La correspondance que nous entretenons avec les lecteurs du Chasseur
Français nous permet de nous faire une idée assez précise de l’importance
respective des matières sur lesquelles il est bon de les renseigner. Sans
contredit, celle qui, actuellement, paraît l’emporter est celle qui concerne
les dégâts de gibier ; aussi, durant ces derniers mois, avons-nous
consacré plusieurs de nos causeries à cette matière. Et nous constatons que, de
jour en jour, elle prend plus d’importance, alors que, dans les premières
années de notre collaboration à cette Revue, il était plutôt rare que nous
ayons à nous en occuper. Ce n’est pas que les lapins soient devenus plus
voraces ; c’est, croyons-nous, parce que les dommages qu’ils causaient
autrefois se chiffraient seulement par quelques centaines de francs et se
réglaient amiablement et sans chicanes, tandis qu’aujourd’hui c’est par
dizaines de mille, par centaines de mille francs que s’élèvent les réclamations
des cultivateurs, en sorte que ceux à qui s’adressent ces réclamations y
regardent à deux fois avant de payer.
Après les questions de dégâts de gibier, celle au sujet de
laquelle nous recevons le plus de correspondance se rattache aux difficultés
qui naissent de l’application des clauses des baux de chasse. Ici encore, nous
faisons une constatation assez curieuse ; il est, en effet, très fréquent
qu’on nous présente des baux rédigés avec une légèreté, un laconisme vraiment
excessifs. Il semble que leurs rédacteurs s’imaginent qu’aucune difficulté ne
peut naître dans l’application de ces actes, et que, lorsqu’on y trouve les
noms des parties, la désignation du territoire loué, la durée et le prix, on y
a mis tout ce qu’il était utile d’y insérer. Et puis l’expérience révèle
parfois, au bout de quelques mois, qu’il y avait bien d’autres choses à
préciser, au sujet desquelles les parties se trouvent en désaccord, et qu’il y
aurait eu intérêt à tracer d’un trait plus net la limite des droits et des
obligations de chacune des parties.
Si encore les mentions, pour trop sommaires qu’elles soient,
étaient rédigées avec une précision à l’abri de la critique, l’inconvénient ne
serait que relatif. Mais il nous a été donné de prendre connaissance d’actes
dont il était difficile de savoir s’il s’agissait d’un bail ou de tout autre contrat,
où l’intention des parties s’enveloppait de brumes épaisses. Un exemple, entre
beaucoup :
Il nous a été donné de voir récemment un contrat dont la
substance était ceci : X donne à Y un bail de chasse pour tel prix et
telle durée sur tel territoire ; puis on ajoute : Ceci ne peut créer
un monopole au profit de Y. À s’en tenir aux mots employés, on comprend que le
propriétaire entendait bien faire un bail ; mais, en même temps, il
entendait se réserver la faculté de donner par la suite à d’autres personnes
les mêmes avantages qu’il concédait à Y. Or, en se réservant cette faculté, il
défaisait ce qu’il venait de faire en passant un bail, puisqu’il est essentiel,
pour qu’il y ait bail, que la jouissance dont on entend faire bénéficier le
locataire soit exclusive de toute autre. Concevrait-on, par exemple, qu’un
propriétaire, en louant une maison, se réserve la faculté de conférer à tous
autres les droits qu’il donne au locataire primitif ? Et ce qui est vrai
pour un bail de maison l’est encore pour un bail de chasse. En conséquence,
l’acte dont nous venons de parler est nul en tant que bail. Faut-il aller
jusqu’à dire qu’il est entièrement nul et n’est susceptible d’aucune
exécution ? Nous ne le pensons pas, parce que, si l’on fait abstraction de
la qualification donnée à tort à l’acte, qui, manifestement, est erronée
puisqu’il ne peut s’agir d’un bail, on peut trouver un sens et une portée à lui
donner. Il peut, en effet, être compris comme conférant au bénéficiaire une
permission de chasser, avec réserve de la faculté de donner à d’autres la même
permission, ce qui n’a rien d’anormal. Telle est, en effet, l’interprétation
que nous donnerions à l’acte, conformément à la règle formulée dans l’article 1156
du Code civil, d’après lequel « on doit, dans les conventions, rechercher
quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’en
tenir au sens littéral des termes employés ».
La conclusion de cette causerie est que, dans bien des cas,
les personnes qui se proposent de contracter un bail de chasse, le propriétaire
aussi bien que le locataire, auraient avantage à s’adresser à une personne
qualifiée à cet effet, à lui exposer ce qu’elles envisagent de faire, avec les
plus grands détails, et à lui demander d’établir en conséquence un projet qui
pourra servir de base à des discussions entre les parties et conduire à un
accord sur un texte parfaitement au point, et ceci pour le plus grand bien de
tous.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
|