Si un auteur halieutique réputé a pu dire de la pêche à la
graine de chènevis qu’elle était la plus perfectionnée de toutes les pêches au
coup, je ne crois pas m’avancer trop en affirmant que la pêche au raisin est la
plus agréable et la plus productive de toutes les pêches aux fruits. Elle
s’exerce, en effet, dès le début de septembre, alors que les chaleurs torrides
de la canicule ont pris fin, et elle s’adresse à plusieurs espèces de poissons,
alors que les autres fruits n’attirent guère que le chevesne.
La pêche au raisin se fait au coup, à la coulée, en
choisissant, de préférence, des courants plutôt lents, au fond propre et assez
uni sous une bonne profondeur d’eau ; elle réussit fort peu en eau
trouble. Raisins blancs ? ... Raisins noirs ? ... Les avis
des initiés diffèrent sur ce point. Tout ce que je puis dire, c’est que j’ai
obtenu des résultats sensiblement égaux des uns comme des autres en ce qui
concerne le chevesne, la grosse vandoise et la carpe ; quant au barbeau,
il semble préférer nettement le raisin noir ; il va sans dire que les
touches de ces trois derniers poissons sont toujours plus rares que celles du
chevesne.
L’équipement ne diffère guère de celui adopté d’habitude
pour n’importe quelle pêche au coup. Il y a toutefois avantage à utiliser une
canne longue et de poids modéré, assez flexible et nerveuse.
Le moulinet, à peu près indispensable, doit pouvoir contenir
une soixantaine de mètres de soie imperméabilisée de calibre moyen. Les anneaux
latéraux de la canne lui permettront de passer sans entrave, et celui de tête
de scion sera utilement muni d’un centre de porcelaine.
Le bas de ligne sera solide, mais cependant assez fin. Deux
mètres de « Finagrecia », de racine X, de catgut ou de crins
japonais choisis feront fort bien l’affaire.
Il faut préférer au bouchon de liège une plume d’oie assez
longue supportant une plombée divisée qui devra l’équilibrer et la rendre très
sensible, l’extrémité supérieure ne dépassera pas de plus d’un centimètre la
surface liquide ; une plume à antenne est à recommander.
L’hameçon le meilleur est celui de forme arrondie, à hampe
courte, très acéré de pointe et légèrement renversé. L’attache de l’empile se
fera du côté de l’intérieur de la courbure, afin de l’empêcher de basculer au
ferrage. La grosseur du haim varie avec celle de l’esche, qui ne sera jamais
trop grosse ; si le poisson boude, il faudra se servir de raisins et
d’hameçons plus petits.
Ces derniers devront pouvoir être dissimulés entièrement
dans l’intérieur de la graine, dont ils contourneront le centre ; seule la
palette dépassera au dehors, imitant un court fragment de queue.
L’amorçage préalable est de rigueur, surtout dans les
rivières où ce mode de pêche est inconnu. Il s’exécute en lançant sur l’endroit
où l’on péchera deux ou trois poignées de raisins égrappés, et ce une
demi-heure environ avant de commencer.
Durant l’action, des rappels d’amorce — cinq ou six
grains, pas plus, — contribuent à maintenir le poisson sur le coup. Pas
d’abus d’amorçage, sinon le poisson gavé déserterait bientôt l’endroit pour
plusieurs heures.
Il est nécessaire que le raisin-esche roule lentement sur le
fond ; il est assez rarement gobé entre deux eaux et ce fait est presque
toujours dû à un chevesne de taille médiocre. Au contraire, tout comme le
barbeau et la carpe, le gros chevesne mange sur le fond. La ligne doit donc
être assez plombée pour que le fruit gagne ce fond dès le début de la
coulée ; le parcours utile sera plus long et, partant, plus efficace.
Le meilleur lancer à adopter est celui dit « balancé ».
Le pêcheur expert ne laisse pas dériver sa ligne au seul gré
du courant ; il la retient tout en l’accompagnant, pour que le raisin
passe au-devant de la plombée et ne la suive pas à la remorque.
Pendant la coulée, il n’est jamais mauvais d’effectuer de temps
à autre de courts retraits de la ligne et même des relevés de faible amplitude,
suivis de relâchés. Le vrai relâché est de rigueur en fin de coulée à l’aval du
coup, car c’est là que se trouve le plus grand nombre de convives. Il est
également bon d’arrêter assez souvent le raisin sur le fond et de le laisser en
place deux ou trois minutes immobile.
Ce sera surtout le barbeau qui profitera de ce moment pour
sonner les trois coups traditionnels avant de filer, raisin en bouche. La belle
carpe — les petites ne touchent pas au raisin — agit presque toujours
sans avertissement préalable, sinon quelques tremblotements insensibles du
flotteur. Tout à coup elle part à grande allure et déroule incontinent quinze
ou vingt mètres de soie ; j’ai vu également de très gros chevesnes agir
ainsi.
Dans ces deux cas, il est indispensable que le fil se
déroule librement du moulinet. Le pêcheur en profite pour relever sa canne à la
verticale, sans à-coup, puis il pose le doigt sur la soie et raidit la ligne,
provoquant ainsi le ferrage ; le coup de poignet est inutile. La pêche au
raisin se fait aussi en bateau, en utilisant une canne plus courte et en
laissant l’esche dériver assez loin en aval.
Cette pêche est souvent productive en très belles pièces. Il
m’est arrivé d’accrocher des chevesnes de plus de trois kilogrammes, des carpes
à peu près aussi lourdes et des barbeaux « pépères » qui ne leur
cédaient en rien.
La défense la plus terrible est celle de la carpe ;
après, vient celle du barbeau, lutteur farouche et obstiné, et enfin celle du
gros chevesne, violente au début, mais très vite bridée. Le bon pêcheur
manœuvre en conséquence, mais il n’oubliera jamais que l’absence d’épuisette
peut être catastrophique ; cet indispensable accessoire ne doit jamais le
quitter.
R. PORTIER.
|