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Gibier d’Amérique

Le tinamou

Ce gallinacé est connu en Argentine sous le nom de martineta. Sa taille varie de celle d’une grosse perdrix à celle d’une poule, ce qui me ferait supposer qu’il en existe plusieurs espèces. Son plumage se rapproche, comme couleur, de celui de notre perdrix grise, toutefois, un peu plus de roux, surtout dans les ailes.

Les pattes sont un peu plus longues que celles de la perdrix, plus robustes aussi, ce qui lui permet d’être un coureur exceptionnel et qui s’envole difficilement. Sa chair est exquise.

On le rencontre le plus souvent isolé, quelquefois par couple, rarement par plus de deux ou trois. Son habitat est très étendu : j’ai tué des tinamous dans la province de Santa-Fé, j’en ai tué d’autres dans le Chaco, à 1.000 kilomètres plus au nord. Il semble toutefois affectionner les contrées chaudes.

Il est très difficile d’en faire lever sans un bon chien d’arrêt, plus rare encore de les voir voler d’eux-mêmes comme nous voyons parfois en Europe se déplacer des compagnies de perdrix qui changent de place sans intervention étrangère. Et pourtant ce gibier, qui vaut réellement la cartouche, même dans les pays où l’on dédaigne de tirer les perdrix, n’est pas tellement rare, ainsi que l’on pourra en juger :

J’avais, en 1908, un campement près du Rio Palometa (Chaco Austral). Mon domestique d’alors avait un chien noir de forte taille, sans race bien définie, mais qui n’avait absolument rien d’un chien d’arrêt. Jamais ce chien n’avait fait lever un tinamou ; par contre, il sentait très bien leurs nids. Son maître, muni d’un panier, le suivait et récoltait de beaux œufs noirs violacés. Les quantités qu’il ramassait ainsi étaient invraisemblables. Il en faisait, au campement, de succulentes omelettes ... dont je profitais, il va sans dire, et que nous apprécions d’autant plus que les poules étaient très rares dans ces contrées.

Avec un chien habitué à ce gibier, il arrive parfois de faire de belles chasses ; j’ai participé à certaines d’entre elles où chaque chasseur revenait avec sa demi-douzaine, quelquefois sa douzaine de martinetas. Il faut toutefois noter que ces régions n’étaient guère chassées, voire même pas chassées du tout.

Nous avons dit que le tinamou était un coureur, c’est la vérité et les chiens arrivent difficilement à l’arrêter. Lorsque, avec grand fracas, le tinamou s’envole, il monte presque verticalement jusqu’à une quinzaine de mètres de hauteur, puis il file tout droit dans la direction qu’il s est choisie. Si un chasseur inexpérimenté le tire dans la première phase de son vol, il a bien des chances de le manquer. Il est au contraire facile à descendre dans la seconde.

Je me suis souvent demandé pourquoi on n’a pas essayé d’acclimater le tinamou en France. Il aurait sans doute des difficultés à s’habituer dans les régions froides ; mais le climat et le terrain du Sud de notre pays ne sont pas tellement différents de ceux des plaines où je l’ai rencontré : plaines d’élevage ou de culture du Nord de la province de Santa-Fé, clairière aux herbes drues et coupantes du Chaco.

Le tinamou est un beau gibier qui se défend bien, il n’a pas besoin d’être alimenté comme le faisan. Si les Français arrivaient à en peupler une partie de leur territoire, les vrais chasseurs se réserveraient bien des joies, j’en ai la conviction.

Léon VUILLAME.

Après lecture de mon article, la Rédaction du Chasseur français me communique pour confrontation une monographie de Samat remontant à 1907, où sont exposés les résultats d’essais d’élevage en France du tinamou. À cette époque, je ne me trouvais pas en Europe et j’ignorais que de tels essais avaient été tentés.

L’article débutait ainsi :

Il fut un temps, il y a quelques années à peine, où le tinamou roux, grâce à une belle réclame, faite d’ailleurs avec la meilleure foi du monde, semblait destiné au plus grand avenir. Il devait peupler nos chasses et y devenir un gibier presque aussi abondant que dans son pays d’origine.

Aussi un grand nombre de propriétaires se lancèrent-ils dans l’élevage de cet oiseau. Nous sommes obligés de constater que les résultats n’ont pas répondu aux espérances, et que le tinamou restera pendant longtemps encore un oiseau de parc ou de faisanderie.

Ce n’est pas que son élevage soit difficile, ni que cet oiseau soit délicat ; au contraire, il est robuste, vigoureux, peu difficile, il se reproduit facilement ; mais c’est un gibier véritablement peu intéressant, vous allez savoir pourquoi.

Dans la suite, l’auteur démontrait que ce gibier est taillé pour la course et il ajoutait : Le tinamou court avec une rapidité étonnante et, lorsqu’il est chassé, c’est là qu’il cherche le salut. Ce moyen de défense était bien fait pour dégoûter le chasseur. On a bien assez d’oiseaux qui piètent sans en aller chercher encore un ; déjà la perdrix rouge fait le désespoir des chasseurs, y ajouter le tinamou était excessif. C’est là une des raisons, je pourrais dire la principale, qui ont fait abandonner son élevage. En dehors de cela, il est fort capable de s’acclimater dans notre pays, surtout dans les vastes espaces incultes couverts de hautes herbes, avec des parties humides.

Voilà qui était fort bien exposé ; mais il faudrait s’entendre. Il est certain que, si j’étais propriétaire ou si je disposais d’une chasse gardée, il ne me serait jamais venu à l’idée d’y élever des tinamous. J’aurais, en effet, risqué d’aller chercher mes produits à pas mal de lieues de leur centre d’élevage. J’aurais de beaucoup préféré élever des faisans, gibier facile, ne s’éloignant pas trop des endroits où il est né et où il a été nourri. Mais le faisan est, hélas ! beaucoup plus facile à détruire que le tinamou, et c’est pourquoi on n’en trouve plus guère maintenant qu’aux abords des chasses gardées où on le soigne et où on l’élève.

Le point de vue des propriétaires de grands domaines peut-il être le même que celui de l’immense majorité des preneurs de permis de chasse qui arpentent les champs de France toute une année pour griller deux ou trois douzaines de cartouches ?

Je ne le pense pas.

Si le peuplement en tinamous d’une zone restreinte n’est pas à envisager, par contre, celui qui serait fait, par une fédération de sociétés de chasses, de tout un territoire où ce gibier, qui demande de grands espaces, pourrait se multiplier, territoires tels que la Sologne, les Landes, la Vendée, et combien d’autres ! ce peuplement, dis-je, apporterait, à mon avis, à une multitude de chasseurs modestes, sportifs et peu exigeants, des émotions et des joies que, dans l’état actuel du gibier en France, ils ne connaîtront que par exception et de plus en plus rarement.

L. V.

Le Chasseur Français N°631 Septembre 1949 Page 635