À l’occasion de récents débats parlementaires sur les
questions aéronautiques, on a beaucoup parlé, et souvent avec passion, de
l’avion type « Cormoran ». Une grande partie de nos compatriotes ne
connaissant que de nom cet appareil, notre collaborateur, Maurice Dessagne,
qui a eu l’occasion de voler à bord d’un des prototypes, donne ci-dessous son
avis personnel sur les caractéristiques et sur les possibilités du
« Cormoran ».
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Il y a environ un an, un prototype de cargo géant de l’air,
de conception et de construction 100 p. 100 françaises, s’écrasait au sol,
alors que son équipage s’apprêtait à le poser après un vol normal de plus de
trois quarts d’heure ...
Ce prototype était le « Cormoran », et ce vol
tragique était le premier des essais de réglage et de mise au point. Cet
accident déclencha une campagne de presse excessivement violente ... Les
journalistes non spécialisés seuls y prirent part, les techniciens se
turent !
Ils avaient mieux à faire : rechercher les causes de
cette douloureuse catastrophe et en éviter le retour.
Les décombres du « Cormoran » ne permirent pas de
tirer des conclusions précises. Les équipes d’une de nos usines d’aviation se
remirent à l’ouvrage pour construire un « Cormoran » no 2.
Sans réserve, les ingénieurs de cette usine firent appel au dévouement de leurs
ouvriers et à leur conscience professionnelle. Les dimanches et jours de fête
ne comptèrent plus pour eux. Au début de février, cette année, le
« Cormoran » no 2, rigoureusement identique au
premier, décollait de Brétigny.
Méthodiques, avec plus de prudence encore, les essais
débutèrent. Ils devaient apporter la solution à l’énigme qu’était l’accident
survenu au premier « Cormoran » : une anomalie dans le
fonctionnement des commandes, au moment de la prise de terrain, a fait abaisser
à fond les volets de courbure, avant que ceux-ci aient été étudiés en vol et
mis au point par paliers successifs, comme il était prévu.
Puis ce fut la magnifique démonstration du
« Cormoran », le 14 mai, à Orly. Deux de ses moteurs sur quatre
stoppés, il effectua des démonstrations de maniabilité avec des passages très
spectaculaires en rase-mottes aux mains d’un jeune pilote d’essais, mon ami
Claude Dellys, sous la direction du responsable de la mise au point :
le vieux pilote d’essais, l’incomparable Lucien Coupet. J’eus par la suite
l’occasion de voler sur le « Cormoran » et je vous avoue que je le
fis sans aucune crainte ni appréhension.
Qu’est-ce que le « Cormoran » ? C’est un
cargo répondant à un programme défini par l’état-major de l’Armée de l’air en
1946 : charge utile de 14 à 18 tonnes, rayon d’action 1.000 à 1.500 kilomètres,
vitesse de, croisière 280 à 300 kilomètres-heure. L’accès à la soute est
possible à un camion de 15 à 17 tonnes en charge, par ses propres moyens,
grâce à une rampe d’embarquement fixée à l’appareil.
Ce « Cormoran », pèse 42 tonnes en ordre de
vol. C’est un véritable wagon volant, d’une longueur de 30 mètres, d’une
envergure de 44 mètres et d’une surface portante de 200 mètres
carrés.
La soute elle-même a 20 mètres de long, 2m,70
de large et 3m,10 de haut, soit une capacité de
174 mètres-cubes, la plus vaste de tous les appareils de même catégorie
actuellement en service dans le monde.
Un appareillage ultra-moderne de manutention est installé à
bord de cette soute. Six palans électriques sur rails et deux treuils
permettent le chargement ou le déchargement des marchandises les plus diverses
dans des temps records.
Il faut avoir parcouru cette soute immense pour en saisir
toutes les possibilités pour le transport du fret allant des ballots et sacs
les plus divers aux colis de 20 mètres de long.
Possibilités au point de vue militaire : il peut
embarquer un avion de chasse, ailes repliées, tout modèle de char léger ou
d’auto mitrailleuses, canons, ravitaillement, munitions, ou enfin
150 hommes des formations « commando » avec tout leur
équipement.
À cet effet, le « Cormoran » a été
particulièrement étudié pour se poser pratiquement n’importe où. Un terrain
marécageux, coupé de fossés ou de haies, n’est plus un obstacle insurmontable.
Train d’atterrissage complètement rentré, il peut s’y poser grâce à des bandes
de glissement, sorte d’énormes skis prévus sous le fuselage. Il lui est facile
ainsi de porter secours à une troupe en difficulté ou de participer à d’audacieux
« coups de main ».
Le « Cormoran » peut être aussi aménagé en un
splendide avion-atelier, surclassant tout ce qui a été fait à ce jour dans le
domaine du camion-atelier : tour, fraiseuse, rectifieuse, perceuse, divers
postes de soudure, tout l’outillage de dépannage et, enfin, un puissant groupe
électrogène entrent aisément dans la soute, magnifique atelier où pourront
travailler une dizaine d’ouvriers qualifiés ou dépanneurs.
Le « Cormoran » actuel est propulsé par quatre
moteurs Gnome et Rhône de 1.600 CV chacun au décollage. De nouveaux
moteurs plus puissants développant 2.100 CV équiperont les prochains
appareils et lui permettront d’accroître sa vitesse et d’augmenter sa charge
utile.
Telles sont les caractéristiques principales du
« Cormoran », machine de conception classique, de construction simple
et robuste, et qui offre des possibilités de rentabilité mathématiquement
indiscutables aux transporteurs aériens spécialisés dans les petites liaisons
européennes et avec l’Afrique du Nord.
À l’heure actuelle, ce n’est encore qu’un prototype avec
tout ce que cela représente de risques, de mises au point et d’améliorations.
Maurice DESSAGNE.
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