Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°632 Octobre 1949  > Page 688 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

La vitesse des chiens courants

Vous avez certainement lu avec beaucoup d’intérêt les excellents articles de M. J. Castaing sur les chiens d’arrêt continentaux et sur la vitesse des chiens d’arrêt. Vous avez pu en conclure quelles divergences existaient entre les deux écoles : celle du chien vite et celle du chien lent ou de train modéré.

Eh bien ! les deux écoles existent également en ce qui concerne les chiens courants, et, ma foi, la discussion est aussi vive et passionnée entre les champions des deux théories contraires.

Évidemment, il est difficile entre chasseurs passionnés de ne pas parler avec passion. Mais tout de même ! on sait bien que dans la vie il n’y a pas de solutions forcément uniques et polyvalentes, même pour des choses d’ordre pratique. Comment pourrait-il en être autrement au sujet de la chasse, qui est un sport et un agrément.

L’agrément, c’est ce qui plaît. Pour le vrai chasseur au chien courant, il n’y a pas que le résultat qui compte, mais surtout le plaisir et les émotions qu’il éprouve. Et tous les goûts sont dans la nature. J’ai connu deux citoyens ... chasseurs, ou qui se prétendent tels. L’un d’eux se réjouissait de la menée de son basset, qui mettait bien une bonne demi-heure à traverser un champ de 100 ou 150 mètres, en faisant une musique de diable ! L’autre était enchanté de sa briquette, qui ne perdait pas un coup de gueule. Lorsque le lièvre était sorti du bois, elle reprenait le contre en donnant de la voix jusqu’au lancer !

Ces hommes étaient heureux. Pourquoi les contrarier ?

D’autres admirent des chiens voleurs et emportés. Pourquoi les critiquer ?

Tout ce que je demande, c’est qu’ils ne s’évertuent pas à me convaincre ... et à m’obliger à employer leurs chiens.

Tout est donc avant tout une question de préférence personnelle ... Mais tout chasseur sensé sait que cela dépend surtout du gibier que l’on chasse, du genre de chasse que l’on pratique et du terrain sur lequel on opère.

Ces observations d’ordre général s’appliquent aussi bien aux chiens d’arrêt qu’aux chiens courants.

Mais on voudra bien admettre que le chien courant, qui n’est pas uniquement destiné à découvrir et à faire lever le gibier, mais aussi à le poursuivre, a besoin d’une certaine vitesse.

Tout récemment, l’ami Guy Hublot vous a très justement fait le procès de ces chiens qu’il a appelés les « velléitaires », ces chiens qui traînent sur la voie ... et qui chantent éperdument. Oh ! je reconnais bien là Guy Hublot. C’est un veneur enragé. Avec cela, il est taillé en pur sang, et je me rappelle, il y a vingt-cinq ans, lorsque nous arpentions la plaine vendéenne, aux épreuves de meutes de La Roche-sur-Yon, qu’il était difficile à suivre avec ses grandes jambes ! Mais, non content de marcher vite, il est, en outre, excellent cavalier. En vrai veneur, bien doué physiquement et bien monté, il est tout naturel qu’il aime les chiens qui galopent.

En réalité, lorsqu’on chasse aux chiens courants, on veut des chiens qui poursuivent leur animal. Même si l’on ne chasse pas exclusivement à courre, il faut des chiens qui aient de l’allant et du train, et qui ne se laissent pas distancer.

Avec un animal qui prend de l’avance, et qui se forlonge, les meilleurs chiens, au point de vue odorat, finissent par traîner et par perdre la voie.

Il faut aussi que les chiens ne soient pas forcés avant l’animal.

Je ne vois aucun inconvénient à ce que certains chasseurs prennent tout leur plaisir à écouter leur meute de bassets lents, bien ajustés et bien criants, qui promènent à grand bruit lapin, lièvre ou chevreuil ... que les tireurs se préparent à fusiller.

Je comprends que ceux qui ont un territoire de chasse assez restreint recherchent des chiens promeneurs pour ne pas effrayer le gibier et l’éloigner de la ligne de tir.

Mais ce sont là des cas spéciaux. Le chien courant n’est pas uniquement fait pour vocaliser derrière un animal. Il est fait pour le poursuivre, le malmener, et au besoin le forcer.

Pour tout veneur atteint du virus, l’idéal c’est de forcer ! La chasse à courre est la plus pure, la plus palpitante de toutes les chasses au chien courant. Pour forcer, il faut des chiens qui poussent.

On me dira peut-être : « Les vieux veneurs d’antan prenaient bien avec des chiens lents ... » Peut-être !

Il est incontestable qu’on a recherché de plus en plus la vitesse ... et les prises rapides. Mais, lorsqu’on prétend que cette manie de la vitesse est une manie nouvelle, on exagère tout de même.

On ignore ou on oublie par exemple :

    Que Louis XI se moquait déjà des chiens lents qui, selon lui, n’étaient bons que pour gens ayant la goutte ;

    Que Louis XIV faisait venir des étalons anglais pour donner plus de train à ses chiens ;

    Que Henri IV écrivait à Gabrielle d’Estrées toute sa satisfaction d’avoir des chiens qui prenaient leur cerf en une heure.

Fait-on aussi vite actuellement ? J’en doute. Voilà quelques exemples célèbres qui montrent bien que la recherche des chiens vifs n’est une préoccupation nouvelle.

Lorsqu’on parle de chiens vites, il ne s’agit pas de chiens extra-rapides, prenant l’animal à la course à la façon des lévriers. Non. Mais de chiens vites par leur façon de chasser, leur allant, leur initiative et leur train soutenu. Il ne s’agit pas non plus d’une vitesse absolue et uniformément la même pour le lapin, le lièvre ou le cerf. Non ! Mais, quel que soit le gibier que l’on chasse, j’ai la conviction que, pour chasser agréablement et efficacement, il faut des chiens qui aient du perçant, du train et du fond.

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 688