Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent s’adressait
principalement à la portion physique du chasseur, qui lui tient lieu tout
naturellement de chevalet de tir. Instrument docile ou rebelle, ce chevalet
vivant est construit pour mettre en pratique les diverses manières de pointer,
dont les lecteurs du Chasseur Français sont instruits depuis longtemps,
et dont nous ne rappellerons que brièvement le principe.
1° Principe basé sur la rencontre du gibier avec les plombs,
dont l’exécution consiste à jeter directement le coup sur le point où l’on
estime que le but et les projectiles viendront se croiser.
2° Même principe régi par une exécution différente
s’efforçant de trouver le point de rencontre au bout d’un balancement du fusil
accompagnant la pièce horizontalement ou verticalement selon le cas, puis la
dépassant de la distance jugée nécessaire, avant de tirer sans arrêter le
mouvement d’avance imprimé aux canons.
3° Principe du tir en plein qui semble indiquer l’uniformité
permanente du point de visée mais qui, dans la réalité, n’exclut pas les
corrections de pointage qui sont accomplies, sans en avoir l’air, par des
mouvements des jambes, des pieds et du corps — principalement des
rotations du tronc. Mouvements toujours achevés par un coup jeté en plein sur la
pièce, afin que le fusil ne prenne aucune part au balancement qu’il ne
manquerait pas de subir s’il était à l’épaule quand les mouvements en question
se produisent. Cette fausse manœuvre hybriderait le procédé, altérerait son
harmonie, et détruirait son efficacité.
Il est temps, à présent, de penser un peu au moral qui
s’associe au physique pour conditionner la façon d’expédier son plomb le mieux
possible au point qu’on lui assigne.
On tire avec son cerveau, dit-on, ce qui est exact et paraît
faux également, parce que, la plupart du temps, on est bien en peine
d’expliquer son meilleur tir. Il est vrai que ledit cerveau n’a de compte à
rendre à personne sur la rapidité de ses décisions.
Le tempérament semble intervenir seul en ce cas-là.
Cependant il serait aventuré de prétendre que le cerveau n’est pour rien dans
l’essence de ce tempérament. Il peut s’en montrer le maître tout-puissant,
comme le serviteur indolent, et c’est ce qui indique pourquoi le raisonnement,
dans l’exécution du tir de chasse, peut mener au succès ou au désastre. Il faut
donc sous-entendre, quand il s’agit du tempérament humain : le tempérament
physique et le tempérament moral compris tous deux dans le tempérament tout
court.
Ce tempérament-là, un seul être au monde est capable de le déterminer
à coup sûr : c’est son propriétaire, s’il veut bien se donner la peine de
s’observer sans excès d’indulgence. Et c’est d’après la latitude que veut bien
lui laisser ce tempérament qu’il oriente sa manière de tirer, s’il n’a pas reçu
d’un maître averti une éducation première en rapport avec sa nature, éducation
que la pratique aura menée à la routine.
Mais chacun n’a qu’à regarder autour de soi pour se
convaincre que la rencontre d’un tel maître est généralement exceptionnelle.
Est-ce un bien, est-ce un mal d’avoir été fortement modelé
avant d’entrer dans la carrière ? C’est à voir.
Il n’est pas toujours souhaitable, à la chasse, qu’une
consigne trop rigoureuse vous passe ses menottes. L’action spontanée est une
riposte aux circonstances, qu’il est indispensable d’avoir dans son sac. Nous
ne croyons donc pas exagéré d’affirmer que, si une méthode de tir bien
absorbée, et bien retenue, est un bagage précieux, le recours à toutes celles
que nous avons résumées plus haut ne nous apparaît pas du tout comme un luxe.
Loin de là, leur usage alternatif est une nécessité qui fait partie des
précautions qu’on doit prendre pour faire face à l’imprévu et aux difficultés
qui vous guettent continuellement en plaine, au bois et au marais.
Mais attention ! Si leur emploi est inéluctable, leur
application stricte ne l’est point. Il n’exige pas une observation féroce. Il
se contente, et il ne peut faire autrement, d’une interprétation grâce à
laquelle les différents tempéraments lui apportent, non pas une dénaturation caractéristique,
mais des variantes renforçant, au contraire, son efficacité.
Ainsi, dans la méthode des rencontreurs, qui prescrit de
jeter le coup à l’instant précis où la crosse prend contact avec l’épaule, il
est des tempéraments qui, s’ils s’accommodent au mieux de son principe général,
sont en chicane avec ce détail d’exécution. Ils y remédient par un temps
d’arrêt bref comme une étincelle leur permettant d’assurer la position de la
crosse et de contrôler, dans l’espace d’un éclair, la rectitude de leur
pointage.
Ce temps d’arrêt est imperceptible et ne nuit en rien aux
effets du tir, tout en assurant dans son extrême brièveté une reprise de
sang-froid salutaire, parce que sa durée est trop courte pour déranger la
cadence rapide ordonnée par la méthode qu’on pourrait appeler : la méthode
des rencontreurs-retoucheurs.
Cette variante est raisonnable et judicieuse. Elle serait à
recommander chaudement si n’importe qui pouvait la prendre à son compte. Mais
il est loin d’en être ainsi. Il faut être fait pour elle, et non pas se figurer
qu’on peut l’adopter le jour ou l’envie vous en prend, si l’on n’a pas dans son
tempérament une case spéciale prête à la recevoir.
Tout cela prouve, comme nous l’avons indiqué dans un autre
cas, que, s’il est bon de se mettre dans la peau de quelqu’un dont on veut
corriger le tir, il ne faut pas la lui prendre pour la remplacer par la sienne.
Aider son prochain ne consiste pas à l’écraser de la
supériorité qu’on se reconnaît à soi-même. Quel bénéfice peut bien retirer un
jeune homme d’un naturel vif et décidé quand il s’entend recommander, fût-ce
par le meilleur tireur du monde, de ne pas se presser, de prendre tout son
temps pour viser ?
Qu’il ne se précipite pas, c’est parfait, mais, par le Ciel !
qu’on ne l’empêche pas de tirer vite. C’est la montée à l’épaule qui s’opère
trop promptement ; mais, dès que sa crosse est en place, son tempérament
ne lui permet pas de tirer lentement. Et, pour peu que ce maître improvisé ait
l’habitude de fermer un œil et que son élève tire les deux yeux ouverts, on
voit dans quel bourbier le premier entraîne le second.
D’autre part, croit-on qu’un « redresseur » de
tir, à tempérament pétillant, obtiendra un résultat auprès d’un homme lent, en
l’aiguillonnant à force. Au contraire, il l’étourdira, faute d’avoir su
exploiter ses qualités de pondération.
La mesure est un des grands biens de ce monde. C’est un
joyau, un peu terne peut-être, mais quel joyau ! ...
Raymond DUEZ.
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