À l’est de l’État de Victoria, au sud-est du continent
australien, il arrive bien souvent que les fermiers maudissent les maraudeurs
nocturnes qui saccagent leurs récoltes.
Car, dans cette région, les cervidés hantent par centaines,
par milliers peut-être, les forêts inextricables et l’épaisse toison végétale
qui couvre les pentes. Personne n’en saurait dire le nombre, et, parmi les
intrépides qui ont pénétré dans leurs remises, bien rares sont ceux qui ont pu
apercevoir le moindre cerf.
Pourtant, après chaque razzia, les optimistes graissent
leurs « 303 », s’entassent dans les autos et se mettent en quête des
joies peu familières d’un affût aux cerfs. Une expédition manquée suffit
généralement à ramener les non-initiés, harassés, à leurs canards et à leurs lapins
habituels ...
Aussi la chasse aux cervidés reste-t-elle l’apanage d’une
poignée d’enthousiastes qui ont appris à rendre ruse pour ruse au Sambhur, au
cerf rouge et au daim, dans cette nature australienne où ils se sont si bien
adaptés. Car l’Australie, terre des marsupiaux, ne possédait aucun cervidé. Ce
sont les riches propriétaires terriens qui les y ont amenés, principalement de
Grande-Bretagne, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle,
afin qu’ils partagent l’exil de la « gentry » et lui permettent de
goûter aux joies privilégiées de la chasse, dont elle était privée en
Australie. On créa donc des parcs pour les animaux importés. Lorsqu’une chasse
à courre était organisée parmi les colons, on amenait le cerf en voiture jusque
dans la plaine où on le lâchait et la meute, donnant de la voix, s’élançait sur
ses menées, suivie des piqueurs à cheval, vêtus d’écarlate...
Pourtant, nombre de ces cerfs échappèrent aux
chasseurs — ce ne fut pas le cas d’un animal rapide, qui mena tout
l’équipage en tumulte à travers les rues de Melbourne, — certains
s’enfuirent aussi des parcs. Ils gagnèrent les forts dans la montagne,
s’enfoncèrent dans une jungle impénétrable, si bien qu’en quelque soixante-dix
ans ils s’étaient multipliés sans pour ainsi dire être inquiétés.
Dans cette nature vierge, les Sambhurs ont prospéré,
devenant plus puissants et vicieux. Les daims, prolifiques, se sont adaptés à
leur nouveau milieu, passant du roux pommelé au gris-ardoise pommelé. Les cerfs
communs sont moins abondants. Par contre, le petit cerf du Gange (appelé ici
« hog deer ») a peuplé les broussailles des districts côtiers, où, sur
le promontoire Wilson seulement, on estime leur nombre à un millier.
À la nuit tombée, les hardes de Sambhurs et de daims
descendent des monts pour aller viander jusqu’à l’aube dans les champs du
voisinage, laissant derrière eux la ruine et la destruction sans que les
fermiers y puissent grand’chose. Les récoltes d’avoine, de pommes de terre, de
carottes et de betteraves, les jardins d’agrément, tout est saccagé en l’espace
d’une nuit. Des cerfs abattus de jour en pleine montagne, loin des vallées, ont
été trouvés gorgés de pulpe de carottes.
Aussi les autorités australiennes laissent-elles carte
blanche aux chasseurs, qui peuvent pratiquer leur sport favori toute l’année,
sans restriction aucune quant à leur tableau de chasse. Un groupe de bons
fusils a pu ainsi abattre 200 grosses pièces en trois ans. Mais ils ne
sont pas nombreux ceux qui sont capables de démêler les voies des cerfs d’Australie,
en sorte que les hardes ne font que croître.
Il n’est donc pas étonnant que les fermiers australiens
accueillent chaleureusement les chasseurs et les appellent même souvent à
l’aide. L’un des premiers chasseurs de cerfs du pays, le Dr Richard
F. Herzog, fut ainsi invité par un agriculteur à mettre fin aux
déprédations causées par les hardes dans ses terres. Un matin, peu avant
l’aube, il braqua un projecteur électrique sur un champ cultivé, où il put
dénombrer 25 daims qui s’élançaient au-dessus des clôtures pour gagner le
fourré.
Le Dr Herzog, qui a chassé le daim dans les
forêts de pins d’Allemagne et des États-Unis, dit que, dans ces deux pays, le
lit d’aiguilles, en empêchant le sous-bois de se développer, permet l’affût. Il
s’efforça de démêler les voies dans les forêts australiennes, mais il dut y
renoncer, le fourré étant trop dense. La menée l’entraîna dans une jungle où
l’homme n’avait jamais pénétré, où l’humus et la broussaille morte étaient
recouverts de plantes grimpantes sur une profondeur de plusieurs pieds. Démêler
les erres devenait donc pratiquement impossible.
