Au risque de froisser quelques éleveurs susceptibles, mais
dans l’espoir d’aider ceux que désole la pénurie actuelle des céréales pour
l’alimentation animale, on peut affirmer que le grain, distribué aux pigeons
comme seule nourriture, ne peut permettre qu’un élevage déficient, négation de
tout principe rationnel. Les vesces, pois jarras, maïs, orge, etc., sont, soit
introuvables, soit d’un prix trop élevé ; en outre, leur teneur en matière
azotée ne correspond pas à ce que nous demandons aux pigeons : une ponte
abondante et l’élevage de nombreux pigeonneaux. Alors que les poules pondeuses
et les poussins reçoivent des rations fortement azotées pour soutenir leur
production et permettre leur croissance, on se demande pour quelle raison il
n’en serait pas de même au colombier. Seule, une alimentation équilibrée
permettra un rendement abondant et économique ; ce qui est vrai pour les
poules l’est aussi pour les pigeons, compte tenu de leurs aptitudes
respectives.
Il est donc nécessaire de faire absorber aux pigeons une
nourriture contenant une plus forte teneur azotée que celle des grains. Nous
avons pu constater que les meilleurs résultats sont obtenus lorsque les sujets
reçoivent 25 p. 100, environ, de matière azotée dans leur ration. Il n’est
possible d’arriver économiquement à ce pourcentage que par la distribution
d’une pâtée convenablement dosée : nous savons que c’est une habitude peu
souvent acceptée, sous prétexte que les pigeons refusent leurs aliments sous
cette forme ; c’est là une erreur et il suffit d’attendre quelques jours
pour que l’adoption soit complète : nous avons même élevé des ramiers de
cette façon, très facilement, et sans perte. Ce procédé se montre d’ailleurs
très salutaire, et, en peu de temps, les accouplements deviennent plus féconds,
les éclosions meilleures, les pigeonneaux plus précoces et plus lourds, et cela
pour un prix de revient minimum ; il y a donc tout à y gagner et rien à y
perdre.
Si vous pouvez vous en procurer les composants, la pâtée
suivante vous donnera d’excellents résultats. (Certains aliments pourront, du
reste, être remplacés par d’autres de composition équivalente).
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Pour un kilo. —— |
Farine de viande |
100 |
grammes. |
Mouture d’orge |
200 |
— |
Gluten de mais |
500 |
— |
Mouture de sarrasin |
150 |
— |
Poudre de coquilles d’huîtres |
50 |
— |
Dans cette formule, il y a presque 290 grammes de
matière azotée, ce qui est convenable, dans le cas qui nous intéresse. Il se
peut cependant que vous ayez des pommes de terre à votre disposition et que
vous désiriez en faire absorber à vos pigeons ; à 500 grammes de
pommes de terre (pesées crues), vous incorporerez 150 grammes de farine de
viande, 200 de gluten de maïs, 100 grammes de son et 50 grammes
de poudre de coquilles d’huîtres ; et un rendement meilleur sera obtenu si
la moitié du poids des pommes de terre, soit 250 grammes, pouvait être
remplacé par le même poids de moutures d’orge, d’avoine, de sarrasin, de maïs.
Chaque fois, vous ajouterez à ces mélanges 3 p. 100 de
poudre de charbon de bois, 5 p. 100 de sel, et un supplément vitaminé de
bonne qualité, ou de levure de bière. S’il vous est possible d’humidifier
l’ensemble avec du lait écrémé, de préférence à de l’eau, la valeur nutritive
de la pâtée sera évidement supérieure.
Certains penseront que la farine de viande nuit à la qualité
de la chair des pigeonneaux ; en réalité, il n’en est rien ; mais la
farine de poisson, quand elle est de qualité inférieure, convient moins bien.
Un avantage appréciable de l’alimentation des pigeons par la
pâtée est la possibilité dans laquelle on se trouve d’y incorporer des choux,
des salades ou des orties hachées : on évite ainsi le gaspillage
inévitable lorsque la verdure est distribuée telle quelle. En outre, les
parents, nourrissant leurs jeunes avec des aliments partiellement digérés dans
leurs propres jabots, il est évident que cette digestion en est plus rapide,
lorsque la nourriture est déjà plus assimilable : la pâtée, plus
facilement digestible que les grains, présente donc cet intérêt.
Il est cependant indispensable de donner une certaine partie
de la ration sous forme de grains entiers (orge, maïs, sarrasin, avoine germée,
etc. ...) : en pratique, on se trouvera bien de donner la pâtée le
matin et les grains le soir. Un couple de mondains, en pleine production,
consommera environ, chaque jour, 40 grammes de grains et 100 grammes
de pâtée (pesée à l’état sec), plus la verdure ; enfin, il est bien
entendu que de l’eau pure et un « pain » salé seront continuellement
à la disposition de vos sujets. Ces derniers, du reste, verront leurs rations
légèrement diminuées pendant la période annuelle de repos : on évite ainsi
l’inconvénient d’un engraissement préjudiciable à une bonne productivité.
En un mot, l’élevage des pigeons, conçu en vue de la
production des pigeonneaux de consommation, nécessite une alimentation
rationnée et équilibrée. Évitez à tout prix le gaspillage et soyez prévoyants,
sinon il vous sera inutile d’espérer un bénéfice d’un travail, qui, bien
conduit, est largement rémunérateur.
E. de JEANAY-CHALENS.
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