Certains problèmes agricoles sont remis périodiquement en
discussion, passionnant les hommes de l’époque, puis un modus vivendi
s’établit, et il faut qu’un accident ou un esprit curieux se manifeste pour que
la recherche de la vérité soit tentée ! En ce moment, on discute sur
l’opportunité de la réduction des quantités de semences employées.
Des agriculteurs d’avant-garde, dont personne ne méconnaît
le talent, réussissent à obtenir de grosses récoltes en employant des quantités
réduites ; moins de 100 kilos par hectare, et l’on cite de
magnifiques réussites avec 60 à 80 kilos. D’autre part, de très bons
praticiens estiment que, s’ils mettaient moins de 280 ou de 200 kilos par
hectare, leurs productions seraient certainement diminuées.
Sur quoi peut-on se baser pour essayer de trouver la bonne
solution ? On ne doit pas oublier que, pour amener à maturité convenable
une production de 50, même de 60 quintaux par hectare, le sol doit être de
qualité remarquable et remarquablement cultivé. Il est également utile que les
conditions climatériques soient favorables. Ces récoltes importantes peuvent
d’ailleurs se concevoir de diverses façons : un nombre maximum d’épis,
quitte à les voir plus petits ; au contraire, un nombre un peu moins élevé
d’épis plus volumineux ou avec des grains plus gros. Pour l’instant, les blés
en vogue appartiennent plutôt au premier type, et il semble que ces blés soient
adaptés à un véritable sport.
Le point important est donc de faire porter par unité de
surface le nombre nécessaire d’épis parfaitement évolués. Si l’on emploie peu
de semence, chaque pied de blé devra taller énergiquement — ce n’est pas
la partie la plus difficile — mais amener tous ses épis au complet
développement. On réalise un tallage satisfaisant en semant de bonne heure, en
mettant les grains à une faible profondeur ; le tallage est précoce, la
plante s’installe, ses racines fouillent le terrain, et si, au cours d’une
bonne préparation, les éléments fertilisants bien dosés ont été appliqués, on
va vers la réussite.
Ainsi se dégage la notion du milieu correspondant au but à
atteindre et de l’art avec lequel il convient de l’utiliser. La terre doit être
formée d’un grain homogène, sa couche superficielle régulièrement et assez
finement ameublie pour que les semences germent à faible profondeur et
rapidement ; il sera parfaitement inutile de herser après le passage du
semoir, mais les socs seront conditionnées en conséquence. Il est certain que,
derrière le semoir, à la condition qu’elles ne couvrent pas les grains, on se
réjouira de voir les petites mottes qui se déliteront au cours de l’hiver par
la pluie ou par la gelée, venant doucement garnir la base du pied en voie de
tallage.
Essayer de décrire cet état superficiel du terrain, c’est
reporter le lecteur vers des terres naturellement en bon état de culture,
amendées ; le sol est pour ainsi dire toujours en bon état ; on
n’improvise pas la culture du blé.
Les éléments fertilisants auront été déposés au cours des
travaux de préparation ; mieux encore, on se réjouira d’un état de bonne
composition chimique préparé longtemps à l’avance. C’est sur un fond de
fertilisation ancienne que la plupart des végétaux devraient se développer, et
l’on saisit au passage toute l’importance des assolements et rotations bien
étudiées : la part de chaque culture réglant la part des engrais de fond,
des résidus de légumineuses, des déchets de récoltes, collets et feuilles de
betteraves, chaumes de céréales même incorporés judicieusement pour qu’ils
concourent à la formation de la matière organique, sans appauvrissement en
azote.
Il faudrait aussi, mais nous côtoyons l’art suprême,
connaître, le précédent, le meilleur pour chaque genre de variété cultivée, car
toutes ne se ressemblent pas. On s’explique ainsi la passion des grands
cultivateurs de blés et l’adresse avec laquelle ils manient cette véritable
palette sur laquelle se mêlent les tons les plus délicats.
Est-ce tout pour aborder les semis clairs basés sur la
parfaite montaison de souches égales, puissantes, bien alimentées. Le climat
intervient par sa régularité au cours de toutes les phases et surtout dans les
dernières semaines, on pourrait presque dire les derniers jours, alors que la
coloration des tiges donne la note définitive d’une maturité égale et complète.
Peut-on entreprendre et réussir partout cette production
raffinée qui, aux yeux de certains, est du jardinage étendu, qui, pour les
amateurs, les artistes, est presque monnaie courante chaque année que le blé
mûrit. Il suffit de raisonner un instant pour comprendre que, cet idéal, il
faut le connaître, pour s’en inspirer, aller voir ceux qui réussissent de la
sorte, penser aux mille réflexions dont jamais leur cerveau ne se lasse et,
devant le champ ancestralement cultivé avec une tradition insuffisamment
éclairée, essayer de tracer un programme d’acheminement.
Pendant ce temps, comme la terre ne sera pas parfaitement en
état, comme les manques à la levée atteignent 50 pour 100, on continuera à
semer assez épais ; comme le milieu n’assure pas la forte touffe, large,
puissante, couvrante, on en multipliera le nombre ; peut-être, même
certainement, sera-t-il sage de se contenter de blés à tallage naturel moins
important ; on fera de la récolte avec des épis plus gros, chaque pied de
blé en nourrira deux et l’on ne donnera pas au printemps ces façons qui ne sont
pas sans intérêt, mais qu’il faut savoir manier, surtout quand le coup de
soleil trop vif arrête tout allongement aux tiges tard venues ; les
tardillons correspondent à du gaspillage d’énergie.
Délicatement, année par année, on modifiera l’un des
facteurs ; je crois qu’il faut, avant tout, préparer le milieu pour
permettre de recourir aux moyens de l’exploiter rationnellement, puis on sèmera
un peu plus superficiellement, on mettra quelques kilos de semence en moins par
hectare, on risquera un blé à plus fort tallage. Si le cultivateur a de la
perspicacité, sans vouloir faire une expérience contrôlée — il n’en a
guère le temps — en plein milieu du champ, il laissera un témoin ; ce
témoin du passé vers lequel il se penchera souvent ; il retournera à la
source non pas seulement à la moisson, mais au printemps, voir comment se
comportent les champs des grands as ; il ne les enviera pas, mais il
essaiera de comprendre ce qu’ils font, et ce n’est pas aussi facile qu’on
pourrait le croire.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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