Un de nos lecteurs, se référant à des essais de munitions de
chasse, sollicitait dernièrement quelques explications en nous faisant
remarquer le peu de concordance des résultats obtenus par divers
expérimentateurs dans des conditions qu’il estimait identiques. Et il nous
exprimait son étonnement de rencontrer dans la documentation balistique des
chiffres parfois fort différents concernant les caractéristiques des munitions
courantes.
Nous comprenons fort bien la déception de notre
correspondant ; encore ne faut-il comparer que des choses comparables, et,
pour voir un peu clair dans cette question, il est bon de dire deux mots des
mesures en général.
Mesurer, c’est comparer quelque chose à une unité connue et
acceptée ; la précision de notre opération dépendra en premier lieu de
notre outillage, deuxièmement de notre savoir-faire.
On construit aujourd’hui des balances de laboratoire,
susceptibles d’apprécier le milligramme en opérant sur des masses d’un
kilogramme. Plusieurs opérateurs exercés trouveront donc des résultats
identiques, et ces derniers s’exprimeront avec des décimales superflues dans la
majorité des cas. Il en sera de même pour des mesures de longueur, et des
calibrages de précision sont actuellement chose courante en mécanique. À une
autre échelle, dans le bâtiment par exemple, les opérateurs sont d’accord au
centimètre près et, commercialement, lorsque nous achetons quelque marchandise
évaluable en mètres, nous savons exactement ce que nous demandons et ce que
nous obtiendrons.
Mais il y a malheureusement des quantités physiques moins
faciles à apprécier. Dans l’étude des munitions, trois résultats nous
intéressent : les pressions développées, les vitesses obtenues et la
répartition des projectiles. Nous n’insisterons pas sur cette dernière, que nous
avons tout le loisir de mesurer à notre aise.
Il n’en est pas de même en ce qui concerne les vitesses et
les pressions ; nous avons à apprécier ici des pressions essentiellement
fugitives, au sujet desquelles les instruments usuels ne nous apprendraient
rien, et des vitesses instantanément variables suivant des lois complexes.
Parlons d’abord des pressions ; depuis que l’on
s’occupe de ces questions de balistique intérieure, les spécialistes n’ont pas
trouvé de meilleure méthode pour mesurer la pression d’un explosif que de
procéder à la comparaison de l’écrasement d’un petit cylindre métallique
disposé aussi près que possible du point à étudier. On admet que la pression
instantanée des gaz correspond au nombre de kilogrammes par centimètre carré
donnés par une table de tarage. Cette méthode est très suffisante parce qu’il
s’agit, dans notre cas, de comparer des explosions ; mais, quant à la
valeur réelle des pressions développées, personne ne l’a jamais exactement
chiffrée, et, en pratique, elle n’aurait qu’un intérêt secondaire.
En outre nous constaterons que des munitions aussi
identiques qu’elles peuvent l’être nous donnent des résultats quelque peu
différents. Nous obtiendrons assez fréquemment des écarts d’une quarantaine de
kilogrammes, dans les deux sens, avec la moyenne des pressions ; dans la
pratique balistique, nous nous contenterons de cette approximation parce que
notre outillage a pour lui la simplicité et la rapidité. Ces dispositifs
portent le nom de crushers et les armes spéciales destinées à leur emploi sont
désignées sous le nom de fusils crushers.
En ce qui concerne les vitesses, nous nous contenterons de
mesurer uniquement la vitesse des plombs de tête de la gerbe, en opérant à 10 mètres
de la bouche et en déduisant cette vitesse du temps employé à parcourir une
distance connue.
On admet que la vitesse ainsi mesurée est celle relative au
point milieu de l’intervalle. Ici encore nous ne pouvons faire qu’une seule
mesure par essai et, bien que les chronographes spéciaux soient d’un ordre de
précision supérieur aux appareils crushers, il subsistera encore une certaine
incertitude sur la vraie valeur de nos mesures. Le général Journée admettait
jadis, en se basant sur des milliers d’essais, que les vitesses prévues pour
les cartouches de chasse ne se réalisent dans la pratique qu’avec une
approximation de 1/20. On peut mieux faire actuellement, mais il est impossible
de régler les vitesses au mètre près.
On comprend donc facilement pourquoi, dans ce genre
d’essais, on s’attache à des comparaisons utiles bien plutôt qu’à la recherche
de valeurs absolues et que ces comparaisons auront d’autant plus de valeur
qu’elles seront faites sur des séries importantes, au même moment, avec le même
appareillage, et surtout avec l’emploi des mêmes éléments secondaires.
Définir une cartouche par ses charges de poudre et de plomb
est insuffisant ; il convient, en outre, de préciser la nature et le poids
des bourres, le genre et l’âge de l’amorçage. Il faudrait même que tous les
percuteurs aient la même forme, celle-ci ayant une certaine influence sur le
mode de déflagration de l’amorce. Il est donc très difficile de comparer des
essais si l’on ne possède pas l’ensemble des éléments nécessaires, et ceci
explique la non-concordance de certains résultats publiés de divers côtés. Sauf
erreur grave, tous les expérimentateurs ont raison, mais les conditions ne sont
pas les mêmes.
Il faut enfin noter, et cela échappe à beaucoup de
chasseurs, que le maximum de vitesse initiale ne correspond pas toujours au
maximum de vitesse entre 20 et 30 mètres, par suite de la déformation des
plombs due aux vitesses initiales élevées. Or seul le maximum de vitesse aux
distances d’utilisation est intéressant pour l’efficacité du tir.
Nous pensons que ces quelques considérations, sans diminuer
la confiance dans les opérateurs, permettront aux usagers de comprendre
pourquoi les mesures balistiques ne sont pas du même ordre de précision que
celles du commerce et de la vie courante ; nous pouvons assurer qu’elles
sont amplement suffisantes pour contrôler les fabrications et permettre la mise
à la disposition des chasseurs d’excellentes munitions.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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