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Pour la défense du vivier français

L’école nationale des gardes-pêche

Le braconnage n’en est pas resté aux méthodes pittoresques des Raboliots, nous confirme M. l’Inspecteur Général des Eaux et Forêts Larrieu, du département de la Pêche. Il ne cesse de se moderniser. Il suit les progrès de la science et ceux de la guerre. Au lendemain de 1918, ce fut la vogue de la grenade. La dynamite eut aussi sa belle part de l’hécatombe. Les lendemains de 1944 ont vu se déclencher une nouvelle offensive antipiscicole à l’explosif, l’arsenal habituel étant complété par le plastic.

En dehors des explosifs de guerre, l’usage s’est généralisé d’un explosif de paix, la bouteille de carbure de calcium, et les fils des anciens braconniers qui n’usaient guère que de lignes, filets, harpons, foënes, troubles et « araignées » ou de soporifiques, comme le bouillon-blanc cher aux ravageurs d’étangs corses, empruntent maintenant à la chimie l’eau de Javel, l’ammoniaque et le chlorure de chaux.

L’électrification étant à la mode, les nouveaux Raboliots électrifient la pêche. Le long des canaux et rivières canalisées, courent les fils du courant utilisés par les tracteurs de péniches. Un autre fil jeté sur eux, dont une extrémité plonge dans l’eau, et c’est l’électrocution massive des poissons ! Il advient aussi que ce soit celle du pêcheur ultra-moderne. Chaque année c’est une douzaine de braconniers de rivière qui s’exécutent eux-mêmes.

L’ancien braconnier rustique est supplanté par de véritables gangs puissamment enrichis par des années de marché noir, organisés par équipes disciplinées dont l’outillage ne laisse rien à désirer. Récemment, sur la Seine, un de ces « commandos » échappa aux gardes-pêche en ... auto-amphibie !

Devant un danger aussi grave que la constante modernisation technique du braconnage fluvial, il importait de créer des moyens de défense adéquats. L’ancien garde-pêche privé et au champ d’action trop localisé, le garde forestier qui avait droit légal sur la pêche, mais qui était de plus en plus absorbé par les développements complexes des industries sylvestres, ne pouvaient plus répondre seuls à ce péril longtemps stimulé par de gros gains. D’où conception d’un corps de gardes-pêche à rayon d’action départemental, coordonnant les efforts des gardes privés, pouvant être organisés au besoin en équipes volantes et, de plus, suffisamment instruits de toutes les questions de l’halieutique et de l’ichtyologie pour être d’avertis conseillers départementaux de pisciculture.

Les plans et l’action de grands amis de la rivière française, Messieurs les conservateurs, inspecteurs généraux, inspecteurs, Kreitzmann, Vivier, Larrieu, Chimits, Dedde, Charpy, Groult, Audicq, Wurtz, De Tourville, ont abouti à la création d’une École nationale des Gardes-Pêche à Bois-Corbon, dans la forêt de Montmorency, au-dessus de Saint-Leu-la-Forét.

Fondée en 1942, l’École n’a guère acquis sa vie normale que depuis 1946, car elle fut surtout en ses premières années une cachette de réfractaires au S. T. O., ce qui se termina le 26 mars 1944 par la descente d’une compagnie allemande et l’arrestation de quarante-neuf élèves et chefs.

Un premier contingent de quatre cents de ces gardes est urgent, qui porteront le nouvel uniforme bleu avec béret et la plaque polychrome aux armes des Eaux et Forêts, feuilles de chêne et cor, tandis que celle du garde privé est bleue, ne portant que la mention « Garde-Pêche » et que l’uniforme des gardes forestiers comporte la veste verte et le pantalon bleu avec képi ou béret.

Le professeur Chimits nous fait assister à une classe, dont les écoliers, hommes de vingt, trente et quarante ans, sont de robustes fils de la Savoie, du Jura, des Vosges, de la Bretagne, du Pays Basque, de la Provence, etc. Leçon de dressage de procès-verbal. Puis leçon d’halieutique. Vérification des dimensions des mailles de filet avec le gabarit pyramidal, désamorçage d’une grenade offensive, distinction de la foëne à saumon, qui a sept dents en fines flèches pointues, et de la foëne à anguilles, qui n’en a que quatre, mais aplaties.

Droit et halieutique se combinent, par exemple l’épervier, prohibé dans la pêche à la truite, a son usage permis sur les rivières à poisson blanc, mais uniquement entre les mains des adjudicataires et permissionnaires de pêche.

