Dans tous les pays à grand rayonnement sportif, qu’il
s’agisse de l’Angleterre ou de la Suède, des U. S. A. ou de la
Tchécoslovaquie, la base du sport naturel, la clef de voûte de l’architecture
réside dans le sport universitaire. À première vue, et sur la seule foi des
résultats, la France apparaît comblée dans ce domaine puisque, aux derniers
Jeux Mondiaux, les étudiants français sont sortis premiers au classement
général. Mais il existe pour le sport universitaire la même disproportion, la
même boursouflure que pour le sport français en général. Il n’y a aucune
correspondance, aucune coïncidence entre le palmarès de nos champions et la
pratique de la masse. Les récentes statistiques établies par les services de
l’O. S. S. U. (1), ou par des bénévoles, ou par le contrôle
médico-sportif, donnent un aperçu tragique de la santé de notre jeunesse.
Quinze mille étudiants sont inscrits pour la seule Faculté
de Paris. On compte, sur ces 15.000, une proportion de 1,37 p. 100 de
sportifs et une proportion de 10 p. 100 de tuberculeux.
Sous l’impulsion du Dr René Krotoff,
dirigeant du Paris Université Club, une vaste enquête a été menée auprès des
étudiants. On a fait remplir à chacun d’eux des fiches où ils devaient répondre
à un certain nombre de questions. Voici les réponses type qui ont été obtenues
(proportion 80 p. 100) : Faites-vous du sport ?
Réponse : Non. Pourquoi ? Réponse : Les programmes
sont trop chargés. — Nous n’avons pas de stade convenable. — Nous ne
disposons ni du temps ni des installations nécessaires.
Feriez-vous du sport si ce temps et ces installations vous
étaient accordés ? Réponse : Oui (97 p. 100). Vos
processeurs sont-ils favorables au sport ? Réponse : Hostiles (68
p. 100), indifférents (30 p. 100).
Les professeurs eux-mêmes ont été interrogés à ce sujet.
Dans leur très grande majorité ils ont répondu : « Je ne suis pas
professeur de gymnastique. Il y a des choses plus importantes. »
On se demande quelles choses sont plus importantes à une
nation que la santé de sa jeunesse, et on pense à la voix passionnée de Pierre Bourdan
proclamant à la radio : « Trop de maîtres préfèrent fabriquer un faux
intellectuel boutonneux plutôt qu’un homme sain et sans complexes. »
Récemment, au centre médico-social du Comité parisien des
œuvres en faveur de la jeunesse scolaire et universitaire, 469 étudiants
ont été l’objet d’un examen approfondi. Voici les résultats de cette enquête,
sur 469 sujets présentés :
181 déficients ; 63 malades ; 50 relevant
de la chirurgie ; 25 tuberculeux pulmonaires ; 13
extra-pulmonaires.
Reste 117 sujets normaux, dont 20 environ font
régulièrement du sport. Au lycée de Saint-Quentin, d’après les statistiques du
professeur d’éducation physique, sur 700 élèves, 150 sont atteints de
déformations vertébrales. Plus d’un tiers des enfants sont déséquilibrés dès la
sixième année. Un stage de kinésithérapie a été demandé et refusé par
l’administration.
Les étudiants parisiens disposent au Quartier Latin d’un
stade mineur, Bullier, juste bon pour la cour d’un collège de sous-préfecture.
Une piste de 250 mètres, deux cabanes vétustes formant vestiaires, deux
panneaux de basket, ceci pour les 15.000 étudiants de Paris. Je passe
personnellement devant le stade Bullier deux fois par semaine. Je n’y ai jamais
vu, sauf les jours d’examens, plus de 4 à 5 pratiquants.
La Faculté de Droit a 3.000 étudiants : 180 sont
membres de l’association sportive ..., 50 pratiquent effectivement.
Étendons ce droit de regard aux scolaires. Sur les 1.300
scolaires de La Ciotat, 20 p. 100 sont aptes au sport scolaire (c’est-à-dire
prudent et mesuré), 60p. 100 inaptes, 20p. 100 définitivement
inaptes.
Il existe d’excellentes installations sportives à la Cité
universitaire. Elles comportent une remarquable piscine. Cette piscine a été
fermée l’an dernier du 15 juin au 15 octobre.
Après l’abandon du stade Pershing, on a entrepris la
démolition du stade Branly, puis celle du stade Drouant, les deux seuls stades
qui pouvaient, par leur situation, accueillir des milliers de scolaires.
Le budget du sport universitaire est dérisoire, les
programmes sont accablants, les installations inexistantes ou inutilisables.
C’est l’élite de notre jeunesse qui paye cet abandon criminel. C’est la santé
de notre pays qui est en jeu. Le budget continue, selon le mot de Léo Lagrange,
à « refuser à la santé et à la vie le centième de ce qu’on accorde à la
mort ». L’Université se désintéresse obstinément de ce problème essentiel.
Il appartient donc aux responsables du sport français de dépeupler les
sanatoria en peuplant les stades et les piscines.
Gilbert PROUTEAU.
(1) Office du sport scolaire et universitaire.
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