C’est, nous l’avons vu, un mode de traitement de la forêt
qui fournit uniquement des bois de petites dimensions, mais à usages combien
nombreux et variés et pratiquement indispensables dans la vie de la propriété
agricole. Il n’est d’ailleurs pas jusqu’au citadin qui s’y soit intéressé
puisqu’il vit de l’effort de la campagne. Mais le taillis est surtout un type
de forêt qui fournit le maximum de bois de feu, avec ses tiges jeunes qui
poussent rapidement.
Ce type de forêt a donc été fort répandu lorsque, l’industrie
étant encore rudimentaire, la campagne était habituée à se suffire sur son sol.
Mais, ce qui est mieux encore, c’est que l’industrie elle-même, encore dans son
enfance, était une grande consommatrice de bois de feu. Avant que l’esprit
industrieux de l’homme n’« invente » d’autres combustibles, salines,
forges, verreries, et combien d’autres encore, dévoraient le bois.
Partout, immédiatement autour de ces centres industriels,
l’exploitation était intense, et les surfaces traitées de cette façon considérables.
Les grands centres urbains, gros consommateurs, placés en
général aux confluents de vallées, sur le trajet des courants commerciaux,
étaient éloignés des sources de ravitaillement en bois. Les rivières qui
descendaient ces vallées pouvaient alors facilement et économiquement amener de
loin le combustible. Paris tirait du Morvan, par flottage sur la Seine, des
milliers de stères de bois.
Verreries de Lorraine, forges des régions à minerais,
salines du Jura, chauffage du Morvan pour Paris, voilà quelques exemples des
raisons de la répartition de grosses surfaces de taillis au siècle dernier.
Il est aussi une autre cause à cette répartition. C’est la
dimension même de certaines essences forestières qui, seules, à l’époque,
étaient capables de coloniser des terrains particulièrement ingrats. Le chêne
vert, par exemple, de croissance lente, essence méridionale encore capable de
végéter sur les pentes calcaires sèches exposées au Midi, est de petite taille.
Il ne donne que lentement des produits de faibles dimension, mais, par contre,
c’est un bois très dense qui rend particulièrement bien à la carbonisation. Les
régions où il croît sont bien pauvres en routes et il est plus avantageux de
véhiculer, à dos de mulet, des sacs de charbon de bois que des rondins. Aussi
cette sorte d’exploitation des taillis de chêne vert est-elle fréquente dans le
Sud de notre pays et en Espagne, par exemple. Partout où la qualité et les
facilités d’exploitation le permettent, il faut allonger la révolution des
taillis de chêne vert pour en tirer des produits de plus grosses dimensions et
de plus grande valeur.
Enfin, de nombreux petits usages, liés à des qualités
particulières, ont motivé le maintien ou même le développement de petites
surfaces de telle ou telle espèce.
En dehors du chauffage, les produits obtenus de tel ou tel
taillis sont, en effet, extrêmement variés et variables aussi avec l’âge.
Abstraction faite des produits ligneux, certains ne sont-ils pas de magnifiques
couverts à gibier où le robinier (notre acacia) apporte l’appoint de ses
épines ?
Depuis les taillis de saule de diverses espèces,
employés comme osier après exploitation dans l’âge le plus tendre, en passant
par les taillis de micocoulier qui ont donné naissance, dans le
Roussillon, à l’industrie des manches de fouets dits « Perpignan » et
aux fourches à faner, par exemple, par les taillis à écorces de chêne,
les taillis de châtaignier à cercles de tonneaux, les taillis de robinier
pour perches d’échelles et tous les taillis de ces trois essences fournissant à
l’agriculture piquets ou échalas de vigne, piquets de clôture ronds ou refendus
où le tannin abondant permet, par ses propriétés antiseptiques, une longue
conservation, nous arrivons à tous les taillis à chauffage où toutes les
essences ci-dessus et surtout le charme jouent le rôle principal. Les taillis à
longue révolution sont susceptibles de donner des produits de choix tels que
les bois de mines, et même les taillis de châtaignier donnent des merrains et
des lames de parquets.
Disséminées sur la surface, d’autres espèces, celles que les
forestiers appellent les « morts bois », ont aussi leur rôle à jouer.
L’exploitation des taillis de buis, envahissants dans les forêts des zones
calcaires rocheuses chaudes, fournit la matière première de la bimbeloterie des
jeux de société. La cueillette des cépées de cornouiller mâle donne des tiges
pour la fabrication des manches d’outils. Le fusain fournit un charbon très fin
très estimé et la bourdaine elle-même, envahissante dans les sols dits
« acides », où la grande fougère est elle aussi abondante, fournit un
charbon apprécié dans la fabrication de la poudre noire et une écorce que se
disputent les fabriques de produits pharmaceutiques.
