Vous l’avez donc sentie s’éveiller lentement en vous, cette
vocation de la chasse ! Ce ne peut être encore une passion, vous n’en
connaissez pas les joies ; c’est de l’intensité des premières que dépendra
son éclosion ; de votre chance, de votre adresse, dépend pour une part la
prise de conscience de ce plaisir nouveau pour vous, sans doute aussi de
l’abondance du gibier ; mais vous n’aurez encore soupçonné qu’un aspect de
ces joies si vous n’avez compris que la chasse est une harmonie de facteurs plus
ou moins complexes et dont la somme est nécessaire pour en saisir le véritable
sens. L’évasion, les amis, l’effort sportif tonifiant, le tir et le carnier
gonflé, ce sont là, certes, des aspects de la joie que procure la chasse ;
mais ce n’en est, si l’on peut s’exprimer ainsi, que l’aspect extérieur ;
la passion du chasseur prend sa racine ailleurs : dans cet instinct de la
conquête dans toute l’acception du mot. Conquérir, c’est d’abord découvrir,
donc, avant, rechercher ; c’est s’emparer ensuite, au prix d’une tactique
qui donne la valeur à la victoire. Tuer avec adresse un gibier qui vous a
surpris devant vous, c’est, certes, une satisfaction ; mais deviner le
lieu de sa présence, s’en assurer, circonvenir ses ruses, le bloquer, fasciné,
comme le fauve hypnotise sa proie, puis décider l’instant de son départ après
s’être placé dans la position favorable, c’est accomplir entièrement l’instinct
du conquérant.
Vous comprendrez alors tout le sens du mot chasse, sans
essayer de l’expliquer à ceux que la nature a dépourvus de cet instinct. Mais,
pour saisir ce sens, le fusil le plus beau, le tir le plus adroit ne sont que
simples auxiliaires ; le principal, l’indispensable acteur, c’est le
chien. C’est par lui que vous connaîtrez les joies les plus intenses et que vous
sentirez naître votre passion.
Il est donc important pour vous de n’être pas déçu par son
usage. Il est donc primordial d’attacher plus de soin à son choix qu’à celui
des autres accessoires et même du fusil.
Or, bien souvent, le débutant, très soucieux de sa tenue et
même de son arme (il a raison d’y prêter attention), l’est beaucoup moins du
choix du chien. Bien sûr, s’il a fait son éducation en compagnie de vieux
chasseurs, il se trouve averti et confiera à ses mentors le soin de lui trouver
un auxiliaire à sa mesure. Mais, s’il est livré à lui-même, le débutant
s’expose à bien des déceptions.
Nous avons dit précédemment (1) qu’il ne suffisait pas
d’avoir dressé un chien selon les préceptes des livres ; il faut aussi, et
nous dirons surtout, savoir l’utiliser, savoir concilier ses facultés et éviter
de compromettre ses qualités. Quelles que soient ses aptitudes pédagogiques, le
débutant trouvera rarement un avantage à éduquer son premier chien. Pour
éduquer, il faut posséder l’expérience, et les plus belles théories ne valent
rien sans la pratique.
Plus avisé se montre le nouveau chasseur qui se munit d’un
chien dressé ; mais là encore il risque de commettre des erreurs. En
achetant un jeune chien, fût-il très bien dressé, qui n’a pas encore chassé
plus d’une saison, il se trouve dans le même cas que s’il l’avait élevé
lui-même, avec cette aggravation que le chien, éduqué par un autre, aux
habitudes ou aux goûts différents, ne sera pas à l’unisson du maître.
Acheter un chien confirmé, c’est mieux ; mais encore
faut-il le choisir conforme à ses besoins et à ses aptitudes. La race importe
peu, encore que celui qui n’a jamais chassé s’accommodera mieux d’une race au tempérament
calme et, si possible, d’un chien issu d’une famille adaptée par atavisme au
terroir et au genre de chasse qui sont les siens. Dans tous les cas, le premier
soin est d’essayer le chien dès avant l’ouverture. Quels que soient ses
références, les lauriers couronnant ses aïeux, les garanties données par le
vendeur, le débutant doit s’assurer que le chien proposé répond à ses besoins
et à ses aptitudes personnelles. Et comme, dans la plupart des cas, le candidat
chasseur est incapable d’en juger par lui-même, la sagesse lui commande de
confier l’essai à un ami sérieux, vieux chasseur confirmé, connaissant son
terroir, son gibier et son tempérament.
