Il est agréable d’avoir sur sa table, pendant la saison
d’hiver, souvent longue, une grappe de raisin que l’on a produite, puis qu’on a
soignée, afin de lui conserver la plus grande partie de sa saveur. De plus,
cette conservation est d’un bon profit lorsque, à la même époque, il est
possible d’en assurer la vente.
Nous laisserons de côté la production industrielle des
« forcenés », ainsi que celle du raisin sec pratiquée depuis
l’antiquité dans les pays très ensoleillés. Nous nous bornerons à donner, ou plutôt
à rappeler, des procédés simples connus et pratiqués depuis longtemps.
Le plus commode pour la consommation familiale est celui du
raisin suspendu.
Il faut disposer d’un local sec, une mansarde fera
l’affaire ; il est nécessaire que ce local soit parfaitement clos, à
l’abri de la poussière, des insectes et des rongeurs.
Tendre dans le local, à la hauteur des yeux, des fils de fer
parallèles distants de 50 à 60 centimètres et dirigés de préférence vers
la source lumineuse, fenêtre ou vasistas.
Choisir les plus belles grappes, éliminer les grains
défectueux et les placer, sans les toucher avec les doigts, à cheval sur les
fils de fer, en laissant un petit espace entre chaque grappe.
La visite du fruitier se fait chaque semaine. Nous
conseillons vivement à ceux qui veulent conserver du raisin d’envelopper la
grappe quinze à vingt jours avant la cueillette avec des sacs spéciaux.
Le commerce vend actuellement de semblables objets en
cellulose transparente qui feront parfaitement l’affaire.
Les grains de la grappe ainsi conservée se sont un peu
desséchés, ils sont ridés, légèrement poussiéreux, mais, malgré ces légers
défauts, nous savons par expérience que dégustés en février et quelquefois en
mars, alors que le fruit métropolitain est rare, ils communiquent au palais une
saveur et une fraîcheur qui ne sont pas à dédaigner.
Un autre procédé un peu plus compliqué, qui n’est autre que
celui de Thomery, est en principe réservé à la vente ; par conséquent il
ne faut entreposer que du raisin de table noir ou blanc.
Le local sera situé au rez-de-chaussée ou au sous-sol, à la
condition que ce dernier soit sec et aéré.
Le sol sera cimenté ou parfaitement carrelé, les murs et les
plafonds, aussi unis que possible, seront passés à la chaux, les ouvertures
fermeront hermétiquement et seront orientées plein nord.
Sur le mur faisant face au nord et qui devra avoir la plus
grande surface, fixer solidement un quadrillage de liteaux, distants de 40
centimètres environ en tous sens.
Ceux-ci supporteront un dispositif construit et posé de
telle façon qu’on puisse y fixer un petit bocal cylindrique de forme allongée à
large ouverture de 150 centimètres cubes environ, sans qu’il puisse
basculer et incliné à 45 degrés.
Distances entre les bocaux : 20 centimètres
environ.
La rangée inférieure des bocaux devra être à 0m,50
du sol et la rangée supérieure à 2 mètres, si la hauteur du plafond le
permet.
Chaque bocal est destiné à recevoir une partie du sarment
sur lequel est attachée la grappe ; à cet effet on coupera, pour chaque
raisin à conserver, un morceau de sarment dans la partie basse, assez long pour
qu’il puisse entrer presque entièrement dans le bocal, l’autre bout du sarment,
situé vers la partie haute, sera coupé à 3 ou 4 centimètres.
Aussitôt la cueillette, les grappes seront transportées avec
les précautions nécessaires dans le local et mises en place.
Les bocaux auront été remplis au préalable d’eau propre,
dans laquelle on aura placé 1 ou 2 petits bouts de charbon de bois gros comme
une noisette, de façon à assurer la désinfection automatique de l’eau.
Évidemment il faudra choisir les plus belles grappes,
éliminer les grains défectueux et visiter le local périodiquement.
L’atmosphère de celui-ci doit être sèche, de façon à éviter
l’apparition des maladies cryptogamiques. Jadis on desséchait l’air en
introduisant dans de grands entonnoirs de verre du chlorure de chaux, produit
très hygrométrique. Les entonnoirs étaient eux-mêmes placés sur de très grands
flacons de verre.
Nous signalons qu’on peut remplacer ce dispositif par une
asepsie périodique de l’atmosphère en procédant comme suit :
Dans un récipient métallique non soudé, chauffer à feu
modéré du trioxyméthylène, qui a la propriété de dégager du formol, gaz très
antiseptique.
Ajoutons que, pendant cette opération, tous les joints des
portes et des fenêtres devront être obstrués avec du papier gommé.
Prévoir un moyen de chauffage sans gaz ni fumée pour éviter
le gel pendant la saison froide.
Il restera à trouver pour la vente un conditionnement
assurant le transport des grappes sans dégâts, mais ceci dépasse le cadre de
cette étude.
Il y a enfin la conservation par le froid, question qui
semble résolue pour les fruits à pépins et certains fruits exotiques.
On produit une chambre froide par deux moyens : la
glacière et le frigidaire.
Les glacières donnent des températures fort variables selon
leur mode de construction et la fréquence des ouvertures : des essais ont
révélé que ces températures varient entre + 2° et + 10°. De plus, par suite de
la condensation de la vapeur d’eau sur les parois internes, l’atmosphère peut
être très humide, inconvénient minimum si l’on ne dépasse pas la température de
+ 4°.
Le frigidaire est la solution de l’avenir ; pour le
raisin de table on devra observer les règles ci-après :
La température sera de 0 à + 1°, le degré hygrométrique
devra se maintenir à 95 p. 100. La température est réglée par un
thermostat, et le degré hygrométrique sera indiqué par un hygromètre,
enregistreur de préférence, et maintenu au moyen de pulvérisateurs à main
commandés par un robinet.
Il faudra enfin prévoir un renouvellement complet de l’air
de la chambre par un dispositif approprié.
Les raisins doivent être disposés sur de la frisure de
papier, dans des casiers formant tiroir et permettant un examen aussi fréquent
que possible.
La conservation du raisin de table régularisera le marché et
atténuera dans une certaine mesure les inconvénients de la mévente.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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