À la variété de ses produits, le taillis, ajoute un autre
avantage, c’est la simplicité du traitement à lui appliquer. La forêt n’est
pas, à l’inverse de ce que croient beaucoup de personnes, un être qui pousse
seul au mieux des intérêts humains. Elle ne rend bien que si elle est
consciencieusement soignée. Le taillis est la forme qui certainement réclame le
moins de connaissances et le minimum de précautions pour se perpétuer d’années
en années en fournissant un revenu ou des produits réguliers.
N’importe quelle surface de forêt, aussi faible soit-elle,
est justiciable du taillis. Une fois que l’âge d’exploitation, fonction de la
nature des produits à obtenir, a été fixé, il suffit de diviser la surface en
autant de portions à exploiter tous les ans. Si cette surface est trop faible,
on pourra ou ne l’exploiter qu’une fois à l’âge prévu, ou la diviser en deux ou
plus pour étager les revenus. Ainsi, dans un taillis de charme où l’on
n’envisagera que la production de chauffage, on exploitera les brins à trente
ans, par exemple, on pourra n’avoir sur toute la surface qu’une seule coupe
tous les trente ans ou encore trente parcelles que l’on coupera successivement
chaque année dès que le bois y aura atteint l’âge fixé. On aurait pu aussi
diviser en quinze parcelles à ne couper que tous les deux ans.
Par ce moyen, on aura dans chacune des parcelles une surface
dont tous les rejets, nés sur les vieilles souches, auront le même âge, une
hauteur régulière, c’est le taillis régulier.
Il est aussi possible, dans l’exemple précédent, d’exploiter
chaque année non pas tout sur un trentième de la surface, mais d’exploiter un
trentième de la production sur la totalité de la surface en cueillant dans
chacune des « cépées », ou dans certaines seulement, les tiges les
plus belles.
La forêt présente alors un mélange de tiges de diverses
dimensions dont les plus belles, qu’il faut chercher en « furetant »,
feront l’objet de la prochaine exploitation annuelle de ce taillis fureté.
C’est un mode d’exploitation assez localisé dans certaines régions méridionales
de notre pays pour le taillis de hêtre qui existe là en altitude. Il est plus
difficile à conduire que le taillis régulier et ne peut réussir qu’avec des
essences qui, comme le hêtre, sont capables sous certaines conditions de donner
des rejets même à l’ombre des autres tiges.
Dans certaines régions, riches en forêts et pauvres en
cultures, on a aussi pensé tirer parti du drainage de substances fertilisantes
que la forêt va pratiquer en profondeur par ses racines. Ces substances sont
amenées dans les couches superficielles du sol par l’intermédiaire des feuilles
mortes. Là, après l’exploitation, tous les déchets de bois sont brûlés et les
cendres répandues en surface. Une culture de céréales, en général, permet,
avant la trop grande croissance des rejets, d’épuiser une partie de
l’enrichissement du sol. Ce mode d’exploitation s’appelle taillis sarté
(ou sartage).
Malheureusement, tout ceci se passe aux dépens de la forêt.
Le feu fait disparaître une partie importante des éléments utiles contenus dans
le bois et la culture une autre. Or, le taillis qui est un jeune arbre est,
comme toute plante jeune, un être exigeant. Sur un sol pauvre ou appauvri, il
pousse moins bien et produit moins ; sur un sol riche, et moyennant
certaines précautions, le taillis donne par contre de beaux rendements.
Parmi ces précautions, la surveillance de la persistance
d’un ensouchement assez jeune de bonnes essences est primordiale. Les raisons
de la disparition des souches sont en effet nombreuses et tiennent spécialement
aux vices d’exploitation. Ce sont : l’usage de la scie qui favorise le
séjour de l’eau sur les souches ainsi que leur envahissement par les
champignons, et aussi l’exploitation en sève qui favorise le décollement de
l’écorce. Aussi, les prescriptions du Code forestier sont-elles sages qui ont
interdit ces deux méthodes d’exploitation.
Produisant beaucoup trop de bois de feu, les très grands
massifs de taillis ne peuvent plus écouler leurs produits et risquent de ne
plus donner à leurs propriétaires de revenus intéressants. Il faut alors songer
à transformer ces forêts pour y augmenter la proportion de bois-d’œuvre soit en
enrésinant, mais avec beaucoup de précautions, soit en passant au taillis sous
futaie dont nous verrons prochainement l’intérêt, en même temps que les soins
qu’il implique.
LE FORESTIER.
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