Vous avez certainement lu avec beaucoup d’intérêt les
excellents articles de M. J. Castaing sur les chiens d’arrêt
continentaux et sur la vitesse des chiens d’arrêt. Vous avez pu en conclure
quelles divergences existaient entre les deux écoles : celle du chien vite
et celle du chien lent ou de train modéré.
Eh bien ! les deux écoles existent également en ce qui
concerne les chiens courants, et, ma foi, la discussion est aussi vive et
passionnée entre les champions des deux théories contraires.
Évidemment, il est difficile entre chasseurs passionnés de
ne pas parler avec passion. Mais tout de même ! on sait bien que dans la
vie il n’y a pas de solutions forcément uniques et polyvalentes, même pour des
choses d’ordre pratique. Comment pourrait-il en être autrement au sujet de la
chasse, qui est un sport et un agrément.
L’agrément, c’est ce qui plaît. Pour le vrai chasseur au
chien courant, il n’y a pas que le résultat qui compte, mais surtout le plaisir
et les émotions qu’il éprouve. Et tous les goûts sont dans la nature. J’ai
connu deux citoyens ... chasseurs, ou qui se prétendent tels. L’un d’eux
se réjouissait de la menée de son basset, qui mettait bien une bonne demi-heure
à traverser un champ de 100 ou 150 mètres, en faisant une musique de
diable ! L’autre était enchanté de sa briquette, qui ne perdait pas un
coup de gueule. Lorsque le lièvre était sorti du bois, elle reprenait le contre
en donnant de la voix jusqu’au lancer !
Ces hommes étaient heureux. Pourquoi les contrarier ?
D’autres admirent des chiens voleurs et emportés. Pourquoi
les critiquer ?
Tout ce que je demande, c’est qu’ils ne s’évertuent pas à me
convaincre ... et à m’obliger à employer leurs chiens.
Tout est donc avant tout une question de préférence
personnelle ... Mais tout chasseur sensé sait que cela dépend surtout du
gibier que l’on chasse, du genre de chasse que l’on pratique et du terrain sur
lequel on opère.
Ces observations d’ordre général s’appliquent aussi bien aux
chiens d’arrêt qu’aux chiens courants.
Mais on voudra bien admettre que le chien courant, qui n’est
pas uniquement destiné à découvrir et à faire lever le gibier, mais aussi à le
poursuivre, a besoin d’une certaine vitesse.
Tout récemment, l’ami Guy Hublot vous a très justement
fait le procès de ces chiens qu’il a appelés les « velléitaires »,
ces chiens qui traînent sur la voie ... et qui chantent éperdument.
Oh ! je reconnais bien là Guy Hublot. C’est un veneur enragé. Avec
cela, il est taillé en pur sang, et je me rappelle, il y a vingt-cinq ans,
lorsque nous arpentions la plaine vendéenne, aux épreuves de meutes de La
Roche-sur-Yon, qu’il était difficile à suivre avec ses grandes jambes !
Mais, non content de marcher vite, il est, en outre, excellent cavalier. En
vrai veneur, bien doué physiquement et bien monté, il est tout naturel qu’il
aime les chiens qui galopent.
En réalité, lorsqu’on chasse aux chiens courants, on veut
des chiens qui poursuivent leur animal. Même si l’on ne chasse pas
exclusivement à courre, il faut des chiens qui aient de l’allant et du train,
et qui ne se laissent pas distancer.
Avec un animal qui prend de l’avance, et qui se forlonge,
les meilleurs chiens, au point de vue odorat, finissent par traîner et par
perdre la voie.
Il faut aussi que les chiens ne soient pas forcés avant
l’animal.
Je ne vois aucun inconvénient à ce que certains chasseurs
prennent tout leur plaisir à écouter leur meute de bassets lents, bien ajustés
et bien criants, qui promènent à grand bruit lapin, lièvre ou chevreuil ...
que les tireurs se préparent à fusiller.
Je comprends que ceux qui ont un territoire de chasse assez
restreint recherchent des chiens promeneurs pour ne pas effrayer le gibier et
l’éloigner de la ligne de tir.
Mais ce sont là des cas spéciaux. Le chien courant n’est pas
uniquement fait pour vocaliser derrière un animal. Il est fait pour le
poursuivre, le malmener, et au besoin le forcer.
Pour tout veneur atteint du virus, l’idéal c’est de
forcer ! La chasse à courre est la plus pure, la plus palpitante de toutes
les chasses au chien courant. Pour forcer, il faut des chiens qui poussent.
On me dira peut-être : « Les vieux veneurs d’antan
prenaient bien avec des chiens lents ... » Peut-être !
Il est incontestable qu’on a recherché de plus en plus la
vitesse ... et les prises rapides. Mais, lorsqu’on prétend que cette manie
de la vitesse est une manie nouvelle, on exagère tout de même.
On ignore ou on oublie par exemple :
Que Louis XI se moquait déjà des chiens lents qui,
selon lui, n’étaient bons que pour gens ayant la goutte ;
Que Louis XIV faisait venir des étalons anglais pour
donner plus de train à ses chiens ;
Que Henri IV écrivait à Gabrielle d’Estrées toute sa
satisfaction d’avoir des chiens qui prenaient leur cerf en une heure.
Fait-on aussi vite actuellement ? J’en doute. Voilà
quelques exemples célèbres qui montrent bien que la recherche des chiens vifs
n’est une préoccupation nouvelle.
Lorsqu’on parle de chiens vites, il ne s’agit pas de chiens
extra-rapides, prenant l’animal à la course à la façon des lévriers. Non. Mais
de chiens vites par leur façon de chasser, leur allant, leur initiative et leur
train soutenu. Il ne s’agit pas non plus d’une vitesse absolue et uniformément
la même pour le lapin, le lièvre ou le cerf. Non ! Mais, quel que soit le
gibier que l’on chasse, j’ai la conviction que, pour chasser agréablement et
efficacement, il faut des chiens qui aient du perçant, du train et du fond.
Paul DAUBIGNÉ.
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