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La perche

Pêche au pater-noster

Certains confrères débutants en notre art s’étonneront sans doute de voir un mode de pêche affublé d’un qualificatif aussi bizarre. Que peut-il, en effet, y avoir de commun entre la prière des croyants et une façon quelconque de pêcher la perche ? Eh bien ! voici : aux temps lointains d’Isaac Walton, dit « le père des pêcheurs à la ligne », lequel vivait à l’époque du dictateur Cromwell, les pêcheurs de la Tamise, à Londres, se servaient, pour pêcher le long des quais de cette rivière, de lignes spéciales destinées surtout à prendre les grosses perches, fort nombreuses à cet endroit où la navigation était très active et rendait aléatoire la manœuvre des lignes flottantes.

Ces lignes spéciales comportaient, dans leur agencement, un certain nombre de grosses perles de bois sur lesquelles étaient fixées des empiles étagées à diverses hauteurs et munies d’hameçons. Or, ces perles avaient une certaine ressemblance avec les grains volumineux des gros chapelets alors en usage dans certains ordres religieux.

Il n’en a pas fallu davantage pour qu’on ait appliqué à ce genre de montures une aussi singulière appellation. Elles sont encore couramment employées, de nos jours, pour la pêche de certains poissons de mer, plus rarement en rivière.

Cependant, notablement allégées et beaucoup plus fines, elles semblent présenter, pour la capture de la perche, un certain intérêt. Nous savons tous que les perches ne sont pas des poissons de plein courant. Leurs lieux de station favoris et habituels se trouvent le long des berges, dans les cavités remplies de racines, sous les tiges enchevêtrées des buissons à demi immergés, dans les interstices des blocs de pierre, des enrochements, etc.

Souvent, en ces lieux, surtout par hautes eaux, les vagues, les ondulations, les remous des courants du large tendent à rapprocher de la berge tout corps flottant librement et à le pousser contre la rive. Une ligne ordinaire est donc exposée à être entraînée dans ces obstacles, à s’y engager, y entortiller son fil et n’en plus pouvoir sortir.

La monture dite « pater-noster » obvie à ces inconvénients. Elle permet aussi de présenter à nos poissons, presque toujours groupés, des esches multiples, souvent diverses, et à des niveaux différents. Cela paraît constituer d’assez sérieux avantages.

Elle se compose généralement d’un bas de ligne assez solide, en florence « padron » ou « regular », en catgut ou nylon, de calibre équivalent, ayant une longueur de 2m,50 environ et portant, à son extrémité inférieure, un plomb d’autant plus lourd que l’eau est plus agitée.

Ce plomb, souvent de forme pyramidale, est destiné à obliger la ligne à rester en place fixe autant de temps que le pêcheur l’estimera utile. Au-dessus de ce plomb de fond, à 20 ou 25 centimètres, est rattachée une empile en « fina », perpendiculaire au bas de ligne, et plus ou moins longue suivant la nature du fond. Si celui-ci est propre, son extrémité, munie d’un hameçon, pourra y traîner sans inconvénient ; sur un fond herbeux ou vaseux, elle sera plus courte, afin que l’hameçon esche ne puisse pas y disparaître ; la perche, qui n’est pas un poisson fouilleur, ne l’y trouverait pas.

Le plus souvent, le pêcheur ne se contente pas de cette seule empile inférieure ; deux ou trois autres sont placées au-dessus, à intervalles égaux, en remontant vers la surface. Quarante à cinquante centimètres les séparent les unes des autres ; il est rare d’en employer moins de trois et plus de quatre. Pour les obliger à s’écarter du fil central, autour duquel elles risquent de s’entortiller, on peut, comme nos anciens, les fixer sur de petites perles à gorge, à des « clippots » couramment employés pour les lignes de mer, ou encore à des émerillons à barrette.

Cependant, quand on n’a en vue que la seule pêche de la perche, pour laquelle une certaine finesse est de rigueur, on se contente de trois empiles assez courtes, liées à la base à une soie de sanglier partant du bas de ligne central ; on obtient ainsi l’écartement désiré et une visibilité fort atténuée. La multiplicité des empiles permet de varier les esches offertes aux perches. Le plus souvent, c’est un beau ver qui garnit l’hameçon inférieur ; un petit véron celui du milieu ; un cherfaix, deux asticots ou une petite larve, celui du haut, maintenu à 0m,50 au-dessous de la surface. La taille des hameçons est appropriée à celle des esches.

Comme les lignes flottantes, la monture « pater-noster » comporte généralement un flotteur qui, en plongeant, décèlera la touche.

Ce flotteur, bouchon ou grande plume, doit avoir la force de maintenir le bas de ligne bien tendu sans pouvoir, cependant, offrir une résistance trop grande à la tirée du poisson ; c’est pourquoi il est le plus souvent assez exigu et équilibré à l’aide de petits plombs fendus, serrés sur le bas de ligne dans les intervalles séparant les empiles.

Grâce à sa stabilité, le « pater-noster » peut être placé très près de la rive, à peu de distance des obstacles où se trouvent les gîtes à perches, dans lesquels il ne risque pas d’être entraîné.

Le pêcheur prend connaissance de l’attaque de ses esches quand le flotteur s’enfonce entre deux eaux, après quelques titillations, mais aussi souvent d’emblée. Quand il a bien disparu, il ferre d’un coup de poignet très léger et le poisson est pris. Se rappeler que les lèvres de la perche se déchirent facilement ; il ne faut donc rien brusquer et, au contraire, amener la prise en douceur. Même s’il ne s’agit que de petites perches, le recours à l’épuisette est recommandable, car beaucoup s’échappent en se débattant au moment de leur arrivée en surface et, dans ce cas, effrayent les autres, obligeant à changer d’endroit.

En terminant, il nous faut préciser que le « pater-noster » n’est pas une ligne flottante. Son usage n’est donc permis, dans les eaux publiques, qu’aux membres des Sociétés de pêcheurs constituées selon la loi et seulement dans leurs lots amodiés. Partout ailleurs, il suffit d’être propriétaire riverain ou d’être autorisé par ce dernier dans la partie de cours d’eau lui appartenant légalement.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 689