Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°630 Août 1949  > Page 583 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

La brante roussâtre

Dans son numéro de février 1949, Le Chasseur Français signalait la capture d’une brante roussâtre mâle, le 30 octobre dernier, par M. Henri Burdin, à Saint-Valéry-sur-Somme. Il remarquait la rareté de cet événement en Picardie, puisque ce bel oiseau à la tête ébouriffée et rousse est, dit-on, originaire des pays chauds (?). J’ai pensé qu’il ne serait pas indifférent aux lecteurs de cette revue d’avoir quelques renseignements sur ce canard par un chasseur français qui le voit chaque année partir, arriver et se reproduire dans les roseaux du bord du lac de Constance.

Si cette région fait partie de son territoire de couvée, celui-ci n’est pas toujours si « chaud » qu’on le pense. Sans quoi il ne lui serait peut-être pas nécessaire d’émigrer, sitôt les frimas venus. Actuellement, en février, il gèle chaque nuit, et le thermomètre descend facilement à -17°. Chaque année, une bonne partie du lac est gelée, et il y eut des années mémorables où le lac montra une surface solide uniforme sur toute la longueur de ses 60 kilomètres. On conçoit dès lors pour cette espèce la nécessité d’émigrer l’hiver, faute de quoi elle en serait réduite, avec les colverts, les milouins et les garrots, à chercher l’élément liquide sur les petits ruisseaux qui se déversent dans le lac.

Sans doute le territoire de couvée de ce canard plongeur n’est-il pas toujours aussi froid : on le rencontre en Espagne et en Afrique du Nord ; et sa véritable patrie est la région danubienne, le Sud-Est de l’Europe (bord de la mer Noire), ainsi que le Turkestan et la Perse. Mais il se rencontre aussi dans le bassin de la Méditerranée et disséminé, en France, dans les Dombes ; en Suisse et en Allemagne, sur le lac de Constance, où je l’ai observé moi-même depuis avril 1947, date de son retour d’émigration.

Sa période de nidification dure quatre mois, du 15 mai au 15 septembre. Il couve surtout en juin et juillet, après les colverts, quand le niveau de l’eau du lac, grossi par la fonte des neiges, est le plus élevé (4m,50) ; c’est à ce moment aussi qu’il risque le moins de voir ses œufs noyés par surprise. Et, lorsque cet accident se produit, il n’hésite pas d’ailleurs à recommencer, dans un lieu qu’il juge plus propice. Il pond dans les roseaux, sur les petits monticules de joncs les plus secs. Comme ceux-ci ne sont pas toujours très nombreux à cette époque où l’eau est très haute, il n’est pas rare de trouver plusieurs pontes dans un seul nid, qui contient ainsi quelquefois 21 œufs et plus (jusqu’à 32). Le nombre d’œufs est proportionnel à la hauteur du niveau d’eau. Ce fait était déjà établi par le Dr Noll, ornithologiste bien connu de l’Université de Bâle, qui rapporte ce fait (J. f. Or., 1929) avant le Dr A. Jauch de Constance (Der Ornithol. Beobachter, 1948, no, 4) et le Hollandais K. H. Voous (Lev. Nat., no 40, 1947), qui l’a remarqué au Danemark et en Camargue.

Cette ponte tardive a décidé les chasseurs allemands et suisses à retarder l’ouverture de la chasse au gibier d’eau du 1er août, date initiale, au 15 septembre. Cette initiative a permis de voir augmenter singulièrement le nombre annuel des nids trouvés par les services de protection de la nature. De 4 en 1934, il est passé à 8 en 1938, à 12 en 1948.

Le nombre des couples qui couvent dans la région est passé de 1 en 1917 à 30 actuellement. Ce qui permet de voir seulement au cours des mois de juin et juillet des vols de 300 à 500 individus, qui passent subitement, fin septembre, à 3.000-4.000. Il s’agit évidemment là de migrateurs, et c’est peut-être l’un d’eux que M. Henri Burdin a tué à Saint-Valéry-sur-Somme.

S’il peut être content de mon petit éclaircissement, j’en serai ravi moi-même ; cela m’encouragera à continuer mes recherches sur ce beau canard plongeur, qui s’envole dans un tintement de grelot caractéristique, bien signalé par J. Oberthür. Je penserai à la petite hutte de la baie de Somme, lorsque, caché, le soir, dans les roseaux du lac, en septembre, j’attendrai la brante roussâtre, avant son départ pour le ciel méditerranéen ou même picard. Et je souhaite encore à M. Burdin bonne chance pour cette année !

Julien CRÉPIN.

Le Chasseur Français N°630 Août 1949 Page 583