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La chèvre

Une laitière permanente

Il existe tout un art de poser une ou plusieurs questions au rédacteur d’une revue — spécialisé dans une technique, — surtout si l’on veut en être compris. Ainsi, naguère, un correspondant nous posait séparément dans la même lettre deux questions qui, en réalité, étaient tout à fait complémentaires. La première demandait le nombre de chèvres qu’il fallait élever pour obtenir le lait nécessaire à une famille de trois grandes personnes. La seconde était de savoir si l’on peut faire saillir les chèvres en toute saison « afin d’obtenir une production de lait soutenue pour les besoins de la famille ».

Il faut d’abord résoudre un petit problème préliminaire. Combien veut-on obtenir de litres de lait par jour ? Une fois le chiffre connu, il n’y aura qu’à trouver le ou les animaux adéquats, en faisant une petite multiplication ... Sans avoir les chiffres exacts en main, il nous semble que deux bonnes laitières, même si elles ne sont pas des phénomènes, feraient fort bien l’affaire. Donc, à certains moments, pour ne jamais manquer complètement de lait, on devrait pouvoir se contenter d’une seule unité mammaire que l’on aura du reste choisie dans ce but : mettons trois litres quotidiennement, un peu plus, un peu moins ... À d’autres époques, au contraire, on aura deux animaux en état de rapport. Nous allons du reste nous expliquer.

L’important, maintenant, c’est d’avoir du lait en permanence. On se demandera donc si, dans l’espèce caprine, les saillies peuvent avoir lieu en tout temps. On a remarqué que les chevreaux naissent généralement entre janvier et juillet, avec une nette recrudescence en mars. Mais peuvent-ils naître en novembre ou décembre, par exemple ? En général, ce n’est pas le cas et cela apporte évidemment quelque complication. On l’avait noté en Amérique, avant la guerre, en parlant d’un élevage caprin « saisonnier », mais, il y a plus de deux cents ans, Buffon avait déjà fait la même remarque. Et en fait rien n’est plus normal. À la descente de l’alpage, on conduit au bouc des laitières qui voient leur production diminuer sensiblement avec l’automne ; après la saillie, du reste, la courbe remontera un peu et l’on dit en l’occurrence que la chèvre « se rafraîchit ». Et cela est bien ainsi puisque les jeunes ruminants verront le jour au printemps, au moment où ils pourront facilement faire l’apprentissage qui convient à un animal dont l’essence est de brouter ... pour ruminer.

On voit parfois des chèvres en chaleurs dès le mois de juin ; d’autres le sont en février pour mettre bas en juillet. On se souvient dans les annales caprines de cette laitière, fille de championne, qui s’obstinait à « chevroter » vers la Saint-Jean d’été. Pour un élevage aussi bien dirigé que celui de sa propriétaire, c’était une régulation naturelle et originale qui arrangeait tout. Seulement, voilà, le Concours général agricole de Paris avait lieu en mars ; on ne pouvait alors espérer une récompense avec la production forcément ralentie et faible d’un sujet en gestation mis en compétition avec des laitières « fraîches ». En tout cas, il est bon de savoir que l’on peut forcer légèrement la nature. De plus, l’opération sera facilitée ou avantageuse du fait que la chèvre, bien que naturellement prolifique, pourra produire sans discontinuité pendant deux ans, c’est-à-dire faire deux lactations en une, d’une pierre deux coups.

Des expériences qui intéressent notre correspondant ont été faites avec soin et pour la première fois, en 1899, à Aarau (Suisse). En conclusion, leur auteur, Ruegg, proposait trois possibilités :

    1° La chèvre n’est appelée à mettre bas que tous les deux ans ;
    2° On laisse porter les bêtes, mais on ne les fait pas tarir ;
    3° On fait en sorte que les chèvres menées les premières au bouc arrivent à terme lorsque les autres en sont à la période dite du « tarissement ».

Le premier point est connu. Le deuxième est à éliminer. En effet, on ne peut demander à une femelle caprine d’être tout le temps en activité physiologique spéciale, soit de lactation, soit de gestation. Surtout si l’on pense que ces deux choses sont parfois contemporaines, ce qui est nettement abusif pour la santé de l’animal que l’on exploite.

Pour ce qui est du troisième point, nous nous sommes étendu, au début de cet article, sur les possibilités de répartir les naissances. Nous avons montré que cela était parfois nécessaire, et se produisait même de soi. Il nous reste à voir les « modalités d’application ».

Si l’on veut faire saillir à un moment déterminé, et dans un but précis, une chèvre, peut-on y arriver ? La plupart du temps, en dehors de l’époque automnale et de quelques rares exceptions, il n’y aura rien à faire ... Et pourtant il faut trouver une solution. Un premier moyen pourrait être employé, mais il faut le rejeter, car c’est l’application du deuxième point de Ruegg déjà éliminé. Il s’agirait de conduire au bouc des chèvres en lait six semaines après la mise bas, lorsque les glandes génitales subissent une excitation parallèle à celle de la mamelle. C’est le meilleur moyen pour ternir la santé proverbiale de la chèvre et abâtardir l’espèce. À l’égard de telles méthodes, on ne devrait même pas prévoir d’exceptions possibles. Un deuxième moyen consisterait à utiliser, conjointement à une nourriture échauffante telle que l’avoine, un produit pharmaceutique capable de produire l’excitation voulue. Le tout est de trouver une spécialité efficace. Enfin, troisièmement, il y aurait l’utilisation rationnelle des moyens naturels. Se servir du bouc et de son odeur caractéristique — plus ou moins forte du reste suivant les races et la qualité de son entretien. Imiter Joseph Crepin faisant le soir l’inspection de ses étables, accompagné d’un chevrier tenant en laisse un mâle vigoureux et ardent. Les laitières de la splendide Chèvrerie du Val Girard, bien nourries et parfois en fin de lactation, se montraient favorables aux avances de leur étalon. Ce qui, en plus du reste, assurait la « soudure » du lait, pour reprendre un mot dont l’actualité demeure. Et, à ce propos, Joseph Crepin pouvait reprendre le vers que Virgile appliquait au pâtre Corydon :

Lac mihi non aestate novum nec frigore defit ...

« Le lait nouveau ne me fit défaut ni en été, ni en hiver. » Et, en terminant, nous montrerons une fois de plus la valeur des conciliations ; il apparaît, en effet, qu’il faut conjoindre la première et la dernière possibilité indiquées par Ruegg qui sont, en fait, solidaires. Étendre si possible la lactation des chèvres sur une période pouvant aller jusqu’à deux années consécutives. Et lier cette recherche avec l’espacement et la régulation scientifique des naissances ...

Ch. KRAFFT DE BOERIO.

Le Chasseur Français N°630 Août 1949 Page 610