Les îles charentaises, ce sont, en plus des petites îles
d’Aix et Madame, que nous passerons sous silence, les îles de Ré — Réta
selon l’appellation locale — et d’Oléron, l’Ile avec un grand I, où
Pierre Loti repose dans le clos de la Maison des Aïeules.
Deux îles qui naguère faisaient l’objet d’une zone
d’ouverture spéciale, la plus tardive, en octobre. Classement dévolu à
l’échelon départemental depuis l’arrêté du ministre de l’Agriculture du 25 juin
1946 déléguant aux préfets le droit de retarder les dates d’ouverture. De ce
droit, le préfet use en accord avec le conservateur des Eaux et Forêts et le
président de la Fédération départementale des chasseurs. De sorte qu’au fond
c’est toujours, pour Ré et pour Oléron, une ouverture de la mi-octobre.
Grand attrait, on s’en doute, pour les continentaux. Nul ne
proteste contre ce retard, uniquement dû à l’importance du vignoble et à sa
maturité peu précoce. Les vignes couvrent 3.000 hectares sur 4.360 en Réta ;
2.500 hectares sur 16.400 en Oléron, qui renferme en outre 6.000 hectares
de marais salants et 2.500 hectares de pineraies, dont 2.300 domaniales.
Comme gibier, des perdrix, mais, chose curieuse,
uniquement des grises en Ré, tandis qu’Oléron ne compte que des rouges. Bien
des tentatives furent faites pour abolir cette exclusivité : toutes ont
échoué, à ma connaissance du moins. La dernière remonterait à 1933 avec
l’introduction de perdrix rouges près de la Couarde, au centre de Réta ;
je n’en ai plus eu connaissance depuis 1934. Parmi les rouges d’Oléron, une
mention spéciale est à signaler concernant ce que Fernand Pinel, venu faire
l’ouverture à Boyardville, en 1924, appelait la perdrix tango : une rouge
dont les tarses, le bec, les paupières sont de nuance orangée. J’ai tué
plusieurs de ces perdrix, toujours aux mêmes parages, sur Saint-Georges, à la
limite des vignes, des salines et des pins. J’en ai vu tuer, de jeunes et de
vieilles ; je n’ai rien remarqué de particulier dans leur comportement,
mais je n’ai pas eu la chance de faire de doublé et de voir si telle compagnie
était uniquement tango. Je sais, par un ami méridional, qu’il a été tué de ces
perdrix en Camargue. Les salines y seraient-elles pour quelque chose ?
C’est peu probable, Fernand Pinel ayant reçu des indications relatives à l’habitat
de sa perdrix tango sur les coteaux du Cher ainsi qu’en Saône-et-Loire.
Plus intéressant, à mon avis, est le problème que pose
l’habitat exclusif de la grise en Réta, de la rouge en Oléron. Comment
l’expliquer ? Je crois que l’île de Ré, plate, froide, déboisée, est, de
ce fait, favorable à la grise, tandis qu’Oléron, sablonneuse, très tempérée,
frangée de forêts de pins, convient mieux à la rouge. Absolument comme la
Beauce ou la Bresse pour la grise et la Sologne ou le Charolais pour la rouge,
avec cette atténuation qu’en Sologne grises et rouges alternent pour le plaisir
du chasseur.
