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La vitesse des animaux de vénerie

Après avoir envisagé la vitesse des chiens poursuivants (1), il est intéressant de parler de celle des gibiers poursuivis. Des personnes qui aiment les précisions réelles et les statistiques (à supposer que la réalité et la statistique s’accordent, ce qui est loin d’être toujours exact) demandent parfois :

À quelle vitesse faut-il mener un lièvre, un chevreuil, un cerf, etc., pour le forcer ?

En combien de kilomètres et en combien de temps ?

Comme si l’on pouvait chronométrer une poursuite de chasse à courre dans toutes ses phases !

On peut juste se rendre compte du temps écoulé entre le lancer et la prise. Mais je doute fort qu’on puisse jamais établir une moyenne de la vitesse horaire et la distance parcourue, car il y a les balancers, les défauts et une foule d’incidents. Il faut que l’animal soit talonné et fatigué. Sans cela, on ne le force pas.

D’abord parce qu’il ne s’épuise pas. Ensuite parce que plus il y a de balancers et de défauts, plus les chiens font d’efforts, se fatiguant davantage que leur proie.

On sait qu’une vigoureuse poussée après le départ est un excellent atout pour la réussite. On sait aussi que, dans certaines régions, les animaux sont plus résistants que dans d’autres. Tout dernièrement un amateur de coursing, de retour d’Espagne, — où l’on pratique beaucoup les courses de lévriers derrière le lièvre vivant, — me disait que là-bas les lièvres (de petite taille) étaient d’une résistance incroyable devant les lévriers.

J’ai suivi un certain nombre de chasses à courre de chevreuil. J’ai souvenir d’un excellent équipage qui prenait régulièrement et vivement dans sa contrée. Un même jour, je lui ai vu forcer deux chevreuils, l’un en moins d’une heure, le second en une heure et demie. Mais j’ai vu ce même équipage — en déplacement dans une autre région — mettre trois heures et plus pour prendre son chevreuil. Les premiers chevreuils étaient des chevreuils qui mangeaient beaucoup de choux. Les seconds, qui vivaient dans un massif forestier important, se nourrissaient surtout de pousses d’arbres, sans doute très nutritives. Entre les premiers et les seconds, il y avait, en réalité, la même différence qu’entre un cheval exclusivement au vert et un autre bien avoiné.

Mais, même dans une même région, il y a entre les animaux des différences de qualité individuelle. Pourquoi parmi les lièvres, les chevreuils et les cerfs n’y aurait-il pas des veaux, des bons et des as ?

J’ai couru beaucoup de lièvres et j’en ai forcé pas mal avec mes petits anglo-français. J’ai parfois été surpris de constater que certains lièvres étaient pris après une chasse qui me semblait d’un train moyen, alors que d’autres, qui me paraissaient avoir été menés plus vite, résistaient davantage.

Mais, à la chasse à courre, il est excessivement difficile d’apprécier d’une façon absolument exacte le train réel ... et la distance parcourue.

En revanche, j’ai été littéralement surpris de la différence de qualité des lièvres devant mes lévriers de course.

Il y a maintenant prescription. Je puis bien avouer que j’ai braconné quelques lièvres avec mes greyhounds. Pendant l’occupation, cela me taquinait vraiment trop de voir ces messieurs avoir tous les droits et battre nos terrains, alors que nous, nous n’avions aucun droit ... et nous n’avions même plus nos fusils !

Sans armes et sans munitions — et sans bruit — je partais donc à travers champs, escorté de trois ou quatre lévriers.

Cela n’était pas toujours sans risques, car, chez un de mes amis, ces messieurs lui ont fusillé cinq greyhounds qui couraient après un lièvre dans son parc ... où les occupants assassinaient les faisans ! Le général a fait des excuses après, mais les chiens étaient morts !

Pour ma part, j’ai eu la chance de ne jamais rencontrer de chasseurs européens pendant mes expéditions.

Dans cette chasse à vue, qui dure quelques secondes à peine, il n’y a pas de ruses, il n’y a pas d’arrêt ... le lièvre et les chiens donnent le maximum de ce qu’ils peuvent.

Eh bien ! dans des circonstances tout à fait semblables, j’ai constaté que certains lièvres, des mauvais, étaient happés en trois ou quatre cents mètres, tandis que d’autres, des cracks, résistaient cinq ou six cents mètres et même davantage. La vitesse des chiens était évidemment la même dans tous les cas.

Trois cents mètres de plus, direz-vous, ce n’est pas énorme ! Mais cela va tout de même du simple au double, et c’est, au contraire, considérable.

Les écarts entre les temps nécessaires à la prise résultent donc souvent de la différence de vigueur et de qualité de l’animal. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait parfois de grandes variations dans la durée de diverses chasses à courre, même par aussi bon temps et même menées du même train. Il n’est pas étonnant non plus que de tous temps tous les veneurs aient souvenance d’animaux coriaces et réputés imprenables : « Ils étaient des cracks ! »

Paul DAUBIGNÉ.

(1) Voir Le Chasseur Français d’octobre.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 723