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La vie du saumon

L’alevin de saumon, dès que sa vésicule est résorbée (1), commence à chercher sa nourriture parmi les pontes et larves d’insectes qui pullulent dans les graviers. Sa croissance, en rivière, est celle de la truite. L’été, il mesure déjà 4 à 5 centimètres.

Au printemps de l’année suivante, certains tacons (ou tocans dans le Gave d’Oloron) mesurent déjà 12 à 15 centimètres. Ils se distinguent nettement de la truitelle par les caractères ci-dessous :

    Dimensions habituelles en longueur : 12 à 16 centimètres de bout en bout.

    Queue (nageoire caudale) nettement fourchue.

    Angle postérieur de la mâchoire placé à l’aplomb de l’œil.

    Couleurs : dos roussâtre nuancé de bleu, plus ou moins semé de petites taches sombres, dont une ou deux operculaires.

    Flancs portant en long 8 à 12 taches violacées, distinctes, avec petites taches rouges intercalaires.

    Ventre et bas des flancs de couleur blanche.

    Nageoires souvent bordées de bleu ; première dorsale non tachetée ou faiblement tachetée à sa base.

    Dimensions habituelles en longueur : peut dépasser 16 centimètres de bout en bout.

    Queue (nageoire caudale) à peine fourchue.

    Angle postérieur de la mâchoire dépassant en arrière l’aplomb de l’œil.

    Couleurs : dos brun foncé, semé de nombreuses taches sombres, petites et grandes, dont plusieurs operculaires.

    Flancs portant en long 8 à 12 grandes taches violacées plus ou moins unies et des taches rouges cerclées de clair.

    Ventre et bas des flancs de couleur blanc jaunâtre.

    Nageoires privées de bordure bleutée ; première dorsale tachetée.

C’est un poisson déjà très vorace et qui est malheureusement très facilement capturable à la ligne, que ce soit aux appâts naturels ou artificiels. L’été, il m’est arrivé souvent, en péchant à 3 mouches, d’en prendre 2 ou 3 à la fois.

Il mord très facilement au lancer léger et attaque la cuillère souvent en fin de course, quand le pêcheur ne s’attend plus à la touche. Il faut évidemment le rejeter immédiatement à l’eau. Malheureusement, il engame l’hameçon très profondément et, trop souvent ; il ne survivra pas.

Le garde-pêche, dans les rivières à saumons, devra, pendant l’été, bien visiter les paniers de pêche où les « Parisiens » de bonne foi auront rangé leurs tacons en les prenant pour des truites, et surtout les poches spéciales et secrètes dans le bas de la veste où le pêcheur local peu scrupuleux aura soigneusement et subrepticement glissé pêle-mêle truitelles et tacons. La « poche à tacons » est bien connue de ceux qui fréquentent le Gave d’Oloron.

Au mois d’avril, se passe le phénomène de la descente des tacons à la mer.

Le tacon revêt alors une livrée spéciale argentée et devient tocan de descente (smolt en anglais). Ce sont, en principe, les tacons de deux ans qui deviennent smolts en avril chaque année avec les rares tacons de trois ans, et quelques tacons précoces de un an. Mais plus la rivière est méridionale, et plus la proportion de smolts d’un an est forte. C’est ainsi que, dans l’Adour, plus des 2/3 des smolts ne sont âgés que d’un an, et, dans les rivières du Nord de l’Écosse, il n’y a que des smolts de deux et trois ans.

Les smolts se rassemblent en bandes et, à la première crue d’avril, se laissent dévaler vers la mer.

C’est pendant les quelques jours que dure cette descente, que l’intervention des gardes-pêche rendra les plus grands services. En effet, sur les barrages et dans les canaux d’amenée, les bandes grouillantes de smolts sont facilement capturables à l’épuisette. Les braconniers peuvent s’en donner à cœur joie et détruire, en masse, les futures remontées de grands saumons.

Les bandes de smolts arrivent à l’estuaire et disparaissent dans la mer. On en capture parfois quelques-uns, courant mai, près des côtes. Ils disparaissent ensuite dans les profondeurs marines et on perd toute trace d’eux jusqu’à leur retour, comme grands saumons, dans leur rivière d’origine.

Il n’a jamais été pris de saumons en mer, au large des côtes (sauf en mer Baltique, qui est peu profonde).

Il est très probable qu’il vit à grande profondeur et se nourrit de crustacés qui donnent à sa chair sa couleur rose caractéristique.

Sa croissance en mer est stupéfiante. S’il met deux ans en rivière à devenir un smolt de 16 centimètres, pesant 50 grammes à peine, il prend en mer deux à trois kilogrammes par an.

Il peut remonter au bout de sa première année en mer. Il remontera alors en juin-juillet de l’année qui suit celle de sa descente comme smolt. C’est un « grilse » ou madeleineau pesant 2 à 3 kilogrammes. Ces poissons sont abondants dans les rivières bretonnes.

Après sa deuxième année de mer, il montera en mai-juin, pesant 4 à 6 kilogrammes. C’est un petit saumon d’été.

S’il ne monte que la troisième année de mer, il arrivera en eau douce en avril-mai, pesant 7 à 8 kilogrammes. C’est le saumon de printemps.

Enfin, à quatre ans et plus, il pèse 10 à 12 kilogrammes. C’est un grand saumon d’hiver qui monte de décembre à mars.

Ces grands saumons sont abondants dans l’Allier et le Gave d’Oloron.

Mais, me direz-vous, comment peut-on se rendre compte de l’âge du saumon et de sa vitesse de croissance en mer ? Comment un spécialiste peut-il dire que tel saumon de 8 kilogrammes, qui vient d’être capturé en mai 1949, a cinq ans, dont trois ans de mer et deux ans de rivière, et a été pondu en décembre 1944 ?

Par la lecture des écailles, et ceci fera l’objet d’une future chronique.

DELAPRADE.

(1) Voir Le Chasseur Français de septembre 1949.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 691