons de faire entre le texte primitif et le texte actuel suggère quelques observations. Comme nous l’indiquons au début de cette causerie, l’un des buts de la disposition ancienne — et c’était probablement ce à quoi le législateur s’était attaché principalement — était d’assurer le respect du droit de propriété ; la conservation du gibier, l’utilité d’en favoriser le repeuplement ne venaient qu’en deuxième lieu ; le propriétaire, en effet, restait libre de capturer et même de détruire les œufs et couvées ; il pouvait en disposer à sa convenance, les transporter où il voulait.

Dans la législation actuelle, la sauvegarde des intérêts du propriétaire paraît n’être pas entrée dans les préoccupations du législateur : le propriétaire et les tiers sont entièrement assimilés au point de vue de l’application des dispositions qui nous occupent. Ces dispositions, dans leur texte actuel, semblent bien n’avoir d’autre but que d’assurer la conservation du gibier et le repeuplement des chasses, sans distinction suivant les espèces de gibier. Si le texte mentionne spécialement les faisans, les perdrix et les cailles, il aurait fort bien pu se dispenser de le faire, puisqu’il ajoute « tous oiseaux » et même tous autres animaux non déclarés nuisibles.

Il ne faut cependant pas déduire de ce qui précède que la propriété n’est pas défendue : les tiers ne peuvent, en effet, capturer les œufs, couvées et portées sur le terrain d’autrui sans encourir l’application des peines prévues par l’article 11 de la loi de 1844. Sans doute, cette sanction n’est encourue que si le fait a été commis en période de clôture de la chasse, mais ceci est sans inconvénients : lors de l’ouverture de la chasse, il n’y a plus ni œufs, ni couvées ou portées, les animaux nés au printemps sont adultes et ne peuvent être capturés que par des actes de chasse.

La question s’est posée de savoir si l’individu trouvé porteur d’œufs de faisans, alors qu’il n’est ni propriétaire, ni locataire de la chasse sur des terres où il pourrait prétendre avoir recueilli les œufs, peut être poursuivi comme coupable de vol ou de recel. On peut admettre, en effet, que les œufs des oiseaux appartiennent à celui sur la propriété duquel ils ont été recueillis. Mais, pour qu’il puisse y avoir poursuite pour vol, encore faudrait-il qu’il fût établi que celui qui détient les œufs les a capturés lui-même, et, d’autre part, le recel suppose nécessairement connaissance par le prévenu de la provenance frauduleuse de la chose recelée. Même si ces conditions étaient remplies, il est permis de douter que les peines du vol ou du recel puissent être appliquées : l’article 11-4° de la loi sur la chasse prévoit spécialement la capture des œufs et y applique une simple amende ; on peut donc douter que les pénalités graves encourues pour vol puissent être appliquées.

Paul COLIN,

Avocat à la Cour d’appel de Paris.

Le Chasseur Français N°630 Août 1949 Page 579