Dans tous les cas, et quel que soit le chien élu, le
néophyte doit apprendre à s’en servir. Il doit l’apprendre non dans les livres,
mais sur le terrain. Qu’il soit jeune ou qu’il se soit déclaré sur le tard, le
candidat chasseur tirera toujours grand profit de se passer de chien la
première saison et de chasser avec de bons amis en ayant d’excellents. Il
apprendra ainsi les vraies fonctions du chien d’arrêt, ce qu’on peut en
attendre et ce qu’on doit en exiger. Il évitera de prendre inconsciemment de
mauvaises habitudes dont il supportera toujours le handicap, sans le savoir. Il
comprendra pourquoi il ne devra jamais faire forcer l’arrêt, il admirera moins
le chien qui prendra le lapin au gîte que celui qui le bloquera, le lui faisant
tirer au bond, même si trop souvent il le manque ou ne peut le tirer. Il
limitera le rapport aux cas où il est nécessaire ; il laissera son chien à
la maison s’il doit chasser avec des amis munis de chiens courants ou de chiens
d’arrêt de tempérament différent, ne respectant ni le chasseur, ni le gibier.
Il apprendra, enfin, qu’il doit faire confiance à son chien si celui-ci la
mérite ; pour en juger, il faut savoir apprécier ses qualités.
Pour conduire une automobile, il faut apprendre non
seulement le pourquoi et le comment de son fonctionnement, mais aussi un tas
d’autres choses, comme le code de la route. Pour conduire un chien d’arrêt, il faut
aussi d’abord apprendre le pourquoi et le comment de ses fonctions et on ne
peut prétendre les connaître qu’après avoir appris ce que c’est que chasser.
Partir à l’aventure avec un chien et un fusil, sans rien
connaître de la chasse, c’est, très souvent, se ménager les pires déceptions et
se priver, dans tous les cas, de joies insoupçonnées de ceux qui n’ont jamais
compris que la chasse est une communion entre le chien et le chasseur obéissant
à des principes sans lesquels on ne peut découvrir le véritable sens de ce
plaisir.
C’est pourquoi, quand cela est possible, le débutant aura
toujours profit de se munir d’un vieux chien routiné, insensible aux erreurs de
son maître, car c’est ce chien qui sera son éducateur. Les rôles seront
inversés, le chien bien expérimenté apprendra à son maître à chasser.
C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé. Quand j’avais dix-huit
ans, muni de mon premier permis, vers la fin de la Grande Guerre (la première des
der ...), j’étais souvent muni d’une vieille braque française du pays,
dont le maître était aux armées. Je la revois encore arrêtant coup sur coup
deux lièvres, que je saluai vainement, se retournant vers moi, l’air étonné,
mais indulgent, tandis que, sottement, sans savoir, furieux peut-être de ma
maladresse et croyant les avoir touchés, je l’insultai (la noble bête !)
en l’incitant à les poursuivre, dans l’espoir ingénu qu’elle s’en serait
emparée. Un jeune chien aurait profité de l’aubaine pour imiter les chiens
courants ; mais elle, au petit trot, reprit sans s’émouvoir sa quête et me
bloqua des cailles, des perdreaux et même d’autres lièvres, s’ingéniant à me
les présenter le plus commodément possible et agitant son bout de queue pour
m’exprimer sa joie ou me complimenter quand j’étais plus adroit, j’eus ensuite
une vieille griffonne qui fut aussi mon professeur. J’ai connu d’autres chiens
dont l’expérience leur permettait de s’imposer à l’ignorance des chasseurs, sur
les lapins des haies, les cailles, la bécasse. Ces chiens étaient des
moniteurs.
C’est un tel chien que je vous souhaite, jeune chasseur ou
vous que saint Hubert appelle à lui à l’âge mûr. Rappelez-vous ce vieil
adage : « À jeune chasseur, vieux chien. »
Jean CASTAING.
(1) Le Chasseur Français, no 631, septembre 1949.
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