Nous avons reçu d’un de nos correspondants la lettre
suivante : « Depuis quelques mois, je relève un ralentissement marqué
dans la production des jeunes pigeons, même parmi des couples qui produisaient
régulièrement une nichée tous les quarante jours environ. En outre, un certain
nombre de jeunes, et de plus en plus nombreux, sont saisis, lors de leur sortie
du nid ou quelques jours après, d’une sorte de paralysie, se traduisant par un titubement.
La mort survient au bout d’une quinzaine ou d’une vingtaine de jours. Je vous
serais obligé de bien vouloir me donner des détails sur cette affection et les
remèdes à y apporter. » La maladie en question pouvant intéresser
quelques-uns de nos lecteurs, nous en faisons l’objet de la présente causerie.
Parmi les maladies contagieuses qui déciment les pigeons,
l’une d’elles, la diphtérie, mérite de retenir plus particulièrement
l’attention des éleveurs en raison des nombreuses mortalités qu’elle provoque
chez les jeunes. La diphtérie est caractérisée par des plaques jaunes ou
blanchâtres dans la bouche, la gorge ou l’arrière-gorge. Ordinairement, ces
plaques se limitent à la base de la langue, mais elles peuvent aussi former une
masse énorme atteignant parfois le volume d’une noisette, fixée tout près du
larynx qu’elle peut obstruer au point de faire périr les oiseaux par
étouffement. Ces fausses membranes peuvent également envahir le pourtour des
yeux, la conjonctive, et rendre la vision impossible. Les articulations, les
organes internes : jabot, foie, intestins, sont parfois le siège de
lésions diphtériques.
Quoique la diphtérie puisse atteindre les pigeons de tout
âge, la contamination se produit généralement dès les premiers jours de
l’existence des pigeonneaux auxquels les parents transmettent la maladie par
les microbes de la diphtérie aviaire contenus dans les sécrétions de leur
jabot. Elle apparaît alors vers le dixième ou douzième jour après la naissance.
Il est en effet des pigeons reproducteurs qui, sous les
apparences d’une santé parfaite, possèdent la diphtérie à l’état latent ou
caché et la transmettent invariablement à tous les jeunes qu’ils produisent.
Ceux-ci se trouvent atteints du mal soit dans la première décade, soit plus
tard, au moment où les plumes se montrent. Ils peuvent même guérir, incomplètement
parfois, et ils deviennent alors les propagateurs de la maladie dans tout
l’élevage. Le plus souvent les parents les abandonnent et les petits malades
meurent de faim si ce n’est d’étouffement. De pareils reproducteurs doivent
être réformés.
Les deux principaux moyens de propagation de la maladie,
après celui que je viens de signaler, sont l’abreuvoir commun et
l’accouplement. La malpropreté de l’eau de boisson et parfois celle du
colombier en sont la cause dans bien des cas. Souvent les poules et surtout les
canards se chargent de transformer en bourbier l’eau la plus pure et la plus
limpide que le pigeon réclame par-dessus tout. Aussi, lorsque les jeunes
pigeons ne peuvent être abreuvés par leurs parents avec de l’eau courante,
faut-il tenir à la portée des couples reproducteurs des abreuvoirs situés hors
des atteintes des palmipèdes et des gallinacés. Ajoutons enfin qu’un mâle ayant
la diphtérie peut contaminer toutes les femelles d’un pigeonnier, d’autant plus
sûrement que certains pigeons sont des modèles d’infidélité. N’oublions pas que
c’est par le bec que se transmet la maladie ; or c’est par des échanges de
bec à bec que les pigeons se témoignent leurs sentiments réciproques.
Quelle est la cause de la diphtérie aviaire ? On a
beaucoup discuté sur l’unicité ou la dualité de la diphtérie des oiseaux et le
croup ou diphtérie humaine. On a tout d’abord comparé l’évolution de la
diphtérie aviaire avec celle de l’espèce humaine et incriminé comme cause un
bacille très voisin de celui de Lœffler qui provoque le croup. Puis, lorsqu’il
fut bien démontré que le sérum antidiphtérique restait sans action sur la
diphtérie aviaire, on invoqua le rôle d’un bacille spécifique du même groupe,
mais spécial aux oiseaux. Plus tard, Bordet mentionna que la diphtérie
aviaire était fonction d’un microbe spécial extrêmement petit, presque
invisible, qui se trouvait en abondance dans les émulsions des fausses
membranes. Enfin, d’autres agents microbiens variés ont été découverts dans les
lésions buccales et nasales.
