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Grande culture

L’équilibre des cultures

Une nouvelle campagne agricole commence ; de quoi sera-t-elle faite ? Quels sont les produits qui viendront satisfaire le cultivateur dans sa mission sociale de pourvoir au ravitaillement de la population. Certes, il s’agit d’abord d’orienter la production vers les denrées qui sont demandées par l’ensemble du pays ; sans doute peut-on prévoir une part provenant de l’extérieur, de même qu’il faut envisager des marchandises destinées à l’exportation ; seulement, dans l’ensemble, ces mouvements qui caractérisent le commerce extérieur représentent une faible partie de l’activité générale. Il s’agit donc de penser à l’ordonnancement global de la production.

La satisfaction des besoins assure tout d’abord une place de premier plan aux céréales, et notamment au blé. Toutes les discussions qui naissent chaque année autour du prix du blé, depuis que celui-ci est fixé pour toute la campagne, montrent le rôle que joue encore le pain symbolique dans la vie de la nation. Il serait facile de démontrer que la part revenant au pain dans l’alimentation s’amenuise peu à peu ; laissons ce sujet et revenons à la place du blé dans l’ensemble des cultures.

L’évolution des rendements a permis d’envisager sans crainte une réduction de la surface emblavée par rapport au passé, et tout au moins dans une limite raisonnable, car il ne faut jamais oublier l’instabilité des productions par unité de surface en raison des saisons ; d’autre part, la position de pays exportateur prise par la France sur le plan mondial nous met dans l’obligation de maintenir une situation moyenne excédentaire, afin de ne pas avoir à recourir à des restrictions. Il faut donc que la politique agricole du pays tienne compte de ces nécessités en assurant la sécurité aux producteurs de blé.

Il est possible que, les progrès techniques aidant, des aménagements différents apparaissent dans les exploitations qui consacraient au blé une surface relativement importante. Des exemples montrent qu’une légère extension des plantes dites sarclées et des cultures fourragères, loin de nuire à la production totale du blé dans une ferme, se traduit par un relèvement tel des rendements à l’hectare que le total est maintenu.

Les cultures de céréales dites secondaires paraissent devenir moins stables ; on tendrait à réduire l’avoine et à augmenter l’orge, mais, sur le plan général, ces modifications n’ont pas une importance capitale, la rotation des cultures n’en subit pas une atteinte sérieuse, les travaux se placent au même moment, les formules d’engrais ne diffèrent pas beaucoup dans l’ensemble.

Le chapitre le plus mouvant est celui des cultures sarclées et industrielles : c’est ici que le facteur économique joue au maximum. Grâce à une orientation sage, la betterave industrielle a affirmé ses surfaces, l’augmentation est même envisagée le jour où une position nette serait prise devant le problème de l’alcool carburant. La pomme de terre reprend une place normale dictée par l’équilibre revenu dans l’alimentation générale ; toutefois, il faut s’attendre à des soubresauts causés par l’incertitude des prix, ainsi que par la répercussion des débouchés que trouve la pomme de terre dans l’alimentation des porcs ou dans l’approvisionnement des féculeries.

Le chapitre des oléagineux est extrêmement curieux à étudier ; des cultures pratiquement abandonnées ont rebondi sous la pression des événements, le soutien assuré par les prix confirme l’intérêt du débouché ; enfin, les modifications radicales apportées aux procédés de culture donnent de l’aisance et de l’assurance aux cultivateurs. Faut-il signaler le maintien du lin, la légère reprise du chanvre avec le travail industriel sensiblement modifié. En fait, le cultivateur paraît sortir des formules immuables et assouplir vraiment ses productions au rythme des circonstances économiques.

Les productions fourragères se réveillent, non pas en partant d’une surface sensiblement accrue, mais en s’appuyant sur des progrès techniques les plus divers. Recherches des meilleures plantes, apport systématique des engrais et, surtout, utilisation plus rationnelle des produits en partant d’une récolte convenable précédant des procédés de conservation améliorés. C’est donc de ce côté l’assurance d’une alimentation plus rationnelle des animaux et, dans les recettes de la ferme, une part relativement plus grande concernant les produits divers d’origine animale ; cette conception satisfait l’orientation des besoins alimentaires de la population et, en outre, après mise au point du genre de marchandises à exporter, facilite la recherche de débouchés plus larges vers le dehors. On dit volontiers : les exportations nous assurent des devises pour acheter à l’extérieur ce que la production industrielle française ne peut pas encore fournir ; en vérité, tenant compte des monnaies mal assurées, il s’agit simplement de revenir à une balance commerciale satisfaisante en adaptant le mouvement des marchandises aux besoins du moment.

Ainsi apparaissent les facteurs qui, au sein des exploitations aussi variées dans leur aspect géographique que dans la personnalité, dans le particularisme de chaque cultivateur, déterminent l’association des productions. D’autres considérations interviennent, surtout depuis quelques années. L’exécution des travaux subit l’influence de la mécanisation, et plus encore de la motorisation ; la rapidité dans le travail, l’opportunité mieux établie d’une façon, la substitution de la traction mécanique à la traction animale et les conséquences dont il a été question ici à plusieurs reprises conduisent à un nouvel équilibre des forces en présence. Fatalement, on tâtonne, on simplifie ; le problème humain prend un aspect nouveau aussi bien dans la petite exploitation que dans la grande, et il faut conserver la tête froide au milieu des événements. Il est presque heureux que le rythme des saisons fasse qu’une production végétale demande le cycle d’une année, car pendant ces mois où l’expérience se forge, on a le temps de réfléchir, de se renseigner, d’aller voir. Il faut souhaiter que des renseignements précis puisés aux meilleures sources, que le chiffre sincère et expliqué contribuent à l’établissement de cet équilibre momentané de l’époque.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 701