Les appels se multiplient : d’une part, les pays
relativement neufs sont effrayés de voir leurs terres partir sous l’influence
de l’eau ou du vent ; pénétrant le problème plus avant, les vieux pays
sont attirés surtout par le problème de l’humus. De toute façon, c’est la
substance du sol qui diminue de quantité ou de qualité, alors que les besoins
de la population du globe augmentent sous le double signe de l’accroissement du
nombre et du développement des besoins individuels, plutôt de la reconnaissance
avouée de leurs besoins.
Il faudrait plusieurs chroniques pour examiner ces problèmes
d’actualité plus ou moins aiguë, mais le seul fait que ces problèmes soient
posés montre que la réaction ne saurait tarder à se manifester dans les sens
les plus divers. Il est d’ailleurs utile de rappeler que, inconsciemment
parfois, mais souvent aussi sous l’empire de réflexions profondes ajustées par
le temps, les agriculteurs ont réagi depuis bien longtemps dans des sens
variés.
Par exemple, on publie des photographies, des dessins
empruntés aux U. S. A. indiquant le sens dans lequel on doit labourer
les terrains en pente. Ce sujet faisait l’objet et fait encore l’objet d’un
chapitre du Cours d’Agriculture de Grignon. Interviennent à ce propos la pente
plus ou moins forte du terrain, le degré de perméabilité. On concluait en
abondant dans le sens des praticiens, en recommandant de diriger les sillons
suivant les courbes de niveau, afin de ne pas marquer le sens normal de
l’écoulement des eaux suivant la pente. En raison des genres de charrues
employées et de la traction demandée, suivant que la bande de terre est versée
dans le sens de la pente ou en remontant la pente, on recommande de relever la
terre chaque fois que les labours sont moins urgents, afin de permettre aux attelages
de se reposer un peu. La décision est plus facile avec les moyens mécaniques.
Pour que le terrain s’égoutte mieux lorsqu’il y a plus ou moins
d’imperméabilité, on ajoute de décaler légèrement le sens des sillons pour
obtenir un léger écoulement latéral ou bien encore de tracer, s’il s’agit de
labours pour l’hiver, quelques sillons légèrement obliques, ce qui revient au
même.
Quand on parle de remonter la terre, on ne peut pas oublier
les cultures en terrasses soutenues par des murs quelquefois, des talus de
terre ailleurs ; ainsi sont constitués des séries de petits champs de
dimensions variées que l’on entretient avec le plus grand soin ; la valeur
des produits tirés du sol influe justement sur l’intérêt porté à la solidité
des barrages ; la vigne ou même des cultures maraîchères acceptent le
maximum de soins. On pourrait même établir un rapprochement entre l’abandon
plus ou moins rapide des terrasses, soit en les voyant conservés ou en ruines,
soit en connaissant le degré d’exode ou de maintien des populations.
Le côté le plus passionnant concerne peut-être, pour la
France et même pour l’Afrique du Nord, l’appauvrissement en humus. Dans la
circonstance, toute la littérature agricole est mise à contribution et les
chapitres des ouvrages d’agronomie relatifs aux propriétés de l’humus sont
présentés aux lecteurs ou aux auditeurs. Je me contenterai de dire que la
richesse en humus est l’un des facteurs essentiels de la fertilité des sols.
Comment assiste-t-on à un appauvrissement marqué au point de
donner des inquiétudes pour le maintien des rendements ou, mieux encore, pour
le progrès inapparent, malgré l’emploi de moyens améliorés en semences et en
engrais notamment ? Les exploitations les plus touchées se trouvent au
point le plus bas dans l’échelle de la production animale. J’extrais de mes
notes de cours les chiffres suivants résultant d’une enquête effectuée il y a
une trentaine d’années dans toute la France :
a. Poids de bétail par hectare : 400 kilos ;
poids moyen de fumier employé par hectare et par an : 8.000 kilos ;
b. Poids de bétail par hectare : 255 kilos ;
poids de fumier : 5.200 kilos ;
c. Poids de bétail par hectare : 170 kilos ;
poids de fumier : 2.700 kilos.
On pourrait déduire des observations précédentes qu’un
nombre très important d’exploitations ne produisent pas la quantité de fumier
nécessaire pour entretenir en humus la couche arable. En effet, au maximum,
8.000 kilos de fumier en moyenne par hectare et par an correspondraient à
24.000 kilos par apport dans un assolement triennal rigide. Il y a un
demi-siècle, Grandeau, se basant sur la statistique décennale publiée par le
ministère de l’Agriculture, estimait qu’en moyenne chaque hectare de terre
labourable ne recevait que 4.000 kilos, ce qui correspond à 200 kilos
de poids vif. Il faut ajouter que, pour l’entretien en humus, les résidus de
prairies artificielles apportent leur appoint ; même dans les fermes à
gros rendement en céréales, les chaumes ou éteules ne sont pas sans contribuer
à cet entretien, Dehérain a commenté longuement, d’après les travaux de Rothamstel,
l’influence heureuse des résidus de céréales se poursuivant pendant plusieurs
années.
En définitive, il est certain qu’un déséquilibre lent se
produit dans la teneur en humus du sol et les quantités qui partent sans remplacement.
À cet égard, l’intensification du travail du sol, pratique louable en soi,
heureuse pour la nitrification des réserves azotées, pour la destruction des
mauvaises herbes, intensification rendue encore plus sensible par les divers
procédés de culture mécanique, contribue à une destruction certaine des
réserves azotées organiques grâce à une oxydation abondante dans la couche
arable. Ajoutons encore qu’une terre finement divisée est plus facilement
entraînée lorsqu’une forte pluie survient et que l’action du vent se fait
sentir terriblement sur ces terrains, infiniment plus qu’on serait tenté de le
croire.
Faut-il renoncer pour cela à travailler la terre, évidemment
non ; jusqu’à nouvel ordre, nous ne sommes pas tentés de partager l’avis
d’un ironiste (?), reconnaissant les bienfaits d’une couverture du sol
obtenue par les mauvaises herbes se développant librement. Il semble que c’est
à l’état de division exagéré superficiel qu’il faille s’en prendre. Autant un
état très divisé est indispensable pour la réussite d’un semis de betteraves,
autant doit-on conserver une légère couverture de mottes après un semis de blé
ou même au cours des façons de jachère. La question sera reprise sous d’autres
aspects, mais, contrairement à une opinion que j’ai entendue récemment, depuis
trente-sept ans, ces notes sont écrites pour chaque numéro et non reproduites
de temps à autre par le secrétariat ; traiter des sujets d’actualité est
notre règle.
L. BRÉTIGNIÈRE.
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