La géographie intervient aussi. Savoir en quelles catégories sont placés les cours d’eau ; première : ceux à salmonidés ; deuxième : ceux à cyprinidés. Prenons le département de l’Ain. Deuxième catégorie, cyprinidés : le Rhône, les affluents du Rhône en aval du confluent de l’Ain, la Saône, les affluents et sous-affluents de la Saône, le canal de Pont-de-Vaux, l’Ain entre le confluent de l’Oignin et le barrage de Cize-Bolozon, les affluents de la rive droite de l’Ain sauf le Suran, les lacs de Sylans, de Nantua, et la rivière de Nantua. Première catégorie, salmonidés : tous les cours d’eau qui ne sont pas classés dans la deuxième catégorie. Mais, sauf l’Ain et la Bienne, toutes les rivières de la première catégorie sont frappées de l’interdiction de l’emploi des filets et engins autres que la ligne flottante, tenue à la main.

Il y a aussi l’armurerie de l’halieutique. La panoplie est riche : boudaille catalane pour la pêche aux anguilles, boubier ou tramail à deux nappes de la Loire-Inférieure, barre ou verveux à ailes de la Haute-Saône, république, ample nappe rectangulaire de l’Ille-et-Vilaine, sarraouet, trouble à deux battants du pays basque, pelote ou troubles mis en tenaille de l’Yonne, etc.

Il y a encore le lexique de la pêche. Filet vertical à trois rets superposés, le tramail s’appelle alozat dans la Drôme, braie dans le Loiret, filadière dans la Gironde, nappe dans les Deux-Sèvres, flotte dans le Nord, naoufle dans le Roussillon, pschô dans les Vosges, vouillée dans l’Anjou, sédor sur la Loire. Le sartan du Haut-Rhône est la poèle du Bas-Rhône, le tourbillon du Gard, le capricoun de la Haute-Savoie.

Ajoutez à cela qu’un garde doit être bon guetteur, bon coureur, bon lutteur, initié aux roueries des corps à corps, boxe, judo, jiu-jitsu, catch, bon tireur, bon nageur et bon sauveteur.

Destiné à devenir dans son département le conseiller de pisciculture et maître d’alevinage, il lui faut étudier l’hydrobiologie en un stage à la station du Paraclet, près d’Amiens, tandis que les exercices pratiques de pêche et d’antibraconnage se déroulent lors d’un autre stage à l’étang du Der, près d’Éclaron, en Haute-Marne.

Le garde-pêche doit défendre aussi le peuple de nos poissons contre la pollution des eaux par les déjections industrielles. C’est à la station d’hydrobiologie du Paraclet qu’il est initié à cette importante partie de sa lutte quotidienne. Qu’une usine de produits chimiques soit cause d’empoisonnements nombreux de poissons tout le monde s’en doute, mais qui songe que le décapage d’une automobile aux acides a des répercussions sur les tanches et brèmes ; que les eaux tinctoriales des usines textiles, que les déchets de betteraves des sucreries, qui, en fermentant dans la rivière, dévorent l’oxygène de l’eau, étouffent les carpes, tout comme les ferments rejetés par les laiteries et fromageries ?

Voilà tout ce que doit apprendre dans le détail l’élève garde-pêche départemental en quelques mois d’études acharnées, pour enlever, en un concours complété par la moyenne des points du stage, sa « Commission » de garde-pêche et s’assurer l’espoir de devenir un jour garde-chef.

Il aura pour supérieur le président des Associations de Pêche du département, qui est contrôlé par le représentant départemental des Eaux et Forêts au point de vue technique et juridique. Ce président, élu par les associations de pêcheurs, a été agréé par le préfet. Le Comité central des Fédérations départementales de pêche, 243, boulevard Saint-Germain, à Paris, rassemble les taxes piscicoles versées par tous les adhérents en prenant leurs cartes. C’est avec ces ressources que le Comité central effectue le paiement de la solde des gardes-pêche départementaux.

Le nouveau garde-pêche départemental sera sévère pour les ravageurs du vivier national, mais indulgent aux petits enfants et aux jolies baigneuses qui ne savent résister à la tentation de cueillir les petits poissons avec la main, double grave délit car le petit poisson n’a sans doute pas la longueur légale et la main, pour aussi fine qu’elle soit, n’est autre chose qu’un vilain engin prohibé.

Ce dont il ressort que nous avons tous été braconniers sans le savoir. Mais nous avons su nous arrêter avant d’en arriver à la pêche à la dynamite ou au plastic, au chlorure ou au carbure, à l’auto-amphibie ou au pylône électrique.

Albert SOULILLOU.

Le Chasseur Français N°631 Septembre 1949 Page 642