L’exemple de la montée à l’épaule dont nous avons parlé
précédemment n’est qu’un échantillon des principaux défauts de position et de
maniement qui se mettent en travers du tir.
Puisque nous en sommes à l’épaule, qui a une bonne part de
responsabilité dans le succès ou la faillite du pointage, il est bon d’indiquer
celui de ses comportements qui passe pour le plus défectueux, autrement
dit : celui de l’épaule effacée.
Il consiste en un recul de l’épaule entraînée par un
mouvement en arrière du bras droit qui la place dans une position oblique et
par conséquent fuyante, en désaccord complet avec la théorie qui voudrait que
l’épaule fût avancée légèrement pour offrir à la crosse un appui aussi droit
que possible.
L’épaule effacée n’est pas correcte, si l’on en croit les
commandements de la mise en joue. Quoi qu’il en soit, elle n’est pas venue au
monde uniquement pour leur résister, mais bien parce qu’elle place ses
pratiquants dans une position qui leur est naturelle. Une position qui, malgré
son apparence de réserver à la tombée un aplomb de guingois, donc défavorable,
les favorise cependant quand ils en profitent bien.
On ne voit pas pourquoi elle serait une mauvaise habitude
calculée, puisque cette manière d’épauler, si elle était adoptée sans
dispositions spéciales, nécessiterait un apprentissage.
Comme la plupart des mauvaises habitudes cataloguées, elle a
ses élus et ses victimes.
Les premiers rivalisent facilement avec des tireurs de tenue
plus classique. Il nous souvient, à ce propos, d’un merveilleux tireur aux
pigeons qui poussait, en même temps, à leur extrême limite, le
« défaut » d’effacer l’épaule et la virtuosité. Il vous donnait envie
de se tenir aussi mal que lui, ce qui n’aurait servi à rien, car le défaut
d’imiter, surtout lorsqu’il s’agit d’une exception, est plus nuisible que celui
d’effacer l’épaule.
Les seconds, beaucoup moins rares, tombent aussi facilement
dans l’excès contraire et passent à côté du but avec une régularité
décourageante.
De là à les diagnostiquer inguérissables, il n’y a qu’un
pas. Leur défaut apparaît si visiblement qu’il semble impossible d’entreprendre
quoi que ce soit de partiel pour l’atténuer. Le maintien effacé de l’épaule ne
s’extrait pas comme une dent. D’autant plus que cette imperfection est
imputable, dans son mécanisme, à la position des jambes et des pieds, et que ce
n’est pas la faute de l’épaule si elle est solidaire de leurs errements. La
position naturelle de la tête et du cou ont également leur part de
responsabilité dans l’attitude incriminée.
S’en prendre à l’épaule ne tient pas debout. Elle s’efface
parce que la jambe gauche est trop éloignée de la jambe droite et le pied
gauche trop en avant du pied droit, position permettant de conserver
l’équilibre tout en se penchant trop en avant. Dans ces conditions, il est on
ne peut plus malaisé de ramener l’épaule en avant, quelle que soit la
persévérance consacrée à cet exercice.
La logique semblerait donc prescrire la transformation
totale du stationnement des pieds. En plaçant le « patient » les
pieds en équerre et en lui faisant avancer le pied gauche d’environ 15 centimètres,
on met son torse dans la gêne dès qu’il veut, instinctivement, effacer l’épaule
droite. Il est retenu par les muscles dorsaux du côté gauche, et le pivotement
de son corps sur la hanche droite, accompli dans une fausse position,
l’embarrasse considérablement. Il est donc obligé de laisser son épaule droite
dans la position qui lui est familière partout ailleurs qu’à la chasse, et
d’épauler dans un style que ne renie plus la théorie, mais qui le paralyse.
Au lieu de vouloir supprimer l’effacement de l’épaule, il
est bien plus simple de le laisser tranquille et de rechercher la cause qui le
fait clocher. Si cette façon d’épauler ne réussissait à personne, on pourrait
la condamner à mort ; mais ce n’est pas le cas.
Il suffit parfois, pour remettre les choses au point et
réparer le dommage causé par son glissement sur l’épaule fuyante, d’appuyer le
plus possible la crosse sur la poitrine et, pour y parvenir, de ramener
simplement le coude tout près du corps. Cela ne change rien à la manière de
tirer, et ce n’est qu’une petite habitude à faire admettre aux grandes, depuis
longtemps déjà dans la place.
Il est bon de penser également que, si la crosse n’est pas
calée solidement par un moyen ou par un autre, le moindre coup de doigt se
trouve pour ainsi dire multiplié, et ses conséquences prennent des proportions
tragiques. La planche de salut classique consistant à faire adoucir les
détentes ne remédie pas à cet inconvénient. Il risque, au contraire, d’en
provoquer un autre, lorsqu’on ne possède pas un système nerveux en état
d’affronter cette modification.
Louis Ternier, dont la perte est sensible aux lecteurs du Chasseur
Français, et qui fut notre maître et ami de toujours, nous avait indiqué
une recette dont il usait continuellement — non qu’il tirât l’épaule
effacée — pour annihiler les méfaits d’un coup de doigt possible.
Au lieu de crisper la main gauche sur les canons et de la
faire participer à la pression de la crosse sur l’épaule, comme s’y emploient,
à tort, beaucoup trop de chasseurs, il la laissait souple avec la seule mission
d’orienter leur direction. En revanche, il serrait fortement la poignée de la
main droite, à laquelle il abandonnait le soin d’appuyer la crosse de façon à
pouvoir donner sur la détente, au moment opportun, un petit coup de doigt sec,
faisant irrémédiablement partir le coup sans que la gerbe de plombs déviât
d’une ligne.
Ce procédé est excellent à condition de s’adresser à une
détente n’attendant pas le renfort d’un cheval pour fonctionner. Les tireurs
effaçant l’épaule n’en trouveront pas de meilleur parce que l’exhortation
rituelle de serrer progressivement la détente est une espérance idéale
exceptionnellement réalisée à la chasse.
Raymond DUEZ.
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