Le XVIIIe Salon de l’Aéronautique et le
fantastique carrousel aérien d’Orly ont été une éblouissante démonstration des
possibilités des moteurs à réaction. Progressant à pas de géants, la technique
de la propulsion par réaction révolutionne et bouleverse le domaine de la
vitesse pure.
À l’interrogation faite il y a un an aux techniciens du
monde entier : le moteur à réaction détrônera-t-il le moteur à
pistons ? il est possible aujourd’hui de répondre par l’affirmative.
Turbo-réacteurs et turbo-propulseurs.
— Dans une de nos dernières causeries, nous vous avons
sommairement décrit la conception et le fonctionnement d’un turboréacteur.
Depuis, un nouveau moteur est entré en compétition, le
turbo-propulseur. Ce dernier offre beaucoup de similitudes avec le turbo-réacteur
classique, mais il a la particularité d’être équipé d’une hélice, celle-ci est
actionnée par l’arbre de la turbine à gaz, et sa puissance propulsive vient
s’ajouter à la poussée statique de la tuyère d’échappement.
Il en résulte une force propulsive accrue, mais, par
contrepartie, une fatigue supplémentaire pour tous les organes en frottement,
particulièrement pour les paliers de l’arbre de turbine et de ses butées.
Le problème du graissage et de la résistance de ces
organes est le plus ardu que les constructeurs ait à résoudre, lorsque l’on
sait qu’ils travaillent (spécialement la turbine) dans un feu continu
développant 700 à 900° et qu’il faut tenir compte aussi de leur très grande
mobilité leur permettant d’atteindre des vitesses de rotation de 8.000 à 10.000
tours-minute, d’où les risques nombreux de grippages et de déformation des
pièces en mouvement.
Ces difficultés ont amené les ingénieurs à chercher en
dehors des chemins battus depuis trois ou quatre ans, et à s’orienter vers un
moteur à réaction ne comportant que le strict minimum d’organes mobiles.
Le stato-réacteur de Leduc.
— Le stato-réacteur de l’ingénieur Leduc, qui a fait
des essais en vol sensationnels, est le type même du moteur à réaction faisant
l’objet des recherches actuelles.
L’avion Leduc 0-10 et son réacteur est un appareil purement
expérimental destiné à la mise au point du système de propulsion par tuyère thermo-propulsive
ou stato-réacteur, la caractéristique essentielle de la propulsion thermique
est la suppression presque totale de tous les éléments mobiles.
Donc, dans le stato-réacteur, plus de compression mécanique.
Il assure lui-même cette compression par sa propre vitesse de
déplacement ; largué à 4.000 mètres d’altitude du gros avion
« Languedoc » dans un piqué à 400 kilomètres-heure, le Leduc
accentue ce piqué jusqu’à 500 kilomètres-heure. À ce moment, grâce aux
lignes et aux astuces aérodynamiques particulièrement étudiées du fuselage de
l’avion, l’air vient s’engouffrer dans les chambres de combustion (brûleurs)
alimentées en carburant par des pompes à injection, le dispositif d’allumage
est mis en route et, grâce à cette auto-compression, le stato-réacteur entre en
action créant une poussée statique par la tuyère analogue à celle crée par un
turbo-réacteur.
La seule pièce mécanique mobile du stato-réacteur de
Leduc est une petite turbine à gaz qui entraîne les pompes à injection et
autres servitudes annexes.
Il est facile d’imaginer la simplicité de la construction et
les possibilités inouïes du stato-réacteur par la suppression radicale des
ennuis mécaniques propres au turboréacteur. Les essais de l’avion de Leduc
marquent une date dans l’histoire de l’aviation et situent bien le génie de cet
ingénieur français. C’est en 1936, en effet, qu’il conçut son appareil, que la
guerre et l’occupation ne lui permirent pas de construire. Ce vol,
magnifiquement réussi, constitue la plus éclatante consécration de ses
remarquables études et recherches. Il démontre la justesse de ses vues qui
furent d’ailleurs soutenues dès les premiers jours par le Service technique de
l’Aéronautique. Il est regrettable que la guerre lui ait fait perdre l’avance
considérable qu’il avait alors.
Ram-jets américains.
— Les Américains eux aussi, fort probablement inspirés
par les travaux de Leduc, s’orientent vers le stato-réacteur. Dernièrement, un
appareil à turboréacteur, le fameux « Shooting Star », a été muni de
deux petits stato-réacteurs dénommés « ram-jets ». Ces derniers sont
disposés chacun à l’extrémité des ailes. L’appareil décolle normalement sous la
poussée de son turbo-réacteur et, lorsque sa vitesse est suffisante pour
assurer la compression de l’air nécessaire au fonctionnement des
stato-réacteurs, ceux-ci sont allumés, leur puissance se substitue alors à
celle du turbo-réacteur qui est stoppé.
Demain.
— Il faut s’attendre avant peu à des progrès
sensationnels, car l’avion expérimental de Leduc n’a volé qu’avec les deux
tiers des brûleurs allumés et il a cependant dépassé le 700 à l’heure.
La difficulté la plus difficile à vaincre sera celle du
décollage et de la mise en marche. Peut-être utilisera-t-on pour cela des
rampes de lancement, des moteurs auxiliaires, ou mieux des fusées de
décollage ...
Dans nos bureaux d’études nos ingénieurs
travaillent ... Demain peut-être nous pourrons vous entretenir de leurs
prochaines réalisations.
Maurice DESSAGNE.
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