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Éclairages rustiques

Il n’y a pas encore bien longtemps, dans maintes campagnes, de la fin septembre à la mi-mars, les familles se réunissaient, le soir, dans la « salle » de la chaumière, voire dans l’étable quiète ou dans la bergerie bien tiède ; c’était la veillée. Nous savons que, dès le moyen âge, nos ancêtres aimaient ainsi passer quelques heures à chanter, à rire, à conter de pieuses légendes ou de terrifiantes histoires de loups-garous. Ronsard, dans ses vers immortels, a dépeint une de ces scènes :

    Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
    Assise auprès du feu, dévidant et filant ...

Tout en bavardant, on s’occupait, on travaillait à de menues besognes. Hommes et femmes préparaient des liens, écossaient des légumes, écalaient des noix ; les enfants aidaient comme ils pouvaient, grignotant une châtaigne ou jouant, mais le plus souvent ils avaient à remplir une fonction qui n’était pas alors une sinécure : celle de prendre soin de la lampe.

Cette dernière variait suivant les provinces ; elle évolua aussi — mais fort timidement en général — au cours des siècles. C’est une promenade anecdotique à travers ces lumignons d’autrefois que nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs.

Le type le plus connu est celui du chaleil, à fond plat, de forme antique et d’origine sans doute préhistorique, où la mèche brûlait à l’air libre dans une sorte de godet de cuivre ; pour se préserver de ses vapeurs fuligineuses, on l’accrochait sous le large manteau de la cheminée. Comme l’écrivait autrefois un poète régional :

    Le calel c’est la lampe antique et familière ;
    Il est de cuivre ...
    Sa lumière est fumeuse, incertaine et grossière,
    Et pourtant le calel est de bon souvenir ...

Le croissel était un instrument d’éclairage à quatre becs souvent en forme de croix, d’où son nom. Voici, en Champagne, le coupillon ou couperon, en terre vernissée, au réservoir à liquide largement ouvert vers l’extérieur, avec sa coupasse comme support et l’os d’oie ou de lapin, qui servait à moucher la mèche ; il a été utilisé, dans les campagnes, depuis le moyen âge jusqu’au siècle dernier. À sa vue, à sa clarté clignotante, on pouvait dire avec le poète :

    La lueur n’en est pas forte
    Et son éclat brille peu ;
    Mais tant qu’elle n’est pas morte,
    C’est quand même du feu ...

Ces lumignons descendaient sans doute de ceux qui ont servi aux premiers hommes ; d’après les archéologues Scandinaves, les Danois primitifs auraient utilisé l’estomac graisseux du grand pingouin dans lequel ils plaçaient une mèche !

Nous les retrouvons, avec parfois quelques différences, dans maintes provinces. C’est le lume dans le haut Vivarais, le chalel dans le bas Vivarais et la calande en Provence (peut-être du latin calere, flamber).

Dans l’île de Sein, en Bretagne, sur cette terre qui semble comme perdue, abandonnée des hommes, on versait dans des quinquets de fer de l’huile de poisson dans laquelle on trempait un jonc ou de la moelle de sureau.

En Poitou, c’était le chareuil, évoquant les petits objets grecs que nous admirons dans les musées et que l’on alimentait d’huile de noix, puis, par la suite, d’huiles industrielles.

Les Tourangeaux avaient aussi leur oribus ou rouzine, chandelle de résine munie d’une mèche de chanvre. Le rouzinier, ou chandelier à résine, était composé d’une fourchette en fer formée de deux petites tiges rondes, tordues en leur milieu, réunies en pointe à leur extrémité inférieure, puis disjointes et aplaties à la partie supérieure qui supportait l’oribus. La pointe de cet instrument primitif était fichée dans l’une des fentes de l’âtre, et le soir, à la veillée, à sa clarté fumeuse, grands et petits écoutaient, narrée par les vieux, la belle légende du grand saint Martin ...

Dans la Meuse, on s’éclairait avec le pinouri, cylindre de bois d’un mètre de hauteur, évidé à la partie supérieure pour recevoir un godet de verre contenant l’huile et la mèche ; cet instrument était inséré verticalement dans une lourde pierre qui en assurait la solidité.

Dans les régions pauvres de la France, les lampes étaient inconnues. Les récits de voyageurs qui visitèrent, à la fin du XVIIIe siècle et même au début du XIXe, quelques départements reculés, sont truffés de réflexions sur ces misérables lumignons. L’un d’eux nous apprend que, dans les Pyrénées, vers 1807, on pratiquait dans le mur de la cheminée une niche dans laquelle on faisait flamber des éclats de bois résineux qui projetaient, affirme-t-il, une vive lumière. Au contraire, en 1789, le touriste Saint-Amans notait à Héas, dans la même région, qu’elle était pâle ; qui croire dans cette troublante question ? Il est probable que l’intensité de la lueur devait dépendre beaucoup de la qualité du bois !

Bien entendu, nos ancêtres avaient aussi la chandelle, le plus souvent à base de suif de bœuf et de mouton. Suivant leur grosseur, on les classait en chandelles de 4 (c’est-à-dire de quatre à la livre) : c’était l’article « cossu » des épiciers ; il y avait aussi celles de 16, dites chandelles des gueux, espèces de rats de cave qu’il fallait moucher à chaque instant. Leur couleur était toujours d’un jaune sale, car on prétendait que la blanche n’était pas « d’un bon usage » !

Le jour des Rois, les marchands offraient à leurs pratiques de petites bougies de couleurs, rayées, multicolores, dites « piolées », qui étaient placées sur la table lorsque, gravement, le père de famille découpait les galettes — don du boulanger — et mettait en réserve la part à Dieu, destinée aux pauvres.

Au pays de Mirebalais, en Poitou, à la veillée, on allumait des chandelles d’un type particulier : les pauvres gens pilaient des noix et recouvraient, à l’aide de cette pâte, des mèches de chanvre. Cet éclairage devait être bien modeste, et les récits des aventures de Mélusine ou la légende de sainte Macrine devaient paraître encore plus fantastiques ...

Observateurs, nos ancêtres aimaient noter les réactions de la petite lueur qui vacillait sous le grand manteau de la cheminée et en tiraient des déductions. Vers 1830, dans le pays de Gex, on croyait que les têtes charbonneuses qui se formaient sur la lampe annonçaient autant de visites importunes !

N’oublions pas non plus le cierge de la Chandeleur, encore allumé, dans de pieuses familles, lors des orages ; sa flamme vacillante et fragile protège la maison ; c’est, de nos jours, la lumière bénie qui seule évoque le temps d’autrefois, des veillées, des pages de la Légende dorée tournées, une à une, par les doigts malhabiles et gourds des paysans.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°631 Septembre 1949 Page 671