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Philatélie

La poule aux œufs d’or

À l’occasion de l’Exposition du Centenaire, un de nos confrères politiques publia une double page réservée à la philatélie. Entre autres articles, l’on pouvait lire celui écrit par un négociant bien connu doublé d’un expert justement apprécié. Et qui, après diverses considérations sur l’expertise philatélique, concluait : « l’expert aussi armé et expérimenté qu’il soit n’est pas infaillible et c’est tant mieux ... », tant mieux sous-entendu pour lui, car, pour son client, cela serait plutôt tant pis. Quoi qu’il en soit, un tel aveu de modestie, surtout émanant de l’un de nos plus typiques experts officiels, est des plus sympathique. Et nous ajouterons, ce qui ne fera que répéter ce que nous avons souvent écrit, qu’il est absolument impossible à un homme aussi bien doué soit-il, et quelle que soit l’importance de sa documentation, d’être un expert universel. C’est-à-dire de parler avec compétence de tous les timbres, de tous les pays et de toutes les émissions. Il n’y a d’experts vrais que spécialisés : dans un pays, dans une époque, dans un genre. Et c’est justement cette prétention insoutenable à l’universalité qui est la source de tous les maux actuels.

Car dans notre petit monde philatélique tout ne tourne pas rond. C’est probablement à quoi pensait l’auteur de cet article quand il ajoutait « qu’aucun découragement ne s’empare des collectionneurs à la révélation de timbres faux dans leurs collections ... » Or c’est justement de ça dont il s’agit, avec toutes les conséquences que cela comporte. Car, à la suite de trop nombreux faits récents connus de tous les gens avertis, nombre de collectionneurs commencent à se demander quelle est la valeur réelle de leurs collections et quelle confiance doit-on continuer d’accorder aux garanties les mieux établies ?

Quand des erreurs d’expertises portent sur des timbres étrangers, c’est très ennuyeux, mais enfin c’est presque normal si l’on s’est adressé à un non-spécialiste du pays en question. Qu’un philatéliste empêché d’acheter (par exemple un timbre américain qui lui était offert à un prix très avantageux), grâce à la prise de position erronée d’un excellent expert de France et colonies, regrette l’occasion manquée, c’est humain. Mais il ne peut guère reprocher à cet expert que de s’être occupé de ce qui n’était pas de son ressort. Par contre, il n’en est plus de même lorsque les erreurs d’expertise portent sur des timbres français, que tous nos qualifiés experts se devraient tout au moins de connaître à fond. Quelles peuvent être les réactions de collectionneurs sérieux, de ceux qui n’hésitent pas à dépenser de fortes sommes, lorsqu’ils apprennent des histoires comme celle, toute récente, de ces grosses pièces de 20 centimes noir achetées il y a quelques années comme timbres authentiques et rejetées aujourd’hui par le même expert comme réimpressions ou feuilles de maculatures ? Ou de cette erreur de 1871, achetée sur la garantie d’un autre marchand expert non moins officiel, et qui aujourd’hui s’avère être un simple truquage ? L’expert en question se bornant à enregistrer ce qu’il appelle avec désinvolture une erreur de jeunesse, tout en laissant le collectionneur et l’intermédiaire s’entendre comme bon leur semblera.

Certes, tout le monde peut se tromper. Et l’on apprend à tout âge. Mais enfin, devant de pareils faits, l’on peut se demander quelle garantie reste à l’acheteur, induit en erreur par un expert présomptueux ? Il n’est guère normal de se proclamer un jour expert de sa propre autorité, de se faire payer en conséquence, et quelques années après d’avouer avec un charmant sourire qu’à cette époque l’on n’était pas si expert que ça ... comme probablement aujourd’hui on l’est encore bien moins que demain. Car dans tout cela il y a une victime, le collectionneur, pour qui l’erreur de l’expert se traduit par une perte pécuniaire importante. Avec l’arrière-pensée de se demander jusqu’à quel point la position de juge en tant qu’expert et celle de partie en tant que marchand ou confrère de marchand n’ont pas brouillé la sérénité du jugement ?

Il semble que cette question de l’authenticité des pièces philatéliques d’une certaine valeur et des garanties nécessaires à y apporter aurait besoin de trouver une autre solution que celle apportée depuis toujours. Sans quoi, devant les risques courus, les philatélistes, même les plus timbrés, pourraient peut-être être amenés à chercher d’ici peu des passe-temps moins scabreux.

Ils le pourraient d’autant plus qu’à la question de l’authenticité se joint celle des prix de vente pratiqués par le négoce. Il est très difficile de conclure si les prix pratiqués en France pour nos timbres nationaux sont normaux ou trop élevés. On peut simplement s’étonner du coefficient de hausse par rapport aux prix d’il y a quinze ans, coefficient bien supérieur à celui de n’importe quelle marchandise ou même de n’importe quelle valeur dite réelle comme l’or ou les pierres précieuses. Car il ne faut pas oublier qu’avant guerre un classique de premier choix valait environ 70 p. 100 du catalogue et que cette même pièce est rarement cédée aujourd’hui, à moins d’une sérieuse prime sur les prix catalogués. On ne peut manquer aussi de s’étonner de voir les prix demandés pour les trop fameux vermillons, tirés malgré tout à 200.000, ou les 15 verts tirés à plus de 3 millions en face des prix cotés par exemple pour le Maître-de-Postes de New-York, dont le tirage n’a guère dépassé 175.000 à 200.000 exemplaires et qui appartient au pays philatéliquement le plus recherché actuellement dans le monde entier. Par comparaison, nos prix intérieurs paraissent pas mal surfaits.

Et, en ce qui concerne les timbres étrangers dont le marché principal est dans leur pays d’origine, pour qui connaît les conditions exactes de vente à Londres, à New-York ou ailleurs, un simple calcul montre que les prix demandés à Paris sont souvent le double, le triple et même quelquefois bien davantage que ceux habituellement pratiqués sur leurs marchés nationaux. Toute pièce sortant un peu de ce qu’on a l’habitude de voir chez nous est immédiatement sacrée rareté avec les prix en conséquence. Jusqu’ici les acheteurs abusés, du fait des restrictions de change, n’ont guère eu l’occasion de pouvoir exactement comparer leurs prix d’achat avec les prix réels de vente à l’étranger. Mais cette situation aura peut-être quand même une fin. Quelles seront alors les réactions de tant de collectionneurs qui ont cru faire des placements de sécurité ?

En résumé, depuis une bonne dizaine d’années, il y a eu pas mal d’excès de toutes sortes commis au détriment des collectionneurs. Espérons que les éléments sains du commerce philatélique s’en rendront compte à temps, et qu’ils procéderont sans attendre aux éliminations et aux redressements qui s’imposent. Sans quoi la fable de la poule aux œufs d’or pourrait bien devenir leur propre histoire.

M. C. WATERMARK.

Le Chasseur Français N°631 Septembre 1949 Page 668