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La vie du saumon

C’est un véritable roman que la vie du roi de nos rivières. Il s’est bien raréfié depuis un demi-siècle, en raison de la construction de nombreux barrages hydro-électriques, barrages trop hauts en général pour qu’il puisse les franchir, bien que d’un seul coup de queue il arrive à passer des dénivellations verticales de 2 mètres.

Or, revenant adulte de la mer, il lui faut absolument, pour sa reproduction, accéder à sa zone de frayères, qui est à peu près la zone de frayères de la truite.

De nombreux chercheurs, en France, en Angleterre, dans les pays Scandinaves, se sont penchés sur les problèmes que présente sa biologie. Je citerai simplement Menzies en Angleterre, Knut Dahl pour les pays Scandinaves et, en France, le professeur Roule.

C’est au laboratoire des Migrateurs du Musée de la Mer, à Biarritz, que sont actuellement poursuivies, par l’Administration des Eaux et Forêts notamment, ces recherches qui ont abouti à des précisions intéressantes et — ce qui est mieux — à des réalisations pratiques.

Le saumon traverse deux périodes de vie très distinctes, séparées par deux migrations. Ce sont ces périodes que Roule appelle :

    — d’une part, la vie potamique, ou vie en rivière,
    — d’autre part, la vie thalassique, ou vie en mer.

Étudions d’abord la vie en rivière.

En décembre, et jusqu’au début de janvier, dans les rivières à saumons, les reproducteurs se rassemblent sur leurs frayères. Ces frayères sont de grands bancs de gros graviers et de cailloux roulés, parcourus par un courant d’eau très rapide, et parfois même torrentueux.

La femelle au ventre gonflé d’œufs nettoie à grands coups de queue, parmi ces graviers, une place assez large en forme d’entonnoir de 2 à 3 mètres de diamètre et allant jusqu’à 0m,50, 0m,80 de profondeur ; ces emplacements sont facilement décelables par la couleur claire du gravier fraîchement remué, tranchant avec le fond environnant plus sale des cailloux restés en place.

On voit alors un mâle, facilement reconnaissable au bec formé par sa mâchoire inférieure, s’approcher de la femelle et se placer contre son flanc, un peu en retrait. La femelle expulse ses œufs par jets, le mâle expulse le sperme. Il est surprenant, à première vue, que dans un courant aussi violent les œufs puissent être fécondés par les spermatozoïdes. Et cependant, ces fécondations atteignent 50 à 60 p. 100 des œufs émis.

De temps en temps, le mâle va chasser d’autres mâles qui se tiennent un peu en arrière et essaient de prendre part à leur tour aux ébats amoureux. C’est souvent, pendant une telle chasse, qu’un troisième larron vient s’installer près de la femelle et a le temps d’émettre quelques jets de sperme avant le retour du premier mâle.

Que deviennent ces œufs après leur fécondation ? À vrai dire, ce n’est que tout récemment que des observations précises ont pu être faites. Ces œufs se groupent par paquets plus ou moins volumineux sous les pierres, et parfois même en de véritables « poches d’œufs » enterrées sous le gravier.

Ils mettront 20 à 25 jours à « s’embryonner », c’est-à-dire à se développer au point que les 2 yeux de l’embryon deviennent visibles sous forme de 2 points noirs ; 20 à 30 jours après (soit en tout une période d’incubation de 40 à 50 jours), ces œufs éclosent, et les alevins sortent de l’enveloppe de l’œuf, munis de leur lourde vésicule ombilicale ou sac vitellin, qui leur servira de nourriture pendant les 3 premières semaines de leur vie.

Évidemment, pendant ces 50 jours, les œufs mal enfouis peuvent être dévorés par les chabots, les vérons, les anguilles et les barbeaux. Chose curieuse, le jeune alevin de saumon ou « tocan », âgé de un ou deux ans, séjourne sur les frayères et c’est lui qui, de tous les poissons, prélève certainement le plus lourd tribut sur les œufs que ses gros congénères ont pondus devant lui. Il est vrai qu’il participe, malgré son jeune âge, à l’acte de reproduction, ainsi que je l’indiquais dans une précédente chronique, et que l’on est arrivé à obtenir 30 p. 100 de fécondations avec des œufs d’une grosse femelle de saumon traités avec du sperme de tocan.

Mais, dans l’ensemble, le tocan est beaucoup plus nuisible qu’utile dans les opérations de fécondation en raison de sa voracité.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°631 Septembre 1949 Page 643