La connaissance du pays et des habitudes de la harde, jointe
à une patience et à une endurance inlassables, sont certes indispensables pour
l’affût aux cerfs ; mais, plus encore que l’expérience des chasseurs,
celle des limiers est nécessaire. C’est de l’entraînement des chiens que dépend
le succès d’une expédition.
Le Dr Herzog emmène généralement avec lui
outre deux novices deux autres chasseurs expérimentés, le mineur Ray Hart et
le contremaître Graham Mc Pherson. Ils sont armés de fusils de 303, 270 et
440. La petite meute de limiers et de chiens courants est menée par Flash, qui
tient la piste comme pas un chien courant dans tout le pays. Flash a été
entraîné à courir le renard dans les chenils du Melbourne Hunt Club. Il
appartenait déjà à un chasseur de cerfs avant de devenir la propriété du Dr Herzog.
Pendant la poursuite, Flash sait garder la menée et ne remet la proie qu’à son
maître et à personne d’autre.
Avant de lancer les chiens, les chasseurs étudient les
habitudes de l’animal, cherchent ses erres et ses fumées, ses viandis et ses
reposées, et notent la nature du terrain. C’est ici qu’intervient l’expérience.
Le chasseur va s’efforcer de deviner la direction et les remises de l’animal
poursuivi. Tout ceci a lieu dans le courant de l’après-midi qui procède
l’expédition.
La chasse part avant l’aube, se frayant un passage à travers
le hallier de sassafras, de cornouillers et de muscs, qui mêlent leurs parfums
dans l’air vif. Flash conduit la meute. Il donne de la voix dès qu’il démêle
les erres, bondit, la meute sur ses talons. Les chasseurs aguerris préfèrent la
poursuite en descente. Quand les chiens rejoignent la proie, le chien de tête
la rabat, en la contraignant à se déplacer dans une enceinte, jusqu’à ce
qu’elle soit près de ses fins. Alors il la détourne vers les chasseurs.
Les cerfs poursuivis recherchent les lieux aquatiques.
Nombre d’entre eux atteignent la rivière et essaient de déjouer leurs
poursuivants à la nage. Flash, les suit toujours dans l’eau, passant sur
l’autre rive, et les rejetant à la rivière. Un animal couru qui gagne l’eau
doit généralement être abattu sur place. On cite un Sambhur mâle de 600 livres
qui s’était relaissé dans la rivière après seulement dix minutes de poursuite.
On le prit au lasso en essayant de l’attirer sur la rive, mais il opposa une
telle résistance qu’il fallut l’abattre au milieu de l’eau. Il arrive aussi
souvent que des cerfs poursuivis près de la côte se jettent à la mer et nagent
jusqu’à épuisement.
Les chasseurs disent que, longtemps avant qu’un animal
poursuivi soit près de ses fins, les bruits et l’ardeur de la poursuite,
l’action des chiens le mettent dans un état de profonde dépression nerveuse. Il
suffit cependant d’un court répit pour qu’il redevienne aussi combattif
qu’avant. C’est ainsi qu’un jeune mâle a pu tenir plusieurs jours devant le
Dr Herzog et ses compagnons, en mettant à intervalles réguliers les chiens
en défaut.
La chasse la plus difficile est celle du daim mâle.
Lorsqu’il est contraint à se débucher, il se glisse parmi un troupeau de
moutons ou de vaches, dans l’espoir de donner le change. Il arrive souvent
qu’un cerf expérimenté fasse lever une femelle, pour détourner les chiens, en
abandonnant la bête de change à leur poursuite.
Un jour, le Dr Herzog se dissimula derrière
un arbre dans un endroit élevé pour voir combien de cerfs son chien Flash
pouvait mener. Il vit passer un mâle, suivi d’une biche, mais, cette fois-ci,
ce fut la biche qui se détourna, pour se réfugier derrière un arbre, où elle
resta figée jusqu’à ce que la meute fût passée. Alors, elle regagna le fourré
et s’échappa.
Un matin, le Dr Herzog se rendit dans un
gagnage, où il avait remarqué des erres de cervidés. Il se glissa donc à plat
ventre jusqu’au bord du champ. Là, il put compter 14 animaux qui
viandaient parmi des chevaux et des vaches. Un grand cerf mâle aux aguets
montait la garde dans un coin. Le vent tourna soudain, apportant au guetteur
l’odeur de l’intrus. Il gratta la terre aussitôt, frappant le sol de ses pieds
antérieurs. Le reste de la harde disparut en tous sens, au grand effroi des
chevaux et des vaches. Le vieux mâle n’abandonna son poste que lorsque la harde
au complet se fut rembuchée. Alors, il franchit la clôture et gagna le fourré.
John LOUGHLIN.
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