Nous voici en septembre. Les journées sont plus courtes, la
température plus basse. À la première grosse chute de neige, les ascensions
difficiles deviendront impraticables. Inversement, les glaciers ont leurs
crevasses très ouvertes et les parois nord sont en glace vive.
Il est temps d’abandonner la haute montagne, mais
qu’allons-nous faire pendant les trois ou quatre mois qui nous séparent de la
saison du ski ? De l’alpinisme souterrain.
On a soutenu déjà de longues controverses sur cet
inépuisable sujet : la spéléologie est-elle un sport ou une science ?
N’oublions pas qu’il y a moins de cent ans on discutait de la même façon sur
l’alpinisme. Le géographe, le géologue et le physicien considéraient avec
mépris l’alpiniste pour lequel les Alpes n’étaient qu’un terrain de jeu.
Il en est de même aujourd’hui pour la spéléologie, mais
l’exploration de notre sous-sol est si peu avancée que toute expédition
souterraine apporte aux connaissances humaines une contribution plus ou moins
importante, même lorsqu’elle est réalisée dans un but purement ou
principalement sportif.
Parmi les sciences qui touchent de plus près à la
spéléologie, il est essentiel de distinguer deux catégories bien différentes.
La première groupe tout ce qui a un rapport quelconque avec la vie humaine ou
animale : préhistoire, biologie, paléontologie. À de rares exceptions
près, les terrains de recherches de ces différentes sciences se trouvent être
des grottes ne présentant pas de grandes difficultés d’accès ou de
parcours ; en un mot, elles sont inintéressantes pour l’alpiniste.
Il est certes très dangereux que n’importe quel touriste
vienne piocher dans un terrain de fouilles pouvant contenir un véritable trésor
au point de vue préhistoire, et c’est pourquoi certaines grottes sont classées
et leur entrée interdite au public. Mais, inversement, les recherches et les
désobstructions réalisées par quelques jeunes gens peuvent amener des
découvertes sensationnelles : les merveilleuses peintures rupestres de la
grotte de Montignac en sont le plus récent exemple, et ce n’était pas le
résultat d’une étude scientifique systématique.
La deuxième catégorie concerne tout ce qui a trait à la
géographique physique : topographie, hydrologie, hydrogéologie,
etc. ... Il ne s’agit plus de vie animale, mais de la formation et de
l’évolution du réseau souterrain lui-même.
Plus l’exploration sera poussée profondément, plus les
renseignements recueillis seront complets. Il s’agit d’abord de surmonter les
multiples difficultés rencontrées au cours de l’exploration du réseau
pénétrable, puis d’essayer de vaincre les obstacles qui terminent la grotte où
le gouffre, de façon à reconstituer aussi complètement que possible le réseau
complet primitif.
C’est dans ce domaine que les alpinistes français ont
pénétré il y a seulement une quinzaine d’années, donnant aux recherches
souterraines un très puissant essor dans notre pays, en s’attaquant en
particulier aux plus profonds des gouffres des Préalpes et des Pyrénées. C’est
ainsi qu’en 1930 un seul gouffre en France dépassait, de justesse, 200 mètres
de profondeur. Aujourd’hui on en compte près de vingt, parmi lesquels le plus
profond du monde, le réseau de la Dent de Crolles, atteint 658 mètres.
On peut se demander quel mobile est assez puissant pour
attirer dans l’humidité glacée des cavernes l’alpiniste qui apprécie
ordinairement la haute attitude, son atmosphère riche en ultra-violets et ses
espaces illimités.
La raison en est simple : c’est l’esprit d’aventure qui
le guide. Le besoin de découverte qui existe en chaque alpiniste en trouve plus
en montagne d’objectifs suffisants. Les problèmes alpins sont de plus en plus
rares, et n’importe quel itinéraire nouveau peut être étudié à fond sur place à
la jumelle ou dans un fauteuil sur documents photographiques.
Sous terre, au contraire, chaque pas vous apporte une
découverte nouvelle. Rien ne permet de prévoir à l’avance le résultat d’une
exploration. Tel gouffre d’allure formidable se trouvera colmaté à une faible
profondeur ; tel orifice difficilement pénétrable conduira, au contraire,
à des galeries immenses insoupçonnables.
Quant aux obstacles rencontrés sous terre, ils offrent une
grande diversité, et chacun d’eux pose un problème différent. Ce n’est plus,
comme en montagne, une question d’habileté technique qui permet de forcer un
passage ; pour chacun il faut étudier une solution différente et souvent
mettre au point tout un matériel. C’est ce que nous examinerons en détail le
mois prochain.
Pierre CHEVALIER.
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