La question des rapports entre la diphtérie humaine et la
diphtérie aviaire n’est pas encore résolue. Certains admettent l’existence de
rapports étroits entre la diphtérie de l’homme et celle des oiseaux ;
d’autres nient, au contraire, la possibilité de tout rapprochement. On ne peut
nier d’autre part, sur la foi d’un grand nombre d’observations, la possibilité
de la transmission de la diphtérie des volailles à des individus qui présentent
des angines diphtériques sans bacille de Lœffler. Loir et Ducloux, notamment, auraient
retrouvé chez l’homme le microbe qu’ils ont décrit comme l’agent de la
diphtérie aviaire.
En réalité, les lésions diphtéroïdes de la bouche des
oiseaux relèvent des causes les plus variées, la simple irritation mécanique
détermine leur apparition, et elles renferment alors un ou plusieurs microbes
qui ont été décrits comme les agents de la maladie. Mais certaines formes,
contagieuses et inoculables, sont vraisemblablement sous la dépendance d’un
agent spécifique, le bacille de Lœffler ou le microbe de Bordet.
Traitement.
— Le traitement de la diphtérie aviaire comporte des
mesures prophylactiques et l’emploi d’une médication particulière, étant bien
entendu que le tout peut aussi bien être appliqué aux poules qu’aux pigeons.
Dès qu’un cas apparaît, il convient de visiter chaque jour tous les pigeons,
jeunes ou vieux, et de séparer immédiatement les malades. Il faut donc, avant
toute chose, fermer le colombier. Ensuite, sacrifier les pigeons les plus
malades et les plus maigres dont la chair, sauf la tête et le cou, pourra être
consommée bien cuite ; brûler ou enfouir les cadavres de ceux qui sont
morts.
Éviter de faire reproduire les couples dont les jeunes sont
atteints de la maladie, car ce sont les parents qui la leur ont transmise en
les gavant ; enlever leurs œufs et les faire couver par des pigeons sains.
Désinfecter fréquemment tout le pigeonnier, matériel compris, à l’eau chaude
additionnée d’un dixième d’eau de Javel, ou d’acide sulfurique à 50 grammes
par litre ; il est recommandé de mélanger peu à peu l’acide à l’eau et de
ne pas verser celle-ci sur l’acide, qui, dans ce cas, pourrait être projeté sur
le préparateur.
Le traitement curatif comporte l’enlèvement des fausses
membranes en se servant d’un cure-dents ou d’une petite curette en bois :
membranes et curette seront ensuite jetées au feu. Éviter, si possible, de
faire saigner. Sécher avec un linge fin ou une boulette d’ouate la plaie ainsi
mise à nu et la badigeonner, matin et soir, avec un pinceau légèrement trempé
dans une solution de sulfate de cuivre à 5 p. 100 ou d’azotate d’argent à
1 p. 100. Quatre à cinq jours après, un seul badigeonnage par jour suffit.
Mettre enfin à la disposition des pigeons, sains ou malades, de l’eau
absolument propre à laquelle on ajoutera deux grammes par litre, au choix,
d’acide sulfurique, d’acide citrique ou d’acide tartrique, soit 52 gouttes
au compte-gouttes calibré.
Vaccination.
— Cette opération paraît être le traitement de
choix ; autant que possible, elle doit être effectuée par le vétérinaire.
Elle consiste à injecter sous la peau de la cuisse au moyen de la seringue de
Pravaz, graduée et préalablement désinfectée, un centimètre cube de vaccin
antidiphtérique que délivrent l’Institut Pasteur et certains Instituts
biologiques particuliers. Résultat que nous communique un de nos correspondants
qui, pendant deux mois, a été aux prises avec la diphtérie : « Quinze
jours après, tout mon colombier était guéri et, depuis, je n’ai pas perdu un
seul pigeonneau. »
MOREL,
Médecin vétérinaire.
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