En dehors des perdrix, nos îles charentaises renferment des
lièvres, plus nombreux en Oléron, grâce aux forêts, qu’en Réta, des lapins, des
cailles tardives, des grives et du gibier de mer dont un tireur dilettante
pourrait faire, au milieu d’octobre, un appréciable fond de carnier avec des
chevaliers à pieds rouges, des pluviers argentés et des maubèches, celles-ci en
tenue grise de voyage. Les palombes passent également :
À la Saint-Luc, Grand truc |
mais sont épouvantées par la fusillade. Parfois on lève une
tourterelle attardée ou bien l’une des premières bécasses de l’automne ;
en somme, les perdrix sont à la base du tableau. Bon an, mal an, 250 compagnies
de rouges peuplent Oléron, soit 3 à 4.000 perdrix. Il s’en tue plus d’un
millier dans la semaine d’ouverture, peu ensuite. En Réta, 800 grises
furent abattues dans le nord de l’île, aux Portes, à l’ouverture de 1938 ;
200 à Loix le 18 octobre 1931. On conçoit que les sociétés locales se
cabrent devant pareilles hécatombes, qu’elles édictent des règlements sévères,
qu’elles élèvent le prix de leurs cartes. La réussite des couvées de perdrix
n’est d’ailleurs pas constante : les années sèches, telles que 1921, sont
funestes aux jeunes perdreaux qui boivent alors l’eau des marais salants ;
cela cause leur perte, mais, en année normale, l’équilibre se rétablit.
La tactique des chasseurs varie selon la configuration du
terrain : vastes tenues de vignes où s’impose la marche en ligne ;
petits carrés de vignobles, qui ne sont pas les plus mauvais ; bordures de
tamaris limitant les pâturages ; « bosses » des marais salants
que l’on explore une à une ; friches à l’orée des bois, excellentes pour
le lièvre...
À Saint-Denis, pointe nord d’Oléron, les perdrix,
pourchassées des vignes dans les dunes, gagnent au soir les abords du phare de Chassiron,
puis, si la mer est basse, les murs et rochers des écluses, se blottissant par
compagnies entières entre les galets revêtus de varech où les chasseurs ne
s’aventurent qu’à pas comptés sur ce sol glissant.
Et l’hébergement de cette armée de nemrods ? Dès la
veille de l’ouverture, les bateaux, pleins à craquer, chargent à La Rochelle
pour Boyardville, La Flotte et Saint Martin-de-Ré, au Chapus pour Le
Château-d’Oléron et Saint-Trojan, à La Pallice pour Sablanceaux, pointe
sud de Réta, autos, vélos, chasseurs et chiens, ceux-ci se disputant, grognant,
bataillant. Oh ! ce ne sont pas des modèles d’exposition canine ; il
y a davantage de corniauds que de chiens de race, même des courants qui
fourrageront avec ardeur dans les vignes américaines. Il y a des chasseurs de
tout acabit. Mais sur cet ensemble règne la bonne humeur, la joie de revoir des
amis fidèles, de leur apporter le quasi de veau, le pâté de lièvre, les
vieilles bouteilles, en échange d’une cordiale hospitalité corsée de pinot
charentais, d’huîtres de Claires, de vin blanc de la Cotinière, avec crevettes
roses et gros crabes de berceau, enfin de ces délicieux mulets de vendanges, de
ces « meuilles », gras, onctueux, pris d’un coup de senne à la
nuitée.
Oui, ce sont de bonnes agapes dont on rêve d’une année sur
l’autre. Et l’on revient le lundi, voire le mardi, fourbu, mais si content
d’avoir fait parler la poudre sur du vrai gibier, tandis qu’en face la côte
continentale est bien médiocre pour la chasse, passé le premier mois, celui des
cailles.
J’ai fait une dizaine de fois, de 1919 à 1930, l’ouverture
dans les îles charentaises. Je disposais ; en Oléron, dominant le marais
salant de Sauzelle, d’un gîte à la maison forestière de la Nouette, en lisière
du bois des Saumonards. Le soir, après une dure journée de chasse, je
m’étendais au pied des pins pignons que dorait le soleil couchant. Et je
respirais à pleins poumons l’air vivifiant de la saline, tandis qu’à mes côtés
mon chien étirait ses pattes endolories et que, dans le pastel d’un ciel
d’automne, s’égrenaient les notes plaintives du chant des oiseaux de mer.
Heureux temps auquel je ne puis songer sans regrets.
Pierre SALVAT.
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